La mise en danger de la santé de nombreuses personnes selon l’art. 19 al. 2 let. nLStup

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ATF 145 IV 312TF, 29.07.2019, 6B_504/2019*

Nonobstant la révision de l’art. 19 al. 2 let. a LStup, la quantité de drogue demeure le critère central pour déterminer si l’infraction met en danger la santé de nombreuses personnes au sens de cette disposition. S’agissant de méthamphétamine, le juge peut sans arbitraire présumer un taux de pureté moyen de 70 % aux fins de son analyse.

Faits

Un individu met à disposition d’un ami l’adresse de sa compagne pour la livraison des stupéfiants suivants, commandés en ligne : 28 grammes de crystal meth, 100 pilules d’ecstasy et 100 grammes de MDMA. Le prévenu prend possession des deux premiers colis pour le compte de son ami. La douane intercepte néanmoins le troisième colis.

Le prévenu se voit alors condamné pour infraction à la Loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup). Le Tribunal de police retient la réalisation du cas aggravé de l’art. 19 al. 2 let. a LStup. Le prévenu forme appel auprès de la cour cantonale compétente, sans succès.

Saisi par le prévenu, le Tribunal fédéral est appelé à préciser la notion de mise en danger de la santé de nombreuses personnes au sens du nouvel art. 19 al. 2 let. a LStup. En particulier, le Tribunal fédéral doit clarifier si la jurisprudence rendue à ce sujet sous l’empire de l’ancienne LStup demeure pertinente.

Droit

Aux termes de l’art. 19 al. 1 let. c LStup, celui qui aliène ou prescrit sans droit des stupéfiants, en procure de toute autre manière à un tiers ou en met dans le commerce encourt une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire. La peine est d’un an de privation de liberté au moins en présence de certaines circonstances aggravantes, notamment lorsque l’auteur sait ou ne peut ignorer que l’infraction peut mettre en danger la santé de nombreuses personnes (art. 19 al. 2 let. a LStup).

De jurisprudence constante, un risque pour la santé de nombreuses personnes existe lorsque la quantité de stupéfiants est propre à causer la dépendance de 20 personnes au moins. Sur la base d’une expertise, le Tribunal fédéral a fixé les seuils à partir desquels cette condition était remplie en ce qui concerne l’héroïne, la cocaïne, et le LSD respectivement. Ces seuils ont trait à la quantité de drogue pure. S’il n’est pas possible d’établir le degré de pureté de la drogue dans le cas d’espèce, le juge peut se référer au taux moyen de pureté de la substance pertinente sur le marché. Lorsque l’infraction implique plusieurs types de stupéfiants, il convient d’apprécier le danger dans son ensemble. Dans une telle situation, le cas aggravé peut ainsi être réalisé même si la quantité de chaque substance n’excède pas les seuils susmentionnés.

Cette jurisprudence a été rendue au regard de l’ancienne LStup. La lettre de l’art. 19 al. 2 let. a aLStup mentionnait expressément la quantité de stupéfiant comme critère déterminant. Or, tel n’est plus le cas. On peut dès lors se demander si la jurisprudence susvisée demeure applicable. Par ailleurs, certains auteurs ont critiqué les seuils fixés par le Tribunal fédéral pour la mise en danger d’un grand nombre de personnes, les jugeant excessivement bas.

Selon les travaux préparatoires, la modification de l’art. 19 al. 2 let. a LStup vise à permettre la prise en considération, en sus de la quantité de drogue, d’autres éléments dans l’analyse de la mise en danger de nombreuses personnes, par exemple le risque d’overdose, la forme d’application et le mélange avec d’autres substances psychotropes. Partant, le législateur n’a pas voulu écarter toute prise en compte de la quantité de drogue dans l’analyse du cas aggravé, mais plutôt de permettre la prise en compte d’autres éléments. La quantité demeure ainsi un élément central d’appréciation. Au demeurant, la jurisprudence fédérale existante a établi les seuils de quantité aptes à mettre en péril la santé de nombreuses personnes selon le risque de dépendance propre à chaque substance. Nonobstant les critiques doctrinales, le Tribunal fédéral retient qu’un revirement de jurisprudence à ce sujet ne s’impose pas. La jurisprudence rendue sous l’empire de l’ancienne LStup demeure donc applicable.

Le cas d’espèce porte notamment sur la mise à disposition de méthamphétamine. Le Tribunal fédéral n’a encore jamais tranché quel seuil s’applique à la méthamphétamine sous l’angle de l’art. 19 al. 2 let. a LStup. Sur la base des données statistiques de la SSML et d’une étude conjointe d’Addiction Suisse, de l’Université de Lausanne et du CHUV, la cour cantonale a retenu un taux de pureté moyen de la méthamphétamine en Suisse de l’ordre de 70 %. Cette appréciation des faits n’apparaît pas arbitraire. En tout état, le recourant a mis à disposition d’autrui non seulement de la crystal meth, mais aussi de l’ecstasy et de la MDMA. La cour cantonale pouvait sans violer le droit fédéral retenir que ce faisant, le prévenu a mis en danger la santé de nombreuses personnes.

Le recours est ainsi rejeté.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, La mise en danger de la santé de nombreuses personnes selon l’art. 19 al. 2 let. nLStup, in : www.lawinside.ch/821/

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