L’arbitrabilité des prétentions du travailleur (art. 354 CPC)

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ATF 144 III 235 | TF, 18.4.2018, 4A_7/2018*

En arbitrage interne, les prétentions du travailleur visées à l’art. 341 al. 1 CO ne sont pas à la libre disposition des parties et donc pas arbitrables. Le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence rendue avant l’entrée en vigueur du CPC. 

Faits

Le contrat liant un club de football à un entraîneur prévoit une clause d’arbitrage en faveur du Tribunal de Sport de Lausanne (TAS). Des tensions naissent entre le directeur sportif du club et l’entraîneur. Dans des échanges d’e-mails, l’entraîneur demande à plusieurs reprises de pouvoir rencontrer le directeur sportif pour un entretien. Ce dernier refuse en expliquant qu’il n’a ni l’envie ni le temps de le voir. L’entraîneur fait alors savoir que les entraînements n’auront plus lieu tant qu’il n’aura pas eu la possibilité de s’entretenir avec le directeur sportif. Le directeur sportif réagit en informant l’entraîneur que l’équipe sera dorénavant entraînée par quelqu’un d’autre.

L’entraîneur ouvre action devant le Tribunal civil bâlois en faisant valoir des prétentions pour licenciement illicite (art. 337c CO). Celui-ci admet sa compétence malgré la clause d’arbitrage prévue par le contrat et condamne le club de football. Ce prononcé est confirmé en appel.

Saisi par le club, le Tribunal fédéral doit déterminer si la clause compromissoire prévue par le contrat est valable, et plus particulièrement si les prétentions objet de l’action constituent un litige arbitrable.

Droit

Les parties au présent litige avaient les deux leur siège respectivement leur domicile en Suisse au moment de la conclusion du contrat, de sorte que les règles du CPC régissant l’arbitrage interne s’appliquent (art. 353 al. 1 CPC cum art. 176 al. 1 LDIP).

L’art. 61 CPC règle les conséquences d’une convention d’arbitrage sur la compétence des tribunaux étatiques. Il dispose que lorsque les parties ont conclu une convention d’arbitrage portant sur un litige arbitrable, le tribunal saisi décline sa compétence, sauf exceptions prévues par le même article.

Le Tribunal fédéral a déjà tranché la question de l’arbitrabilité des prétentions de droit du travail en arbitrage interne peu avant l’entrée en vigueur du CPC, dans l’ATF 136 III 467. A l’époque, la question était réglée à l’art. 5 du Concordat sur l’arbitrage (CIA), qui prévoyait que « l’arbitrage peut porter sur tout droit qui relève de la libre disposition des parties, à moins que la cause ne soit de la compétence exclusive d’une autorité étatique en vertu d’une disposition impérative de la loi ». Le Tribunal fédéral avait retenu qu’en raison de l’art. 341 al. 1 CO, qui empêche au travailleur de renoncer aux créances résultant de dispositions impératives de la loi (au sens de l’art. 361 s. CO) ou d’une convention collective pendant la durée du contrat et durant le mois qui suit la fin de celui-ci, les prétentions découlant des dispositions des art. 361 et 362 CO n’étaient pas à la libre disposition des parties et donc pas arbitrables. Le Tribunal fédéral doit déterminer si ce précédent demeure applicable malgré l’entrée en vigueur du CPC.

L’arbitrabilité est désormais réglée à l’art. 354 CPC. Contrairement à ce qui vaut en arbitrage international, où l’arbitrabilité s’étend à toute cause de nature patrimoniale (art. 177 al. 1 LDIP), l’arbitrabilité, en arbitrage interne, reste fondée sur le critère de la « libre disposition des parties ». Par conséquent, en accord avec la doctrine majoritaire, le Tribunal fédéral considère que la jurisprudence rendue avant l’entrée en vigueur du CPC demeure applicable.

Sur la base de ce constat, reste à déterminer si un changement de pratique s’impose. Bien que les opinions doctrinales en la matière divergent, un courant majoritaire critique l’ATF 136 III 467, considéré trop restrictif, et postule l’arbitrabilité de l’ensemble des prétentions du travailleur.

Savoir si une prétention est à la libre disposition des parties est une question réglée par le droit matériel. La jurisprudence considère que ce critère est satisfait lorsque les parties peuvent renoncer à la prétention en question ou conclure un accord à ce sujet. Cela n’implique pas pour autant que toutes les prétentions tirées de normes impératives ne seraient pas arbitrables.

Le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 341 al. 1 CO n’exclut pas seulement que le travailleur renonce à certaines prétentions, mais limite également la possibilité pour les parties de conclure un accord à leur sujet. Un tel accord n’est possible que si, globalement, il existe un équilibre entre les concessions réciproques des parties dans le cadre de cet accord. De toute évidence, lorsque les parties s’accordent sur une clause compromissoire, cet examen n’est pas encore possible, de sorte que les prétentions visées à l’art. 341 al. 1CO ne sont pas à la libre disposition des parties.

Le but de protection de la partie faible visé par le législateur est également consacré par des normes de droit procédural. Il en va ainsi concernant le for (art. 34 cum art. 35 al. 1 let. d et al. 2 CPC), la gratuité de la procédure (art. 113 al. 2 let. d cum art. 114 let. c CPC), la procédure (simplifiée, art. 243 CPC) et la maxime (art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC) applicables pour des prétentions jusqu’à CHF 30’000.

Pour l’ensemble des raisons exposées ci-dessus, le Tribunal fédéral conclut qu’un changement de jurisprudence ne se justifie pas. Dès lors, les prétentions visées à l’art. 341 CO ne sont pas arbitrables au sens de l’art. 354 CPC. L’instance précédente a donc rejeté à raison le grief d’incompétence des tribunaux étatiques.

Dans la dernière partie de l’arrêt, consacrée au fond, le Tribunal fédéral analyse le bien-fondé des prétentions de l’entraîneur et confirme la condamnation du club à payer trois mois de salaire à titre d’indemnité pour licenciement illicite.

Le recours du club est ainsi rejeté.

Note

En arbitrage international, les prétentions découlant du droit du travail sont en principe arbitrables sans restriction. Vu l’objectif de protection du travailleur voulu par le législateur à l’art. 341 al. 1 CO, le Tribunal fédéral exclut que les parties puissent prévoir dans leur contrat un opting-out au sens de l’art. 353 al. 2 CPC en contournant ainsi la non-arbitrabilité de ces prétentions prévue en arbitrage interne.

Proposition de citation : Simone Schürch, L’arbitrabilité des prétentions du travailleur (art. 354 CPC), in : www.lawinside.ch/601/