La réduction de l’imputation forfaitaire d’impôt pour une société bénéficiant du statut holding

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ATF 145 II 339 | TF, 03.07.2019, 2C_306/2017*

Lorsqu’une société est au bénéfice d’un statut holding et qu’elle est ainsi exonérée de l’impôt sur le bénéfice aux niveaux cantonal et communal, les autorités fiscales suisses sont en droit de réduire en conséquence l’imputation forfaitaire d’impôt prévue par les Conventions en vue d’éviter les doubles impositions. La charge fiscale totale ne doit toutefois pas excéder celle qui aurait résulté d’une imposition ordinaire en Suisse.

Faits

Une société à responsabilité limitée est taxée de manière ordinaire pour l’impôt fédéral direct. Aux niveaux cantonal et communal, elle est exemptée de l’impôt sur le bénéfice en tant que société holding (art. 28 al. 2 LHID). La société réalise des revenus de licence dans des pays avec lesquels la Suisse a conclu des Conventions en vue d’éviter les doubles impositions (« CDI  »), notamment le Japon. Ces pays imposent à la source les revenus de licence réalisés sur leur territoire. Sur le fondement des CDI applicables, la société réclame des autorités fiscales du canton de Zurich une réduction forfaitaire de l’impôt en raison des impôts payés à l’étranger. Les autorités zurichoises accordent la réduction, mais en diminuant le montant de celle-ci de deux tiers au motif que la société est exonérée des impôts cantonaux et communaux. L’autorité cantonale de recours confirme cette décision.

La société forme un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci est appelé à déterminer si les CDI applicables autorisent la diminution de deux tiers du montant de l’imputation forfaitaire d’impôt, telle qu’entreprise par les autorités fiscales conformément à l’Ordonnance relative à l’imputation forfaitaire d’impôt (« OIFI  ») .

Droit

L’OIFI permet aux contribuables qui font l’objet d’une double imposition de demander une réduction forfaitaire de l’impôt suisse. La charge résultant de cette réduction doit être répartie entre la Confédération, les cantons et les communes, au même titre que l’est la souveraineté fiscale. Dans ce cadre, sur délégation de compétence (art. 2 let. e de la Loi fédérale concernant l’exécution des conventions internationales conclues par la Confédération en vue d’éviter les doubles impositions), le Conseil fédéral a fixé la clé de répartition de manière forfaitaire, à savoir un tiers à la charge de la Confédération et deux tiers à la charge des cantons. Le Tribunal fédéral précise que si une entité publique renonce à imposer en Suisse un revenu déjà soumis à l’impôt étranger, les autres entités étatiques ne sont pas solidairement tenues envers le contribuable de compenser pour la part de cette entité. Ainsi la répartition ci-dessus affecte également le contribuable, car son droit à la réduction forfaitaire est réduit de deux tiers si son revenu imposable est soumis uniquement à l’impôt fédéral (art. 3 al. 2 en lien avec l’art. 12 al. 1 OIFI).

La recourante invoque une violation des CDI pertinentes, estimant que le système présenté ci-dessus ne permet pas à la Suisse de respecter ses obligations internationales au regard des conventions. Le Tribunal fédéral analyse ces dernières – en prenant à titre d’exemple celle conclue avec le Japon (« CDI CH-JP ») – et constate qu’elles prévoient toutes que la Suisse accorde une réduction aux personnes sises en Suisse tirant des revenus de licence d’un autre Etat partie. Il interprète la CDI CH-JP à la lumière de la Convention de Vienne sur le droit des traités (« CV  »), laquelle prévoit qu’il convient d’interpréter la convention de manière à en garantir l’effet utile (art. 31 al. 3 CV). Cette interprétation de la CDI CH-JP ne permet néanmoins pas d’établir clairement si la Suisse est autorisée à n’accorder l’imputation qu’au prorata en cas d’imposition uniquement au niveau fédéral, et d’exonération au niveau des impôts cantonaux et communaux. Ce qui est clair, en revanche, est que seul ce qui est effectivement prélevé à l’étranger peut être réduit en Suisse. Enfin, le Tribunal fédéral s’intéresse aux circonstances de la conclusion du traité, et constate que c’est précisément la structure fédérale de la Suisse qui se trouve à l’origine du système de la réduction forfaitaire d’impôt. Le Japon a d’ailleurs été informé du fonctionnement fédéral de la Suisse et des particularités fiscales qui en découlent, la CDI CH-JP les exposant clairement. Dans ces circonstances, la CDI CH-JP ne peut interdire à la Suisse de réduire l’imputation forfaitaire lorsque deux des trois collectivités publiques compétentes ne prélèvent aucun impôt sur les revenus concernés.

En l’occurrence, le Tribunal fédéral admet que la réduction proportionnelle du droit de la société à l’imputation forfaitaire peut avoir pour conséquence une double imposition d’une partie des bénéfices. Or, la CDI a pour objectif d’éviter qu’une personne soit taxée à deux reprises, par les autorités fiscales de deux Etats différents, sur les mêmes revenus et pour la même période. Le Tribunal fédéral précise toutefois que la prévention de la double imposition n’est pas une fin en soi ; il s’agit plutôt d’éviter les conséquences dommageables que cette imposition pourrait avoir sur la concurrence. En définitive, ces conventions visent donc la neutralité concurrentielle des impôts. Or, le Tribunal fédéral rappelle que le statut spécial holding, dont jouit la société , fait depuis longtemps l’objet de critiques, de l’Union Européenne notamment, selon laquelle ce régime fausserait la concurrence (cf. Décision de la Commission du 13 février 2007 concernant l’incompatibilité de certains régimes suisses d’impôt sur les sociétés avec l’accord entre la Communauté économique européenne et la Confédération suisse).

En l’espèce, l’imposition de la société suite à la réduction de l’imputation forfaitaire s’apparente à celle qu’elle supporterait en l’absence de statut spécial holding. Le Tribunal fédéral voit dès lors mal en quoi un tel fardeau fiscal serait contraire à la neutralité fiscale, étant donné que la compatibilité du statut fiscal de société holding avec la libre concurrence est elle-même controversée sur le plan international.

Fort de ces considérations, le Tribunal fédéral conclut que la réduction de l’imputation forfaitaire, dans un tel cas, ne va pas à l’encontre du but des CDI, pour autant que la charge fiscale totale n’excède pas celle qui aurait résulté d’une imposition ordinaire aux trois niveaux d’imposition : fédéral, cantonal et communal. Le Tribunal fédéral arrive ainsi à la conclusion que le régime de l’imputation forfaitaire d’impôt prévu par l’OIFI ne viole pas les engagements internationaux de la Suisse en vertu des différentes CDI applicables.

Partant, il rejette le recours.

Note 

Rédigée par Tobias Sievert

En l’état, les sociétés de participations « holdings  » bénéficient d’un statut fiscal privilégié accordé par les cantons. Avec ce statut, la société holding est exonérée de l’impôt sur le bénéfice au niveau cantonal et communal. Les instances européennes, en particulier le Forum OCDE, ont déclaré le statut fiscal holding accordé par la Suisse comme étant une pratique fiscale dommageable. Ainsi, avec l’entrée en vigueur le 1er janvier 2020 de la réforme fiscale et du financement de l’AVS (RFFA) acceptée en votation populaire du 19 mai 2019, les statuts fiscaux privilégiés – dont le statut fiscal holding – accordés par les cantons à certaines sociétés seront abolis.

Cela étant, la charge fiscale supportée par une société holding “pure” ne devrait pas être modifiée avec l’entrée en vigueur de la RFFA. En effet, la perte du statut fiscal holding sera compensé par le régime de la réduction pour participations (cf. art. 69 et 70 LIFD). Ce régime prévoit que l’impôt est réduit proportionnellement au rapport entre le rendement des participations et le bénéfice net total de la société. Ainsi, dans l’hypothèse où le bénéfice d’une société résulte uniquement de participations (société holding “pure”), l’impôt est réduit à néant.

La réduction pour participations ne devrait pas s’appliquer aux revenus de licence qu’une société holding percevra, comme dans l’arrêt du Tribunal fédéral résumé ci-dessus, étant donné que ces revenus ne résultent pas de participations. Ainsi, sauf application de la patent box ou d’autres institutions similaires, les revenus de licence perçus par une société devraient faire l’objet d’une imposition ordinaire aux trois niveaux d’imposition (fédéral, cantonal et communal). La réduction de l’imputation forfaitaire d’impôt devrait alors également pouvoir s’appliquer sans réduction proportionnelle.

Proposition de citation : Marion Chautard, La réduction de l’imputation forfaitaire d’impôt pour une société bénéficiant du statut holding, in : www.lawinside.ch/818/