Le séquestre suisse sur la base d’un conservatory attachment étranger

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ATF 143 III 693 | TF, 27.11.2017, 5A_899/2016*

Un séquestre peut être prononcé en Suisse pour garantir l’exécution de mesures provisionnelles étrangères prononcées dans un Etat “Lugano” (art. 47 CL), à condition que ces mesures provisionnelles étrangères (1) déploient leurs effets directement à l’encontre des biens du débiteur (in rem), à défaut de quoi les éventuelles mesures conservatoires en Suisse sont celles du CPC et non de la LP ; et (2) soient exécutoires en Suisse (cf. art. 271 al. 1 ch. 6 LP).

Faits

Une banque athénienne ouvre en Grèce des procédures civiles et pénales à l’encontre de son ancien administrateur pour avoir influencé illégalement la mise à disposition de crédit par la banque. A titre provisionnel, les tribunaux grecs ordonnent la saisie conservatoire (conservatory attachment) des avoirs de l’ancien administrateur de la banque jusqu’à concurrence de 260 millions d’Euros.

Sur requête de la banque, le Tribunal d’arrondissement de Zurich prononce l’exequatur de cette décision. L’administrateur ne conteste pas la décision d’exequatur.

Par la suite, à la requête de la banque, les juges zurichois prononcent le séquestre des comptes bancaires de diverses sociétés dont l’ancien administrateur est l’ayant-droit économique. L’ancien administrateur forme opposition au séquestre, sans succès. Son recours contre cette décision est rejeté par l’Obergericht zurichois.

Il forme alors recours auprès du Tribunal fédéral. Il s’agit de déterminer à quelles conditions un séquestre peut être prononcé en Suisse pour garantir l’exécution de mesures provisionnelles prononcées par les tribunaux d’un Etat membre de la Convention de Lugano.

Droit

A titre liminaire, le Tribunal fédéral relève que le séquestre constitue une mesure provisionnelle au sens de l’art. 98 LTF, ce pourquoi la recourante ne peut invoquer que la violation de ses droits constitutionnels, notamment l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst. féd.). En outre, les griefs soulevés doivent satisfaire aux obligations de motivation accrue de l’art. 106 LTF.

En vertu de l’art. 47 al. 2 CL, l’exequatur d’une décision prononcée dans un Etat membre de la Convention de Lugano emporte l’autorisation de procéder à des mesures conservatoires dans l’Etat requis. Selon la jurisprudence européenne, de telles mesures conservatoires doivent être accordées automatiquement en présence d’une décision exécutoire dans l’Etat requis, sans aucune condition supplémentaire (CJUE, 03.10.10985, Aff. 119/84, Capelloni c. Pelkmans). En Suisse, lorsqu’une obligation de faire, de s’abstenir ou de tolérer fait l’objet de la décision étrangère, les éventuelles mesures conservatoires prononcées en vertu de l’art. 47 CL sont celles du CPC. Par opposition, lorsque la décision étrangère a trait à une dette pécuniaire, le créancier peut obtenir les mesures conservatoires prévues par la LP, en particulier le séquestre (cf. art. 335 al. 2 CPC).

Il convient ainsi de déterminer si la décision étrangère (1) impose au débiteur (ad personam) une obligation de faire, de s’abstenir ou de tolérer, auquel cas les mesures conservatoires qui peuvent être prononcées en Suisse sont celles du CPC, ou (2) déploie ses effets directement à l’encontre des biens du débiteur (in rem), auquel cas le séquestre LP peut être ordonné. Les décisions provisionnelles étrangères qui visent à préserver le patrimoine du défendeur pour l’éventuelle exécution ultérieure d’une décision au fond peuvent appartenir à l’une ou l’autre de ces catégories. Elles peuvent ainsi (1) interdire au débiteur ad personam de disposer de ses biens sous la menace d’une sanction (obligation de s’abstenir), comme le font par exemple les freezing orders de droit anglais ; ou (2) déployer leurs effets directement à l’encontre du patrimoine du débiteur (in rem). Dans les deux cas, le prononcé des mesures conservatoires au sens du CPC ou de la LP (selon ce qui s’applique) aura de facto pour effet d’exécuter la décision sur mesures provisionnelles étrangère.

Conformément à ce qui précède, lorsque la décision étrangère déploie ses effets in rem, le créancier peut obtenir les mesures conservatoires prévues par la LP, soit le séquestre. L’art. 271 al. 2 ch. 6, adopté pour satisfaire aux exigences de l’art. 47 CL, prévoit le prononcé du séquestre sur la seule base d’un titre de mainlevée définitive. Le créancier titulaire d’un titre de mainlevée définitive peut ainsi obtenir le séquestre sans devoir satisfaire à une quelconque condition supplémentaire. Toute décision étrangère relative à une obligation pécuniaire exécutoire en Suisse, y compris une décision étrangère sur mesures provisionnelle déployant ses effets in rem, peut constituer un tel titre de mainlevée définitive.

En l’espèce, après l’examen de plusieurs avis doctrinaux, l’instance précédente a retenu que le “conservatory attachment” de droit grec n’impose pas au débiteur une obligation de s’abstenir ad personam, mais déploie ses effets directement in rem. La recourante ne démontre pas en quoi cette qualification serait arbitraire. En outre, le “conservatory attachment” prononcé par les tribunaux grecs est exécutoire en Suisse, la décision d’exequatur n’ayant pas été contestée. Partant, c’est à bon droit que l’instance précédente a confirmé le séquestre.

Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, Le séquestre suisse sur la base d’un conservatory attachment étranger, in : www.lawinside.ch/575/