La condamnation pénale d’un footballeur pour lésions corporelles par négligence

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ATF 145 IV 154 | TF, 05.03.2019, 6B_52/2019

En matière de lésions corporelles infligées lors d’une rencontre sportive, le comportement tacitement accepté par le lésé et le devoir de prudence de l’auteur se déterminent en fonction des règles de jeu applicables. Cela étant, les limites déterminantes pour le droit pénal ne sauraient se calquer définitivement sur le système de sanctions prévu par les règles du jeu. Dès lors, une violation grave des règles du jeu au sens du droit pénal ne suppose pas forcément une « faute grossière » selon ces mêmes règles. Il suffit que la faute commise comporte un caractère dangereux pour engendrer une application du droit pénal.

Faits

Lors d’un match de football dans le canton de Fribourg, un joueur tacle avec la jambe tendue un adversaire, possesseur du ballon, lui causant une fracture de la cheville. L’arbitre inflige au joueur un carton jaune pour « jeu dangereux ».

Le Juge de police de l’arrondissement de la Sarine condamne le joueur à une peine de travail d’intérêt général pour lésions corporelles simples par négligence. Le Tribunal cantonal fribourgeois confirme la condamnation.

Le joueur forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Celui-ci doit se prononcer sur la question des lésions corporelles infligées par négligence lors d’une rencontre sportive.

Droit

Selon l’art. 125 al. 1 CP, celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

Le Tribunal fédéral rappelle que deux conditions doivent être remplies pour qu’il y ait négligence. D’une part, l’auteur doit violer les règles de prudence. D’autre part, la violation du devoir de prudence doit être fautive (cf. art. 12 al. 3 CP).

En matière de lésions corporelles infligées lors d’une rencontre sportive, le comportement tacitement accepté par le lésé et le devoir de prudence de l’auteur se déterminent en fonction des règles de jeu applicables. Plus une règle visant à protéger l’intégrité corporelle d’un joueur est violée gravement, moins on pourra parler de la concrétisation d’un risque inhérent au jeu et plus une responsabilité pénale de l’auteur devra être envisagée.

Selon la Loi 12 « Fautes et incorrections » des Lois du jeu 2016/2017 de l’International Football Association Board, est considérée comme « jeu dangereux » sanctionné d’un avertissement toute action d’un joueur qui, en essayant de jouer le ballon, risque de blesser quelqu’un ou empêche l’adversaire de jouer le ballon par crainte d’être blessé. Le joueur est passible d’exclusion en cas de «  faute grossière », soit lorsqu’il agit avec violence, brutalité ou lorsque l’intégrité physique de l’adversaire est mise en danger.

Le Tribunal fédéral se demande si la violation de la règle du jeu en question a été suffisamment grave pour exclure le consentement tacite du joueur blessé compte tenu du risque de lésion inhérent à la pratique du football. En effet, selon l’appréciation de l’arbitre en l’espèce, le geste incriminé n’a pas été sanctionné par une exclusion pour « faute grossière  » mais – seulement – par un avertissement pour « jeu dangereux ».

A cet égard, le Tribunal fédéral est d’avis que les limites déterminantes pour le droit pénal ne sauraient se calquer définitivement sur le système de sanctions des règles de jeu. Une violation grave des règles de jeu au sens du droit pénal ne suppose donc pas forcément une « faute grossière » synonyme d’exclusion selon les règles de jeu. Une faute donnant lieu à un avertissement peut comporter un caractère dangereux, pour lequel on ne peut exclure une application du droit pénal.

En l’espèce, le tacle litigieux a été qualifié de « jeu dangereux » par l’arbitre, soit selon les règles de jeu une attitude par laquelle le joueur risque de blesser son adversaire. Indépendamment de la question de la qualification ou de la sanction prévue par les règles de jeu – avertissement ou exclusion –, on ne saurait considérer que le blessé aurait consenti à la lésion causée par un comportement dangereux violant les règles de jeu. Ainsi, considérant la dangerosité du tacle et le manque d’égard de l’auteur pour les conséquences de son geste, le Tribunal fédéral estime que celui-ci a violé son devoir de prudence de manière fautive.

Par conséquent, le Tribunal fédéral confirme la condamnation du joueur pour lésions corporelles simples par négligence et rejette le recours.

Proposition de citation : Tobias Sievert, La condamnation pénale d’un footballeur pour lésions corporelles par négligence, in : www.lawinside.ch/781/