Le déni de justice et la responsabilité de l’Etat

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ATF 144 I 318 | TF, 24.08.2018, 2C_34/2017*

L’art. 35 al. 1 let. b LAT ne constitue pas une norme protectrice invocable par un propriétaire foncier pour attaquer l’Etat en responsabilité lorsque ce dernier tarde à adopter un plan d’affectation. Néanmoins, une violation de l’art. 29 Cst. (déni de justice) peut constituer un acte illicite susceptible d’engager la responsabilité de l’État qui a tardé à statuer.

Faits

Une société possède deux grandes parcelles situées dans la commune de Rolle. En 1990, la commune adopte un plan général d’affectation prévoyant l’affection d’une de ces parcelles en zone agricole. La société s’y oppose avec succès auprès du Conseil d’État.

La commune entame alors diverses démarches afin de planifier l’affectation de son territoire et élaborer plusieurs projets. Le 24 octobre 2002, alors que la commune n’a toujours pas adopté de plan d’affectation, la société requiert formellement une élaboration d’un plan d’affectation limité à ses deux parcelles. La commune transmet des informations à la société mais ne statue pas sur sa requête.

La société saisit alors le département vaudois compétent qui constate un déni de justice (art. 29 Cst.) et fixe à la commune un délai au 31 octobre 2005 pour procéder à la planification relative à ces deux parcelles. La commune n’adopte toutefois un plan d’affection qu’en mars 2008, lequel entre en vigueur le 29 avril 2009, soit environ trois ans et demi après l’échéance du délai imparti le département vaudois.

La société dépose alors une action en responsabilité contre la commune. Les deux instances cantonales rejettent l’action. En effet, selon la Cour d’appel du Tribunal cantonal du canton de Vaud, la recourante demande la réparation d’un dommage de nature purement économique, ce qui exige une illicéité de comportement. Or, l’art. 35 al. 1 let. b LAT (délai pour l’établissement des plans d’affectation), invoqué par la recourante, ne viserait pas à protéger le patrimoine des particuliers ; la décision du Département constatant le déni de justice n’y changerait rien.

La société exerce un recours auprès du Tribunal fédéral, lequel doit examiner (i) si l’art. 35 LAT peut constituer une Schutznorm et (ii) si la violation de l’art. 29 Cst. peut constituer un acte illicite entraînant la responsabilité de l’État.

Droit

L’art. 4 LRECA/VD prévoit que l’État et les corporations communales répondent du dommage que leurs agents causent à des tiers d’une manière illicite.

À titre liminaire, le Tribunal fédéral précise que la notion d’illicéité prévue par cette disposition est du droit cantonal qu’il ne revoit donc que sous l’angle de l’arbitraire. Toutefois, savoir si du droit fédéral constitue une Schutznorm est une question d’interprétation du droit fédéral, ce que le Tribunal fédéral revoit librement en vue de garantir une interprétation uniforme du droit fédéral.

Bien qu’elle ne subisse pas une atteinte à un droit absolu, la recourante invoque en premier lieu le fait que l’art. 35 al. 1 let. b LAT a pour but de protéger l’intérêt des propriétaires fonciers. Elle bénéficierait donc d’une norme protectrice.

L’art. 35 al. 1 let. b LAT prévoit que les cantons veillent à ce que les plans d’affectation soient établis à temps, mais au plus tard dans un délai de huit ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi. Bien que ni le Message du Conseil fédéral, ni les travaux parlementaires ne fournissent d’information concernant le but de cette norme, la jurisprudence et la doctrine considèrent que cette norme relève d’un intérêt général à une occupation rationnelle du territoire et assure la sécurité du droit. Dès lors, c’est à raison que la Cour d’appel a considéré que la recourante ne pouvait invoquer la violation de l’art. 35 al. 1 let. b LAT comme acte illicite portant atteinte à son patrimoine.

En deuxième lieu, la recourante soutient que la violation de l’art. 29 Cst. constitue per se un acte illicite. Dès lors que le Département a constaté dans sa décision l’existence d’un déni de justice, la société bénéficierait d’une norme protectrice.

Le Tribunal fédéral commence par préciser que même si l’art. 29 Cst. ne s’applique pas aux procédures législatives, la nature particulière de la planification permet au justiciable d’invoquer ce droit fondamental à l’encontre de l’inactivité d’une commune qui prend du retard dans l’adoption d’un plan d’affectation.

L’art. 29 Cst. garantit au justiciable à ce qu’une décision le concernant soit prise en sa faveur dans un délai raisonnable. De jurisprudence constante, une violation de cette norme constitue un acte illicite susceptible d’engager la responsabilité de l’État. La doctrine soutient également la même solution.

Le Tribunal fédéral précise toutefois qu’une violation de l’art. 29 Cst. ne constitue pas nécessairement un acte illicite, mais qu’il faut se fonder sur la nature de l’acte dont l’omission est reprochée. Une simple décision constatant un déni de justice, de manière générale, en matière de planification peut ne pas suffire. En revanche, si le déni de justice concerne une ou plusieurs parcelles bien définies, la violation de l’art. 29 Cst. constitue un acte illicite susceptible d’engager la responsabilité de l’État.

En l’espèce, le Département a constaté un déni de justice non pas de manière générale, mais en lien avec deux parcelles précises. De plus, la décision contenait un délai clair pour mener à bien la planification demandée. Dès lors, la Cour d’appel a versé dans l’arbitraire en niant l’existence d’un acte illicite.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie la cause à l’instance précédente afin qu’elle examine les autres conditions de responsabilité.

Proposition de citation : Célian Hirsch, Le déni de justice et la responsabilité de l’Etat, in : www.lawinside.ch/678/

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