La responsabilité de la Confédération pour un retard à statuer

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TF, 18.12.2018, 2C_218/2018

Le justiciable qui veut actionner l’État pour déni de justice doit, au préalable, avoir interpellé l’autorité et déposé un recours pour déni de justice. Néanmoins, le justiciable qui interpelle l’autorité à de nombreuses reprises mais ne dépose pas de recours pour déni de justice, peut, s’il est de bonne foi, actionner l’État. Il pourra toutefois voir son indemnité réduite en raison de cette faute.

Faits

Un ressortissant brésilien dépose une demande d’asile en Suisse en 2001 avant de commencer des études de droit en 2004. A plusieurs reprises entre 2001 et 2009, le requérant s’informe de l’avancée de la procédure concernant sa demande d’asile et requiert qu’elle soit traitée plus rapidement ; il se rend notamment en personne auprès du Secrétariat d’État à deux reprises. Le 14 janvier 2013, l’asile lui est finalement accordé.

Le ressortissant brésilien actionne la Confédération qui, en raison du retard à statuer, l’aurait empêché de travailler pendant toute la durée de la procédure d’asile. En raison de cette absence de salaire, la Confédération lui devrait plus de CHF 4 millions à titre de dommages-intérêts.

Le Tribunal administratif fédéral déboute l’intéressé en lui reprochant de n’avoir pas déposé de recours pour déni de justice durant la procédure d’asile. Il aurait ainsi rompu le lien de causalité entre le retard dont il se plaignait et le dommage allégué (A-7009/2015).

Saisi par le ressortissant brésilien, le Tribunal fédéral doit examiner les conséquences de l’absence de recours pour déni de justice lorsqu’un justiciable actionne l’État en responsabilité pour déni de justice.

Droit

L’art. 3 al. 1 LRCF prévoit que la Confédération répond du dommage causé sans droit à un tiers par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, sans égard à la faute du fonctionnaire. L’art. 4 LRCF précise que, lorsque la partie lésée a consenti à la lésion ou lorsque des faits dont elle est responsable ont contribué à créer ou à augmenter le dommage, l’autorité compétente peut réduire les dommages-intérêts ou même n’en point allouer.

Le Tribunal fédéral a récemment considéré qu’une violation de l’art. 29 Cst., soit notamment un déni de justice, peut constituer un acte illicite susceptible d’engager la responsabilité de l’État (TF, 24.08.2018, 2C_34/2017*, résumé in : LawInside.ch/678). Néanmoins, une faute du lésé peut interrompre le lien de causalité adéquate entre l’acte illicite et le dommage (art. 44 al. 1 CO applicable par analogie). En application du devoir de réduire le dommage, le lésé doit notamment user de toutes les possibilités que la loi lui offre pour contester les mesures illégales ainsi que retards injustifiés de l’État.

Lorsqu’une procédure tarde de manière excessive, la partie doit en informer l’autorité, en application du principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.). Si, malgré cette interpellation, l’autorité ne réagit pas, le justiciable doit déposer un recours pour déni de justice. Ce n’est que de manière subsidiaire, c’est-à-dire si cette dernière démarche n’aboutit pas, que le lésé peut actionner l’État en raison de sa responsabilité pour déni de justice.

En l’espèce, l’intéressé était particulièrement actif : il a sollicité à plusieurs reprises et régulièrement un traitement plus rapide de sa demande d’asile. Même s’il n’a pas déposé de recours pour déni de justice, cela ne saurait pour autant interrompre le lien de causalité. En effet, le requérant craignait qu’un tel acte soit contre-productif sur la procédure d’asile, ce qui est compréhensible selon le Tribunal fédéral.

Dès lors, l’intéressé n’a pas agi de manière contraire à la bonne foi et c’est à tort que le Tribunal administratif fédéral l’a débouté en considérant que le lien de causalité avait été rompu par la faute du justiciable. Néanmoins, l’omission de déposer un recours pour déni de justice pourra être prise en compte dans la fixation du montant de l’indemnité, conformément à l’art. 4 LRCF.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie la cause à l’autorité précédente.

Proposition de citation : Célian Hirsch, La responsabilité de la Confédération pour un retard à statuer, in : www.lawinside.ch/713/