L’arbitrage “forcé” en matière sportive et la CEDH

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CourEDH, 02.10.2018, Affaire Mutu et Pechstein c. Suisse, Requêtes nos 40575/10 et 67474/10

En principe, le choix de résoudre un litige par la voie de l’arbitrage est un choix volontaire. Toutefois, un arbitrage est considéré comme “forcé” lorsque l’acceptation de la clause arbitrale ne relève pas d’un choix “libre, licite et sans équivoque”. Dans ce cas, le tribunal arbitral doit respecter les garanties prévues par l’art. 6 CEDH

Faits 

Un footballeur jouant pour Chelsea voit son contrat résilié avec effet immédiat en raison de la découverte de cocaïne lors d’un contrôle antidopage. Chelsea dépose une demande de dommages-intérêts à l’encontre du footballeur, laquelle est admise par la Chambre compétente de la FIFA. Le footballeur saisit le TAS et requiert, par la suite, la récusation de l’arbitre choisi par Chelsea. Sa requête de récusation ainsi que son appel au TAS sont tous deux rejetés.

Le footballeur dépose un recours au Tribunal fédéral invoquant le fait que deux des trois arbitres auraient dû se récuser. Le Tribunal fédéral rejette le recours par arrêt du 10 juin 2010 (4A_458/2009).

Le footballeur dépose alors une requête auprès de la CourEDH, laquelle est amenée à préciser si le footballeur se trouvait dans un arbitrage “forcé”.

Droit

Afin de déterminer si le footballeur est en droit d’invoquer l’art. 6 CEDH, il convient en premier lieu de vérifier s’il a valablement renoncé à ce droit en acceptant la clause d’arbitrage.

La CourEDH considère que la renonciation à certains droits garantis par le CEDH est valable à condition que l’arbitrage soit volontaire et non forcé. Un arbitrage est considéré comme “forcé” lorsque l’acceptation de la clause arbitrale ne relève pas d’un choix “libre, licite et sans équivoque”.

En l’espèce, l’article 42 du règlement de la FIFA de 2001 offre la possibilité à tout joueur de football de porter un litige l’opposant à son club devant un tribunal étatique. Le footballeur disposait ainsi de cette possibilité. La CourEDH en conclut ainsi que le footballeur n’était pas “forcé” d’accepter la résolution du litige par la voie de l’arbitrage.

L’acceptation de la clause d’arbitrage doit également être “sans équivoque“. Le choix de l’arbitrage est “sans équivoque” lorsque la partie renonce en toute connaissance de cause au droit à ce que son litige soit tranché par un tribunal indépendant et impartial.

En l’espèce, le footballeur a requis la récusation de l’arbitre nommé par Chelsea. De par cette contestation, le footballeur a démontré qu’il ne voulait pas renoncer “sans équivoque” à contester l’indépendance et l’impartialité du TAS dans ce litige. Dès lors, l’arbitrage est forcé et il n’a donc pas valablement renoncé aux droits garantis par l’art. 6 CEDH.

Sur le fond, la CourEDH considère que les arbitres étaient impartiaux et indépendants.

Note

Cet arrêt a le mérite de préciser que l’art. 6 CEDH trouve application lorsque l’arbitrage est “forcé”. Il semble toutefois retenir une notion large de l’arbitrage forcé en raison de la condition de l’acceptation de la clause d’arbitrage “sans équivoque”. En effet, alors que la CourEDH souligne en premier lieu le fait que le footballeur avait eu la possibilité de saisir les tribunaux étatiques, et de conclure que l’arbitrage n’était pas forcé, elle considère de manière assez brève que le choix du footballeur n’était en réalité pas “sans équivoque”. Cette conclusion semble se fonder uniquement sur le fait que le footballeur avait requis la récusation de l’arbitre nommé par Chelsea. Il ne nous semble toutefois pas évident que la simple requête de récusation d’un arbitre puisse avoir comme conséquence que l’arbitrage soit considéré comme forcé au sens de cette jurisprudence.

Cette distinction entre l’arbitrage forcé et volontaire peut avoir une importance au-delà de l’arbitrage sportif. En effet, dans l’actuelle révision du droit de la société anonyme, le Conseil national a adopté l’art. 697n P-CO, lequel offre la possibilité de prévoir dans les statuts le recours à l’arbitrage pour les différends relevant du droit des sociétés sans qu’un consentement supplémentaire soit nécessaire (FF 2017 353 p. 495). Il n’est ainsi pas exclu que ce type d’arbitrage puisse être considéré comme forcé. Dès lors, les droit garantis par l’art. 6 CEDH, dont le droit à une audience publique, pourraient trouver application dans les arbitrages relevant du droit des sociétés.

L’arrêt résumé ci-dessus n’est toutefois pas encore définitif ; les parties peuvent demander le renvoi de l’affaire à la Grande Chambre dans les trois mois (art. 44 par. 2 let. b CEDH).

La partie “Pechstein” de cet arrêt, qui concerne l’indépendance et l’impartialité du TAS ainsi que le droit à une audience publique, a été traitée dans un précédent résumé : LawInside.ch/659.

Proposition de citation : Célian Hirsch, L’arbitrage “forcé” en matière sportive et la CEDH, in : www.lawinside.ch/664/

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