La double incrimination en matière d’escroquerie fiscale

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TPF, 30.10.2018, RR.2018.210

En matière d’entraide pénale internationale au sujet d’une escroquerie fiscale, il revient à l’État suisse requis d’analyser selon le principe de la double incrimination si les faits de la demande d’entraide sont réprimés en Suisse comme une escroquerie fiscale au sens de l’art. 14 al. 2 DPAIl revient toutefois à l’État requérant d’exposer des soupçons suffisamment précis pour constater qu’une escroquerie fiscale a été commise. 

Faits

Les autorités françaises dirigent en France une enquête pour soustraction frauduleuse à l’impôt et blanchiment aggravé à l’encontre du gérant d’une société. Elles soupçonnent que le gérant utilise un circuit atypique de ventes de vins entre des sociétés françaises ainsi qu’une autre société située dans la Principauté d’Andorre. La société andorrane serait une pure adresse de domiciliation dont le but serait de dissimuler des revenus perçus en France.

Les autorités françaises sollicitent des autorités suisses l’entraide judiciaire internationale en matière pénale afin d’obtenir les relevés des comptes bancaires suisses dont le gérant est le titulaire.

L’Office fédéral de la justice délègue l’exécution de la demande au Ministère public du canton du Valais (MP), canton dans lequel est situé l’institut bancaire concerné. Au vu du caractère fiscal de la demande, le MP demande un avis sur la question à l’Administration fédérale des contributions (AFC). Celle-ci estime que les faits décrits par les autorités françaises constituent une escroquerie fiscale au sens du droit suisse, au motif que les revenus seraient astucieusement reportés par le biais d’une société de domicile à Andorre où l’imposition est plus favorable. Sur cette base, le MP ordonne la transmission aux autorités françaises des relevés bancaires concernés.

Contre cette décision, le gérant forme un recours au Tribunal pénal fédéral. Celui-ci doit se prononcer sur le principe de la double incrimination au regard du caractère fiscal des faits allégués par les autorités françaises.

Droit

Le principe de la double incrimination impose aux autorités suisses d’analyser si les faits de la demande d’entraide seraient réprimés en Suisse comme une escroquerie fiscale au sens du droit suisse (art. 3 al. 3 EIMP). Il faut se référer l’art. 14 al. 2 DPA pour interpréter la notion d’escroquerie fiscale. Cette disposition réprime celui qui, par une tromperie astucieuse, aura soustrait une contribution représentant un montant important.

Le Tribunal pénal fédéral précise qu’une tromperie astucieuse suppose l’utilisation de manœuvres frauduleuses. Ces manœuvres peuvent constituer en l’interposition d’une société de domicile dont le but est de dissimuler des éléments fiscalement pertinents. Enfin, le montant soustrait est qualifié d’important lorsqu’il est égal ou supérieur à CHF 15’000.- en matière d’escroquerie fiscale au sens de l’art. 14 al. 2 DPA (ATF 139 II 404, consid. 9.4). En matière de blanchiment d’argent en lien avec un délit fiscal qualifié, le seuil de l’impôt soustrait est fixé à CHF 300’000.- par période fiscale (art. 305bis al. 1bis CP).

Le Tribunal pénal fédéral rappelle qu’en matière d’entraide judiciaire, il revient à l’Etat requérant d’étayer des soupçons suffisamment précis qu’une escroquerie fiscale a été commise. Sans avoir à juger de la culpabilité de la personne poursuivie, les autorités suisses doivent se déterminer sur les soupçons avancés pour déterminer si l’on est en présence d’une escroquerie fiscale. Cette exigence particulière a pour but d’éviter que les dispositions excluant la voie de l’assistance administrative en matière fiscale soient éludées par la voie de l’entraide judiciaire en matière pénale.

En l’espèce, le Tribunal pénal fédéral concède que la mise en place de la société andorrane comme intermédiaire est un indice plaidant pour un montage visant à éluder des impôts. Toutefois, le Tribunal pénal fédéral constate que la demande française ne permet pas de déterminer dans quelle mesure et pour quel montant l’État français a été lésé par l’éventuelle économie d’impôt. On ne peut donc pas déterminer si le seuil de l’impôt éludé de CHF 15’000.- en matière d’escroquerie fiscale (art. 14 al. 2 DPA), respectivement de CHF 300’000.- en matière de blanchiment d’argent (art. 305bis al. 1bis CP), a été dépassé. Enfin, les autorités requérantes ne démontrent pas suffisamment comment le gérant aurait participé au circuit atypique ni en quoi les documents bancaires sollicités seraient dans ce cadre pertinent.

La demande d’entraide n’expose ainsi pas de manière suffisamment précise qu’une escroquerie fiscale au sens de l’art. 14 al. 2 DPA a été commise.

Partant, le Tribunal pénal fédéral admet le recours et renvoie la cause au MP afin qu’il sollicite de l’État français des renseignements complémentaires permettant le cas échéant de rendre une nouvelle décision.

Proposition de citation : Tobias Sievert, La double incrimination en matière d’escroquerie fiscale, in : www.lawinside.ch/690/