L’inexploitabilité de la vidéosurveillance d’employés par la police

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ATF 145 IV 42 | TF, 20.12.2018, 6B_181/2018*

La mise en place d’une vidéosurveillance par la police constitue une mesure de contrainte qui aurait dû être ordonnée par le ministère public avec l’aval du tribunal de mesure de contrainte. L’accord de l’employeur, qui désire surveiller ses employés suspectés de vol, ne constitue pas un consentement à la mise en place d’une telle mesure. Dès lors que la police a installé la vidéosurveillance sans respecter ces exigences légales, les informations recueillies sont absolument inexploitables et doivent être détruites. 

Faits

Un gérant d’une Sàrl dépose une plainte pénale contre inconnu en raison de soupçons de vol d’argent liquide dans la caisse de son entreprise. La police installe une vidéosurveillance dans les locaux de l’entreprise avec l’accord des deux gérants de la société, mais sans en informer les employés.

Grâce à cette vidéosurveillance, le Ministère public du canton de Soleure dresse un acte d’accusation contre le voleur visible sur les vidéos. Alors que le tribunal de première instance l’acquitte, l’Obergericht le condamne. En effet, selon la seconde instance cantonale, la vidéosurveillance installée par la police ne constitue pas une mesure de contrainte au sens de l’art. 280 CPP en raison de l’accord des gérants. De plus, même si les employés n’avaient pas été pas informés de la mise en place d’une telle surveillance, cette dernière ne portait pas atteinte à leur sphère privée (STBER.2016.73 du 4 janvier 2018).

Le prévenu dépose un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral qui est amené à préciser la légalité d’une vidéosurveillance effectuée par la police.

Droit

L’art. 196 CPP définit les mesures de contrainte comme des actes de procédure des autorités pénales qui portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes intéressées. Le Tribunal fédéral souligne que l’élément décisif de cette notion consiste en l’atteinte aux droits fondamentaux.

L’art. 13 al. 2 Cst. prévoit que toute personne a le droit d’être protégée contre l’emploi abusif des données qui la concernent. Contrairement au libellé trop restreint de cette disposition, ce droit fondamental protège non seulement contre l’utilisation abusive de données personnelles, mais couvre en principe également l’ensemble des activités gouvernementales liées aux données, telles que la perception, la collecte, le stockage, la sauvegarde, le traitement ainsi que la transmission et la communication à des tiers. L’enregistrement vidéo tombe ainsi sous le coup de cette disposition. Contrairement à ce qu’avait retenu l’Obergericht, le Tribunal fédéral considère que la vidéosurveillance en question porte atteinte aux droits fondamentaux du prévenu et constitue  ainsi une mesure de contrainte.

L’accord des gérants quant à la mise en place de la vidéosurveillance n’y change rien puisque cette dernière visait les employés.

En l’espèce, la vidéosurveillance constitue indiscutablement une mesure technique de surveillance au sens de l’art. 280 CPP qui aurait dû être ordonnée par le ministère public avec l’aval du tribunal des mesures de contrainte. Dès lors que la police a installé la vidéosurveillance sans respecter ces exigences légales, les informations recueillies sont absolument inexploitables et doivent être détruites (art. 281 al. 4 cum art. 277 al. 1 CPP).

Le Tribunal fédéral classe la procédure pour les cinq jours où le prévenu a été filmé. Il considère toutefois qu’il peut exister d’autres moyens de preuves à charge du prévenu. Partant, il admet le recours et renvoie la cause à l’instance cantonale.

Note

L’Obergericht s’était référé, à l’appui de sa décision, à deux arrêts du Tribunal fédéral relatifs à l’exploitabilité de vidéosurveillance effectuée par des employeurs à l’encontre d’employés suspectés de vol.

Dans l’arrêt 6B_536/2009 du 12 novembre 2009, le Tribunal fédéral a considéré que la vidéosurveillance mise en place par l’employeur ne violait pas l’art. 26 al. 1 OLT 3 selon lequel il est interdit d’utiliser des systèmes de surveillance ou de contrôle destinés à surveiller le comportement des travailleurs à leur poste de travail. La vidéosurveillance ne portait pas non plus atteinte de manière illicite aux droits de la personnalité de l’employé au regard des art. 28 CC, 328 et 328b CO ainsi que de l’art. 12 LPD.

Dans l’arrêt 9C_785/2010 du 10 juin 2011 en matière d’assurances sociales, le Tribunal fédéral a examiné la proportionnalité d’une vidéosurveillance d’employés suspectés de vol. Il a admis le recours en soulignant l’intérêt public prépondérant d’une telle surveillance qui permet notamment de lever une suspicion générale de vol qui peut peser à l’encontre de plusieurs employés.

Comme le précise le Tribunal fédéral, ces deux cas visaient l’exploitabilité d’une vidéosurveillance mise en place par des particuliers, contrairement au cas résumé ci-dessus qui concerne une mesure de contrainte mise en place par la police.

Se pose dès lors la question de l’exploitabilité d’une vidéosurveillance si elle avait été directement mise en place par l’employeur plutôt que par la police. Pour examiner cette question, il faudrait tout d’abord examiner la licéité de cette vidéosurveillance au regard des art. 26 al. 1 OLT 3, 28 CC, 328 et 328b CO ainsi que de l’art. 12 LPD. Si une telle mesure constitue une atteinte illicite au droit de la personnalité des employés surveillés, il faut, dans un second temps, examiner l’exploitabilité de cette preuve illicite. De jurisprudence constante, les preuves recueillies illicitement par des particuliers peuvent être prises en considération pour autant qu’elles eussent pu être obtenues légalement par les autorités pénales et qu’une pesée des intérêts justifie leur exploitation (cf. notamment 1B_474/2017 du 8 novembre 2017, consid. 2.2).

En application de la jurisprudence susmentionnée, il semble que la vidéosurveillance privée d’employés suspectés de vol, pour autant qu’elle soit proportionnée, est licite. La question de l’exploitabilité ne se poserait donc pas. L’employeur aurait ainsi plutôt dû recourir lui-même à la vidéosurveillance et non demander de l’aide à la police. Ce résultat n’est toutefois pas forcément souhaitable, puisquil ne devrait pas, en principe, y avoir d’incitation à se faire justice soi-même.

À suivre toutefois la jurisprudence récente rendue en matière d’observation par des détectives privés, la mise en place d’une vidéosurveillance par l’employeur pourrait être illicite du seul fait qu’elle constitue une mesure de contrainte qui doit être ordonnée par le ministère public, et non par des particuliers (ATF 143 IV 387, consid. 4.2, résumé in LawInside.ch/504/). Cette jurisprudence ne devrait, à notre sens, pas s’appliquer puisqu’elle considère, à tort, comme illicite une surveillance mise en place par un particulier, alors que le CPP ne s’applique qu’aux autorités, et non aux particuliers lorsqu’ils recueillent par eux-mêmes de moyens de preuve (cf. art. 1 CPP ; pour un commentaire critique de cette jurisprudence, cf. Célian Hirsch, Les observations illicites sont-elles exploitables ?, in : Jusletter 19 février 2018).

Proposition de citation : Célian Hirsch, L’inexploitabilité de la vidéosurveillance d’employés par la police, in : www.lawinside.ch/711/

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