L’autorité de la chose jugée d’une sentence arbitrale

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ATF 141 III 229 | TF, 29.05.2015, 4A_633/2014*

Faits

Une étude d’avocats américaine conclut un “Business Combination Agreement” avec une étude d’avocats allemande afin que cette dernière s’intègre dans le groupe de la première. Le contrat prévoit, sous certaines conditions, un montant annuel de base payable aux avocats allemands. Il contient également une clause compromissoire CCI.

Un premier litige concernant le montant annuel de base pour les années 2009 et 2010 est réglé par un Tribunal arbitral CCI avec siège à Francfort. Ce Tribunal considère que certaines des conditions à remplir pour pouvoir se prévaloir dudit montant annuel de base ne sont en l’espèce pas remplies.

Un second litige concernant toujours le montant annuel de base, mais cette fois-ci pour les années 2011 et 2012, se règle devant un Tribunal arbitral CCI avec siège à Zurich. Le Tribunal ne se considère pas lié par l’argumentation du premier Tribunal arbitral de Francfort et retient que la majorité des conditions prévues par le contrat sont remplies, de sorte que l’étude américaine doit payer le montant annuel de base pour les années 2011 et 2012 à l’étude allemande.

L’étude d’avocats américaine exerce un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Elle fait valoir que le Tribunal arbitral avec siège à Zurich a violé l’ordre public procédural (art. 190 al. 2 let. e LDIP) en ne respectant pas l’autorité de la chose jugée de la sentence du Tribunal arbitral de Francfort.

Le Tribunal fédéral doit s’arrêter sur la question de l’étendue du principe de res judicata en matière d’arbitrage international.

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle qu’il a déjà retenu dans une affaire que l’autorité de la chose jugée d’une sentence internationale se limite au dispositif du jugement et n’en comprend pas les motifs (ATF 128 III 191, c. 4a). Cela s’explique par le fait que, lorsqu’une sentence étrangère est reconnue en suisse selon la Convention de New York (art. 194 LDIP), elle déploie les mêmes effets qu’un jugement suisse. Il en résulte que même si un droit étranger prévoyait l’autorité de la chose jugée pour les motifs d’un jugement, cette étendue de l’autorité de chose jugée ne serait pas reconnue en Suisse, puisque l’autorité de la chose jugée d’un jugement suisse ne porte que sur le dispositif.

En l’espèce, le Tribunal arbitral zurichois a tranché la question de l’existence d’une autre créance – celle de 2011 et 2012 – que celle du Tribunal arbitral de Francfort – créance de 2009 et 2010. Etant donné que les motifs de la sentence du Tribunal arbitral de Francfort ne font pas partie de l’autorité de chose jugée, le Tribunal arbitral zurichois n’a pas violé l’ordre public procédural en ne se considérant pas lié par les motifs de la première sentence. Au contraire, s’il s’était considéré lié par ses motifs et avait donc renoncé à un examen, il aurait alors violé l’ordre public procédural.

Proposition de citation : Célian Hirsch, L’autorité de la chose jugée d’une sentence arbitrale, in : www.lawinside.ch/57/