La révision de l’arrêt du Tribunal fédéral pour violation de la CEDH

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ATF 145 III 165 | TF, 05.03.2018, 5F_8/2018*

La révision de l’arrêt du Tribunal fédéral n’est pas nécessaire pour remédier à la violation de la CEDH constatée par la CourEDH (art. 122 LTF) lorsque la suspension de l’exécution du jugement cantonal (art. 337 al. 2 CPC) permettrait de remédier aux conséquences de la violation.

Faits

En 2009, les Jeunes UDC thurgoviens organisent une manifestation relative à l’initiative populaire contre les minarets. Dans ce contexte, un orateur déclare notamment qu’il est temps d’arrêter l’expansion de l’Islam et de défendre l’identité chrétienne suisse contre l’oppression. Une fondation publie un compte-rendu de cette manifestation sur son site Internet, sous l’onglet “racisme verbal“.

Le politicien exige en justice le retrait de cette publication. Les instances cantonales compétentes font droit à sa demande et interdisent à la fondation de maintenir le compte-rendu sur son site Internet, sous la menace des sanctions prévues à l’art. 292 CP. Le Tribunal fédéral rejette le recours de la fondation contre cette décision (ATF 138 III 641).

La fondation recourt contre cette décision auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH), au motif qu’elle viole sa liberté d’expression (art. 10 CEDH). La CourEDH constate que les décisions suisses enfreignent la liberté d’expression de la fondation et accorde à cette dernière un montant à titre de satisfaction équitable (art. 41 CEDH) (arrêt Gra Stiftung gegen Rasismus und Antisemitismus c. Suisse du 9 janvier 2018, 18597/13).

La fondation sollicite alors la révision de l’arrêt du Tribunal fédéral de 2012.

Le Tribunal fédéral est ainsi appelé à déterminer si les conditions pour une révision au sens de l’art. 122 LTF (révision pour violation de la CEDH) sont réunies.

Droit

Aux termes de l’art. 122 LTF , la révision d’un arrêt du Tribunal fédéral peut être demandée aux conditions cumulatives suivantes : (1) la CourEDH a constaté, dans un arrêt définitif, une violation de la CEDH ou de ses protocoles ; (2) une indemnité n’est pas de nature à remédier aux effets de la violation ; et (3) la révision est nécessaire pour remédier aux effets de la violation.

La réalisation de la première condition n’est pas litigieuse dans le cas d’espèce.

La deuxième condition (art. 122 let. b LTF) présuppose que des inconvénients concrets perdurent ensuite de la violation, nonobstant une indemnisation monétaire. Or, en l’absence de révision, l’interdiction judiciaire de la publication sur le site Internet de la fondation demeure en force. L’octroi d’une satisfaction équitable est ainsi inapte à remédier à la violation de la liberté d’expression in casu.

Pour que la révision s’impose, il faut encore qu’elle s’avère nécessaire pour remédier aux effets de la violation (art. 122 let. c LTF). Tel est en principe le cas lorsque la procédure nationale aurait pu connaître une issue différente en l’absence de violation de la CEDH. Cela étant, l’exigence de la “nécessité” reflète aussi la marge d’appréciation dont disposent les États membres dans la détermination du moyen le plus approprié pour rétablir une situation conforme à la CEDH. Dans ce cadre, le Tribunal fédéral relève que du point de vue du droit suisse, la révision constitue une voie de droit extraordinaire. Elle est ainsi subsidiaire par rapport aux éventuelles voies de droit ordinaires disponibles pour remédier à la violation de la CEDH.

Or, sous l’empire du CPC, lorsque le juge du fond a rendu des mesures d’exécution directe, la partie succombante peut demander la suspension de l’exécution auprès du tribunal de l’exécution (art. 337 al. 2 CPC). Ainsi, dans le cas d’espèce, la fondation pourrait demander la suspension de la menace des sanctions de l’art. 292 CP. Une telle suspension remédierait à tous les inconvénients de la violation de l’art. 10 CEDH, puisqu’elle permettrait à la fondation de publier le compte-rendu du rassemblement de 2009 sans risque de sanctions. Dans ces circonstances, la révision n’est pas nécessaire au sens de l’art. 122 let. c LTF .

Par ces motifs, le Tribunal fédéral rejette la demande de révision.

Note

Aux termes de l’art. 337 al. 2 CPC, l’art. 341 CPC est applicable par analogie en cas de demande d’exécution de la suspension. Ainsi, l’exécution de la décision est suspendue si les conditions de l’exécution ne sont plus remplies ou si de vrais novas s’opposent à l’exécution sous l’angle du droit matériel. Constituent notamment des conditions de l’exécution, la notification de la décision et son entrée en force (Message du Conseil fédéral relatif au Code de procédure civile suisse du 28 juin 2006, FF 2006 6841, 6991). A titre d’exemple d’exceptions de droit matériel admissibles dans ce contexte, la loi mentionne l’extinction, le sursis, la prescription et la péremption de la prestation due (art. 341 al. 3 CPC).

Nous relevons que l’art. 341 CPC s’applique uniquement par analogie en cas de demande de suspension de l’exécution, ce pourquoi d’autres motifs de suspension peuvent se présenter. Cela étant, il nous semble que selon l’esprit du CPC, il n’appartient pas au juge de l’exécution de revoir le fond de l’affaire.

Or, les arrêts de la CourEDH n’ont aucun effet cassatoire. Autrement dit, ils ne préjudicient pas le caractère exécutoire de la décision nationale qui enfreint la CEDH.

Dans ces circonstances, nous voyons mal en quoi la constatation d’une violation de la CEDH par la CourEDH constituerait un motif de suspension de l’exécution au sens de l’art. 337 al. 2 CPC.

Partant, la demande de suspension de l’exécution ne constitue pas à notre sens une voie de droit appropriée pour remédier à la violation de la CEDH. Il nous semble que le Tribunal fédéral utilise la suspension de l’exécution au sens de l’art. 337 al. 2 CPC dans un but étranger à la finalité de cette institution juridique. Selon nous, la voie de droit appropriée dans ce type de circonstances est bien la révision de l’art. 122 LTF , conçue précisément pour pallier l’absence d’effet cassatoire des arrêts de la CourEDH.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, La révision de l’arrêt du Tribunal fédéral pour violation de la CEDH, in : www.lawinside.ch/747/