L’avance des frais de l’exécution par substitution dans le contrat d’entreprise (CO 366 II)

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ATF 141 III 257 | TF, 25.06.2015, 4A_2/2015*

Faits

Un maître d’ouvrage conclut un contrat d’entreprise avec un entrepreneur en vue de la réalisation d’une maison familiale à Zurich. Après la livraison de l’ouvrage, le maître constate divers défauts. À la suite d’une action en exécution par substitution (art. 366 al. 2 CO), le Handelsgericht de Zurich condamne par jugement du 15 mars 2011 l’entrepreneur au versement d’une avance de frais de 242’740 francs au maître d’ouvrage afin de couvrir les coûts vraisemblables engendrés par l’élimination des défauts. Le dispositif du jugement impose notamment au maître d’ouvrage d’utiliser l’avance de frais uniquement pour couvrir les coûts de réparation. Les travaux de réparation doivent être entrepris dans les 18 mois qui suivent la date du jugement, à défaut de quoi le maître devra restituer l’avance de frais à l’entrepreneur. Aussi, dans l’hypothèse où les coûts de réparation s’avèrent être inférieurs à l’avance de frais, le maître d’ouvrage est tenu de restituer l’excédent à l’entrepreneur.

En juin 2013, une fois les travaux de réparation terminés, le maître d’ouvrage ouvre une action en paiement complémentaire de 40’345 francs contre l’entrepreneur devant le Handelsgericht de Zurich. Selon lui, cette somme représente la différence entre les coûts effectifs de la réparation de l’ouvrage et l’avance de frais – qui s’est révélée être insuffisante – obtenue de l’entrepreneur. Le Handelsgericht rejette l’action par jugement du 12 novembre 2014. En substance, il considère que le jugement de 2011 portant sur les avances de frais fixe définitivement la somme à laquelle a droit le maître d’ouvrage pour l’élimination des défauts, de sorte qu’une demande en paiement complémentaire violerait le principe de l’autorité de la chose jugée.

Le maître d’ouvrage forme un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral doit dès lors se déterminer sur la question de savoir si l’autorité de la chose jugée d’un jugement qui fixe une avance de frais pour une exécution par substitution en matière de garantie pour les défauts dans le contrat d’entreprise empêche le bénéficiaire de l’avance de frais d’ouvrir à nouveau action pour obtenir le remboursement des coûts effectifs, dans l’hypothèse où ceux-ci sont supérieurs à l’avance obtenue.

Droit

Le Handelsgericht de Zurich a fondé sa décision sur l’ATF 128 III 416, c. 4.2.2, SJ 2003 I 89, dans lequel le Tribunal fédéral avait admis la possibilité de demander une avance de frais dans l’exécution par substitution fondée sur l’art. 366 al. 2 CO, mais avait retenu que “une éventuelle prétention complémentaire est exclue lorsqu’il a déjà été statué en détail sur l’étendue des travaux de réfection et qu’il y a dans cette mesure ‘res judicata'”. Le Handelsgericht a estimé que le jugement de 2011 réglait en détail les travaux de réfection et les modalités de l’avance de frais, de sorte qu’en application de cette jurisprudence fédérale, le droit à une demande d’avance de frais complémentaire se heurterait au principe de l’autorité de la chose jugée.

Le Tribunal fédéral rappelle que la demande d’avance de frais est une mise en œuvre du droit à l’exécution par substitution tel que prévu à l’art. 366 al. 2 CO. Il ne s’agit pas d’une prétention en dommages-intérêts, mais bien d’une action en exécution en nature qui remplace la prétention initiale qui devait être personnellement exécutée par l’entrepreneur.

Le maître d’ouvrage qui souhaite faire valoir son droit à l’exécution par substitution a deux possibilités. En premier lieu, il peut renoncer à demander une avance de frais, et d’une fois que les travaux de substitution ont été effectués, il doit ouvrir action contre l’entrepreneur en établissant non seulement son droit à l’exécution par substitution, mais aussi les coûts des travaux, afin d’en obtenir le remboursement. En second lieu, le maître peut exiger une avance de frais. Dans ce cas, il doit dans un premier temps ouvrir action pour établir son droit à l’exécution par substitution et obtenir le paiement d’une avance de frais avant l’exécution elle-même, puis, dans un second temps, après l’exécution des travaux, il doit établir le décompte final des coûts effectifs et, cas échéant, restituer un éventuel excédent à l’entrepreneur ou obtenir le remboursement des coûts supplémentaires. Le décompte final ne porte ni sur la question du droit à l’exécution par substitution ni sur celle de l’avance de frais, puisque ces deux objets ont déjà été traités avant la mise œuvre de l’exécution par substitution. Pour autant, l’objet de la procédure qui fixe l’avance de frais ne porte pas sur les coûts effectifs engendrés l’exécution par substitution. Par conséquent, une fois les travaux accomplis, le maître d’ouvrage peut obtenir le remboursement des coûts effectifs qui dépassent l’avance de frais dans la procédure de décompte final, sans que son action tombe sous le coup de l’autorité de la chose jugée. Ainsi, la procédure d’avance de frais n’empêche ni le maître d’ouvrage d’exiger le remboursement des coûts effectifs une fois les travaux terminés – dans l’hypothèse où l’avance de frais n’était pas suffisante – ni l’entrepreneur d’exiger la restitution de l’excédent – dans l’hypothèse où les coûts effectifs étaient inférieurs à l’avance de frais.

Le Tribunal fédéral précise l’ATF 128 III 416, SJ 2003 I 89, en rappelant que cette affaire était particulière, en ce sens que l’exécution par substitution visait à remplacer un toit défectueux par un toit d’un autre type. La décision sur avance de frais avait dès lors porté sur le contenu exact de l’exécution par substitution ainsi que sur les coûts qu’elle engendrait, ce qui n’est pas le cas dans le cas d’espèce.

Le Tribunal fédéral donne ainsi tort au Handelsgericht sur ce point.

Dans une motivation subsidiaire, le Handelsgericht a rejeté l’action du maître d’ouvrage en estimant qu’il n’avait pas prouvé de manière suffisante le montant exigé dans  sa demande en paiement complémentaire. Sur ce point, le Tribunal fédéral rappelle qu’il est lié par les constatations en fait de l’instance cantonale. Il ne peut s’en écarter que si le recourant établit que ces constatations ont été retenues de manière arbitraire, ce que le maître d’ouvrage n’a pas fait dans le cas d’espèce.

Par conséquent, le Tribunal fédéral rejette le recours en matière civile.

Note

Cet arrêt fait suite à une action en exécution par substitution intentée par le maître d’ouvrage à l’encontre de l’entrepreneur. Pour rappel, le Tribunal fédéral a estimé que l’art. 366 al. 2 CO peut aussi être appliqué par analogie après la livraison de l’ouvrage, et ce, malgré le fait que l’art. 366 al. 2 CO vise initialement le défaut anticipé, à savoir la situation où le maître d’ouvrage constate l’existence d’un défaut avant même la livraison de l’ouvrage (cf. ATF 107 II 50, c. 3, JdT 1981 I 269 ; TF, 08.05.2006, 4C.130/2006, c. 6.1).

Cet arrêt est important sur plusieurs points. Il rappelle les particularités du droit à l’exécution par substitution dans le contrat d’entreprise (art. 366 al. 2 CO). Contrairement à l’art. 98 al. 1 CO, qui instaure un droit général à l’exécution par substitution pour les obligations de faire, l’art. 366 al. 2 CO permet au maître d’ouvrage d’exiger l’exécution par substitution sans avoir à obtenir une autorisation du juge. Dans l’ATF 128 III 416, SJ 2003 I 89, le Tribunal fédéral a posé le principe selon lequel le maître d’ouvrage a le droit d’obtenir une avance de frais sous certaines conditions : premièrement, l’avance doit être exclusivement utilisée pour couvrir les coûts de l’exécution par substitution ; deuxièmement, une fois les travaux terminés, le maître d’ouvrage doit rendre compte de l’utilisation des frais et, cas échéant, restituer le surplus à l’entrepreneur ; troisièmement, le maître d’ouvrage doit procéder à l’exécution par substitution durant un certain délai fixé par le juge, à défaut de quoi il doit restituer la totalité de l’avance de frais.

Dans l’arrêt de 2011, le Handelsgericht de Zurich a parfaitement appliqué cette jurisprudence. Dans celui de 2014, il a repris le considérant 4.2.2 de ce même arrêt, dans lequel le Tribunal fédéral avait indiqué que le maître d’ouvrage ne pouvait obtenir une avance complémentaire en raison de l’autorité de la chose jugée. L’arrêt du Handelsgericht de 2014 a récemment fait l’objet d’une critique convaincante du professeur Stöckli (H. Stöckli, Bevorschussung der Nachbesserungskosten – Nachforderung ausgeschlossen ?, BR/DC 2015 149 ss). On ne saurait en effet parler d’avance de frais que si le bénéficiaire peut obtenir le remboursement des frais effectifs une fois les travaux effectués.

Le Tribunal fédéral a ainsi saisi l’occasion de préciser l’ATF 128 III 416, SJ 2003 I 89, en ce sens que le maître d’ouvrage, qui a bénéficié d’une avance de frais, peut, une fois les travaux exécutés, obtenir le remboursement des frais effectifs lorsque ceux-ci sont supérieurs à l’avance obtenue.                   

Proposition de citation : Alborz Tolou, L’avance des frais de l’exécution par substitution dans le contrat d’entreprise (CO 366 II), in : www.lawinside.ch/62/