Le conducteur d’un cyclomoteur en état d’ébriété, punissable comme un conducteur de véhicule automobile ?

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ATF 145 IV 206TF, 18.06.2019, 6B_451/2019*

Le cyclomoteur doit en principe être assimilé au véhicule automobile au sens des dispositions pénales de la LCR. Dès lors, le conducteur d’un cyclomoteur en état d’ébriété n’est pas simplement puni d’une amende (art. 91 al. 1 let. c LCR), mais peut se voir condamner à une peine privative de liberté de trois ans au plus ou à une peine pécuniaire (art. 91 al. 2 let. a LCR). 

Faits

Le 8 février 2018 vers 2h15, un conducteur de cyclomoteur circule en état d’ébriété avec un taux de 1.2 mg/l alors qu’il est sous le coup d’une mesure de retrait de permis et que les plaques de son cyclomoteur ne correspondent pas au cyclomoteur avec lequel il circule. De plus, son cyclomoteur n’est pas couvert par une assurance responsabilité civile.

Le Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois libère le conducteur des infractions de conduite en présence d’un taux d’alcool qualifié, de conduite d’un véhicule automobile sans autorisation, de circulation sans permis de circulation ou de plaques de contrôle, de circulation sans assurance responsabilité civile et d’usage abusif de permis et/ou de plaques de contrôle. Le Tribunal le condamne toutefois à une amende de CHF 2’500 en application de l’art. 91 al. 1 let. c LCR (conduite d’un véhicule sans moteur dans l’incapacité de conduire).

Sur appel du Ministère public, le Tribunal cantonal vaudois condamne le conducteur pour les infractions susmentionnées à une peine privative de liberté de six mois, notamment en application de l’art. 91 al. 2 let. a LCR (conduite en état d’ébriété d’un véhicule automobile).

Saisi par le conducteur, le Tribunal fédéral doit déterminer si un cyclomoteur est un véhicule automobile au sens des dispositions pénales la LCR.

Droit

Alors que l’art. 91 al. 1 let. c LCR punit de l’amende quiconque conduit un véhicule sans moteur alors qu’il se trouve dans l’incapacité de conduire, l’art. 91 al. 2 let. a LCR prévoit une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire pour le conducteur d’un véhicule automobile en état d’ébriété et présente un taux d’alcool qualifié dans le sang ou dans l’haleine.

L’art. 7 al. 1 LCR énonce la définition d’un véhicule automobile, soit tout véhicule pourvu d’un propre dispositif de propulsion lui permettant de circuler sur terre sans devoir suivre une voie ferrée.

L’art. 18 OETV précise la notion de cyclomoteur. Il s’agit notamment des véhicules monoplaces, à roues placées l’une derrière l’autre, pouvant atteindre une vitesse de 30 km/h au maximum de par leur construction, dont la puissance du ou des moteurs n’excède pas 1,00 kW au total et équipés (1) d’un moteur à combustion dont la cylindrée n’est pas supérieure à 50 cm3 ou (2) d’un système de propulsion électrique et d’une éventuelle assistance au pédalage jusqu’à 45 km/h.

Après le rappel de ces bases légales, le Tribunal fédéral expose l’évolution de sa jurisprudence. Alors qu’en 1964 il considérait que les cyclomoteurs n’étaient pas des véhicules automobiles mais des cycles (ATF 90 IV 83), il a relativisé sa jurisprudence en 1992 en précisant que l’assimilation des cyclomoteurs aux cycles n’était jamais totale (ATF 118 IV 192). Plus récemment, en 2014, la Ière Cour de droit public du Tribunal fédéral a considéré, dans un obiter dictum, que les cyclomoteurs n’étaient pas des véhicules automobiles au regard des dispositions pénales de la LCR (1C_766/2013).

La majorité de la doctrine soutient néanmoins que les cyclomoteurs ne peuvent pas être qualifiés comme des véhicules sans moteur au sens de l’art. 91 al. 1 let. c LCR. En particulier, ces véhicules possèdent un moteur (cf. art. 18 OETV susmentionné) et leur utilisation est soumise à certaines restrictions (nécessité d’un permis “M”, de plaques, possible retrait du permis en cas de conduite en état d’incapacité, port du casque obligatoire). Le cyclomoteur se distingue en cela des cycles (art. 24 OETV).

Afin de rejoindre la doctrine majoritaire, le Tribunal fédéral rappelle que son ancienne jurisprudence se fondait sur des dispositions légales qui assimilaient les cyclomoteurs aux cycles, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Concernant l’arrêt plus récent, ce dernier traitait de prescriptions administratives et l’affirmation de l‘obiter dictum quant à la qualification des cyclomoteurs n’était pas approfondie.

Partant, le cyclomoteur ne peut plus être assimilé sans réserve aux véhicules sans moteur mais doit être considéré comme un véhicule automobile lorsque son conducteur conduit en état d’ébriété. La peine applicable n’est ainsi pas l’amende (art. 91 al. 1 let. c LCR), mais bel et bien une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire (art. 91 al. 2 let. a LCR). Le Tribunal fédéra confirme donc sur ce point le raisonnement la seconde instance cantonale.

Il en va de même pour les dispositions concernant la conduite d’un cyclomoteur malgré un retrait de permis. Ainsi, l’art. 95 al. 4 let. a LCR qui punit de l’amende quiconque conduit un cycle alors que la conduite lui en a été interdite, n’est pas applicable. L’instance cantonale a dès lors appliqué à juste titre l‘art. 95 al. 1 let. b LCR (conduite sans autorisation d’un véhicule automobile).

Concernant la conduite du cyclomoteur sans permis ni assurance responsabilité civile, l’art. 145 OAC aménage un régime pénal particulier pour les conducteurs de cyclomoteurs en prévoyant une contravention. Cette norme s’applique ainsi comme lex specialis et l’emporte sur l’art. 96 LCR, norme qui prévoit une amende pour la conduite sans permis de circulation, sans autorisation ou sans assurance-responsabilité civile. L’instance cantonale a ainsi appliqué à tort cette seconde norme.

Enfin, la conduite du cyclomoteur avec d’autres plaques est réprimée par l’art. 97 LCR, lequel est applicable en concours parfait avec l’art. 145 OAC. L’instance cantonale n’a ainsi pas violé le droit fédéral en condamnant le conducteur en application de cette disposition.

Partant, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours et renvoie la cause à l’instance cantonale concernant la conduite sans permis ni assurance responsabilité civile.

Note

Le terme “cyclomoteur” comprend en particulier les vélos électriques munis d’une assistance au pédalage leur permettant d’atteindre jusqu’à 45 km/h (art. 18 let. a ch. 2 OETV).

Cette catégorie de véhicules étant en constante augmentation en Suisse, leurs conducteurs devraient probablement être mieux informés à propos des peines qu’ils peuvent encourir en cas de violation de la LCR. Cet arrêt a au moins le mérite de clarifier qu’ils sont, en règle générale, considérés et punis comme des conducteurs de véhicules automobiles.

Néanmoins, et selon notre compréhension, l’arrêt résumé ici ne clarifie pas le sort à réserver aux autres cyclomoteurs mentionnés à l’art. 18 let. b à d OETV, soit les cyclomoteurs léger (notamment les vélos électriques limités à 25 km/h), les fauteuils roulants motorisés ainsi que les gyropodes électriques.

Bien que ces trois catégories tombent dans la définition de “cyclomoteur” au sens de l’art. 18 OETV, elles ne sont pas soumises aux mêmes normes concernant les plaques, le permis (art. 5 al. 2 let. d, e et f OAC et art. 72 al. 1 let. k et l OAC) et l’assurance responsabilité civile (art. 38 al. 1 let. c et d OAV). Elles se distinguent en cela des cyclomoteurs mentionnés à l’art. 18 let. a OETV. Néanmoins, ces véhicules sont bel et bien équipés d’un moteur, ce qui les rapproche de la définition de véhicule automobile au regard de l’art. 7 al. 1 LCR.

Malgré le fait qu’ils soient moins dangereux que les vélos électriques pouvant atteindre 45 km/h, il n’est de loin pas exclu que les tribunaux considèrent ces autres cyclomoteurs comme des véhicules automobiles et leur appliquent dès lors les dispositions pénales de la LCR, notamment l’art. 91 al. 2 let. a LCR pour la conduite en état d’ébriété.

Pour un aperçu plus général de la réglementation des vélos électriques et autres véhicules électriques, cf. Mizel Cédric, La grande famille des vélos, véhicules assimilés, petits engins motorisés … et des piétons, in : Circulation routière 3/2017, p. 7 ss, lequel plaide notamment, mais de manière probablement trop sévère, pour un “Via sicura des cyclistes (motorisés)”.

L’auteur du résumé est un adepte du “cyclomoteur” et ne saurait ainsi prétendre à une quelconque impartialité.

Proposition de citation : Célian Hirsch, Le conducteur d’un cyclomoteur en état d’ébriété, punissable comme un conducteur de véhicule automobile  ?, in : www.lawinside.ch/800/