Les administrateurs peuvent faire valoir leur droit aux renseignements et à la consultation par la voie judiciaire (art. 715a CO)

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ATF 144 III 100 | TF, 28.02.2018, 4A_364/2017*

Les membres du conseil d’administration d’une société anonyme peuvent faire valoir leur droit aux renseignements et à la consultation (art. 715a CO) par la voie judiciaire. La requête d’un administrateur à l’encontre de la société doit être formée en procédure sommaire.

Faits

Un membre du conseil d’administration d’une société anonyme dépose une requête auprès du Tribunal cantonal d’Obwald. Par cette requête, l’administrateur souhaite en particulier contraindre la société à lui octroyer un droit de consultation des livres et des dossiers, portant notamment sur le registre des actions, le registre des ayants droit économiques, ainsi que tous les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration des huit mois précédents.

Le Tribunal déboute l’administrateur sur ce point au motif qu’il n’existe pas de fondement juridique pour une telle action. L’administrateur recourt au Tribunal supérieur du canton d’Obwald, sans succès, puis au Tribunal fédéral. Ce dernier se penche en particulier sur la question de savoir si les membres du conseil d’administration peuvent faire valoir leur droit aux renseignements et à la consultation (art. 715a CO) par la voie judiciaire.

Droit

L’art. 715a CO règle le droit de chaque membre du conseil d’administration d’obtenir des renseignements sur toutes les affaires de la société. En dehors des séances du conseil, les membres peuvent en particulier exiger des personnes chargées de la gestion des renseignements sur la marche de l’entreprise (al. 3). Dans la mesure où cela est nécessaire à l’accomplissement de ses tâches, chaque membre du conseil peut également demander au président la production des livres ou des dossiers (al. 4). La question de savoir si les administrateurs peuvent faire valoir ce droit en justice a expressément été laissée ouverte par le Tribunal fédéral jusqu’à présent (ATF 129 III 499, consid. 3.4).

Le Tribunal fédéral constate tout d’abord que la doctrine est divisée sur ce point. Une partie considère comme déterminant le fait que, contrairement à l’art. 697 al. 4 CO (droit aux renseignement et à la consultation des actionnaires), l’art. 715a CO ne mentionne pas la possibilité d’ouvrir action et qu’il s’agirait ici d’un silence qualifié du législateur. En outre, une telle action représenterait une façon déguisée de contester les décisions du conseil d’administration et contreviendrait au principe selon lequel celles-ci ne peuvent pas être mises en cause. Un autre courant de doctrine perçoit le droit découlant de l’art. 715a CO comme un droit inviduel inaliénable, lequel devrait pouvoir être invoqué en tout temps, avec ou sans disposition explicite.

Le Tribunal fédéral procède ainsi à une interprétation de la loi en s’inspirant du pluralisme méthodologique pragmatique. Il constate qu’aucun élément déterminant ne découle de l’histoire de l’art. 715a CO. Le but de la norme réside dans le fait d’assurer que le conseil d’administration puisse exercer ses fonctions de direction et de surveillance de manière efficiente. L’art. 715a CO représente également la contrepartie de la responsabilité individuelle des administrateurs. Selon la systématique de la loi, lorsque le texte légal n’exclut pas expressément un moyen d’ouvrir action, cela plaide en faveur d’une telle possibilité. Puis, la raison pour laquelle l’art. 697 al. 4 CO prévoit quant à lui explicitement un droit d’action réside dans sa nature de droit social autonome et inhérent à la qualité d’actionnaire, lequel ne doit pas forcément être invoqué en parallèle à une contestation judiciaire selon l’art. 706 CO. Le Tribunal fédéral note enfin que le fait que la contestation de décisions du conseil d’administration soit exclue n’influe en rien la contestation judiciaire de droits prévus par la loi. Bien au contraire, la contestation des décisions du conseil d’administration n’est précisément pas possible au motif que d’autres droits existent et peuvent être mis en oeuvre.

Le Tribunal fédéral relève ainsi que le Tribunal supérieur du canton d’Obwald a exclu à tort le principe d’un droit d’action des administrateurs d’une société anonyme.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral annule l’arrêt et renvoie la cause afin que les droits à la consultation invoqués par le recourant soient examinés.

Note

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral précise également que la requête fondée sur l’art. 715a CO et introduite par un administrateur doit être traitée en procédure sommaire, tout comme l’action fondée sur l’art. 697 al. 4 CO. Le choix de cette procédure est justifié par sa rapidité et sa flexibilité, lesquelles s’avèrent essentielles à la mise en œuvre du droit aux renseignements et à la consultation de l’administrateur et ainsi à l’exercice de son mandat. Le Tribunal fédéral rappelle à cette fin que le catalogue de l’art. 250 CPC n’est pas exhaustif.

Enfin, le Tribunal fédéral rejette par la même la demande de constatation de nullité des décisions prises par le conseil d’administration lors d’une séance quelques mois plus tôt, demande formulée par l’administrateur en seconde instance. En effet, la nullité d’une décision ne peut pas être contrôlée d’office lorsque la décision ne concerne pas l’objet de la procédure et n’aurait aucune incidence sur la procédure.

Proposition de citation : Marie-Hélène Peter-Spiess, Les administrateurs peuvent faire valoir leur droit aux renseignements et à la consultation par la voie judiciaire (art. 715a CO), in : www.lawinside.ch/580/