La responsabilité en cas d’accident pendant l’examen d’auto-école

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ATF 144 II 281 | TF, 15.06.2018, 2C_94/2018*

En cas d’accident pendant un examen d’auto-école, la responsabilité de l’État est difficilement engagée pour des raisons probatoires. S’agissant de la responsabilité civile, l’État ne peut être considéré comme étant le détenteur de la voiture (art. 58 al. 1 LCR) pour le temps de la course d’examen. Le dommage causé doit donc être supporté par la société d’auto-école, détentrice et propriétaire de la voiture.

Faits

Lors de son examen d’auto-école, un élève conducteur heurte un panneau routier en causant un dommage de CHF 107.75 à celui-ci ainsi que de CHF 1’839 au véhicule appartenant à la société d’auto-école. Pendant la course d’examen, l’instructeur d’auto-école était également dans la voiture avec l’examinateur.

La société d’auto-école actionne le canton d’Argovie en responsabilité et réclame le remboursement des frais précités en arguant que le comportement prétendument négligent de l’expert est en relation de causalité avec le dommage subi.

Déboutée par le tribunal administratif compétent, la société forme un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, lequel doit en particulier déterminer si un canton doit répondre, en qualité de détenteur, du dommage au véhicule survenu suite à un accident pendant un examen d’auto-école.

Droit

À titre liminaire, le Tribunal fédéral retient l’existence d’une question juridique de principe dans le cas d’espèce. Il considère en effet qu’il est d’intérêt général de savoir si la responsabilité de l’État est engagée en cas de dommages aux véhicules utilisés pour les examens d’auto-école, ceux-ci étant généralement mis à disposition par les auto-écoles et la situation pouvant donc se représenter en tout temps.

À teneur du § 75 Cst./AG, les cantons et les communes répondent du dommage causé illicitement par les autorités, les fonctionnaires et autres employés dans l’accomplissement de leurs fonctions. Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de juger que cette disposition est d’application immédiate, sans toutefois déterminer si elle est doit être qualifiée de droit constitutionnel cantonal au sens de l’art. 95 let. c LTF. Par ailleurs, la société recourante n’a pas invoqué cette disposition, de sorte que le Tribunal fédéral se limite à examiner si l’instance précédente a appliqué de façon arbitraire la loi argovienne sur la responsabilité de l’État (un examen avec plein pouvoir de cognition aurait en revanche été possible s’agissant du droit constitutionnel cantonal).

Relativisant la portée des déclarations du candidat et de l’instructeur d’auto-école par rapport à celles de l’expert, le Tribunal fédéral est d’avis qu’il n’a pas été (suffisamment) prouvé que l’expert aurait violé son devoir de diligence, et considère ainsi que celui-ci n’a pas violé son devoir de garant (cf. art 15 al. 2 LCR). Les conditions engageant la responsabilité de l’État ne sont par conséquent pas réunies.

Le Tribunal fédéral doit alors déterminer si l’État peut être tenu pour responsable selon les règles de la LCR.

L’art. 73 al. 1 LCR dispose que la Confédération et les cantons sont soumis, en qualité de détenteurs de véhicules automobiles, aux dispositions de la LCR concernant la responsabilité civile. Aux termes de l’art. 58 al. 1 LCR, si une personne est tuée ou blessée ou qu’un dommage matériel est causé par la suite de l’emploi d’un véhicule automobile, le détenteur est civilement responsable.

L’art. 59 LCR atténue la responsabilité du détenteur et dispose, à son alinéa 4 let. a, que dans les relations entre le détenteur et le propriétaire d’un véhicule, la responsabilité civile pour les dommages subis par le véhicule se détermine d’après le code des obligations. Compte tenu de cette norme, le Tribunal fédéral souligne que même si l’État devait être considéré comme étant le détenteur du véhicule dans le cas particulier, il ne pourrait être tenu de réparer le dommage à la voiture en vertu de la LCR, le CO étant seul applicable au dommage que le détenteur cause au propriétaire de la voiture. En revanche, il pourrait être tenu de répondre, conformément à l’art. 58 al. 1 LCR, du dommage causé au panneau routier.

Le Tribunal fédéral se réfère à sa jurisprudence relative à la notion de détenteur, selon laquelle le détenteur n’est ni le propriétaire, ni la personne inscrite dans le permis de circulation du véhicule, mais celui qui utilise le véhicule pour son propre compte et à ses propres risques, et qui en possède la maîtrise effective. Cela étant, même si une personne n’utilise pas personnellement le véhicule, si l’utilisation a lieu dans son intérêt et que cette personne en assume les coûts y relatifs, elle peut, selon les circonstances, être qualifiée de détentrice.

En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que le canton d’Argovie n’est pas le détenteur du véhicule utilisé pour l’examen. La durée (limitée) de l’utilisation, son but ainsi que son intérêt justifient cette conclusion. En particulier, l’État n’a aucun devoir de mettre à disposition le véhicule et, de surcroît, l’utilisation a lieu dans l’intérêt du candidat ou de l’auto-école (rémunérée par le candidat), et non de l’État. Au demeurant, le fait que l’instructeur d’auto-école n’a aucune influence sur ce qui se passe pendant l’examen n’est pas pertinent, cette situation étant comparable à celle où le détenteur prête la voiture à un tiers sans que ce dernier en devienne pourtant détenteur. L’État n’est donc pas le détenteur du véhicule utilisé pour la course d’examen d’auto-école.

Dans un considérant succinct, le Tribunal fédéral exclut également que le canton puisse être tenu pour responsable en tant qu’entreprise de la branche automobile selon l’art. 71 LCR.

Finalement, le Tribunal fédéral considère qu’il n’existe en l’espèce pas de lacune de la loi que le juge serait tenu de combler. En droit suisse, aucun principe ne postule qu’un dommage doit, dans tous les cas, être réparable. Le propriétaire d’une chose est en revanche tenu du dommage que la chose subit, en vertu du principe casum sentit dominus. 

Pour ces raisons, le Tribunal fédéral rejette le recours de l’auto-école.

Note

Invoquant les déclarations du candidat et de l’instructeur d’auto-école, la société recourante a fait valoir que l’examinateur aurait pu anticiper la situation de danger et empêcher le candidat d’effectuer la manœuvre ayant conduit à l’accident. Le Tribunal fédéral a toutefois jugé que l’instance précédente n’est pas tombée dans l’arbitraire en accordant plus d’importance aux déclarations de l’examinateur, vu notamment que l’instructeur et le candidat se connaissaient déjà et que leurs déclarations étaient en partie contradictoires.

Cette situation met en lumière la difficulté pour la société d’auto-école de prouver le comportement négligent de l’expert. Sur la base de l’arrêt résumé ici, les tribunaux pourraient accorder d’autant moins d’importance aux déclarations du candidat et de l’instructeur présent pendant la course d’examen, ce qui n’est pas forcément justifié.

La question aurait toutefois pu se poser sous un jour différent si la recourante avait invoqué la norme constitutionnelle cantonale consacrant la responsabilité de l’État, ce qui aurait vraisemblablement permis au Tribunal fédéral de procéder à un examen avec plein pouvoir de cognition.

Ces difficultés probatoires ainsi que le refus de qualifier l’État de détenteur de la voiture utilisée pour la course d’examen auront probablement pour effet d’engendrer une hausse des coûts que les sociétés d’auto-écoles factureront aux candidats pour le jour de l’examen.

Proposition de citation : Simone Schürch, La responsabilité en cas d’accident pendant l’examen d’auto-école, in : www.lawinside.ch/628/