Le cumul d’actions en cas de pluralité de procédures et la notion de consignation de loyer au sens de l’art. 243 al. 2 CPC

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ATF 146 III 63 | TF, 04.11.2019, 4A_182/2019*

Un cumul d’actions au sens de l’art. 90 CPC est possible même lorsque les prétentions regroupées ont préalablement été invoquées dans deux procédures de conciliation distinctes. Les litiges concernant la consignation de loyer soumis à la procédure simplifiée selon l’art. 243 al. 2 lit. c CPC englobent toutes les prétentions liées à des défauts de la chose louée invoquées dans le cadre d’une procédure de consignation.

Faits

Une Sàrl loue à une SA un centre de tennis dans le canton d’Argovie. En cours de bail, les parties rencontrent des désaccords. Deux procédures de conciliation sont ouvertes par la locataire et le loyer est consigné. Les parties ne trouvent toutefois pas d’accord, de sorte que l’autorité de conciliation délivre deux autorisations de procéder. Sur cette base, la locataire ouvre une unique action, dans laquelle elle rassemble ses prétentions découlant des deux procédures de conciliation, devant le Berziksgericht de Bremgarten, qui entre en matière par le biais d’une décision incidente. La bailleresse recourt contre celle-ci auprès du Tribunal cantonal d’Argovie. Suite au rejet de son recours, la SA forme un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral doit se prononcer sur la possibilité de regrouper les revendications issues de deux procédures de conciliation distinctes dans une seule et même action judiciaire, ainsi que sur la notion de litiges concernant la consignation de loyer soumis à la procédure simplifiée selon l’art. 243 al. 2 lit. c CPC.

Droit

Le Tribunal fédéral confirme que la délivrance par l’autorité de conciliation d’une autorisation de procéder valable constitue une condition de recevabilité, mais précise que l’art. 209 CPC n’exclut pas que plusieurs autorisations soient présentées à la base de l’action. En effet, cette exigence vise uniquement à prouver que les parties ont tenté de trouver un accord avant de porter leur litige devant les autorités judiciaires. Le Tribunal fédéral ajoute que bien que l’art. 90 CPC n’en dispose pas explicitement, il peut être interprété en ce sens que le demandeur peut décider au stade de l’action judiciaire de regrouper ses différentes prétentions dans une procédure.

Le Tribunal fédéral précise que la litispendance, introduite par le dépôt de la requête de conciliation selon l’art. 62 al. 1 CPC, ne s’oppose pas non plus au cumul d’actions. Elle fixe les parties ainsi que l’objet du litige, mais ce dernier peut encore être modifié dans les limites des art. 227 et 230 CPC (cf. ATF 142 III 782, consid. 3.1.3.1, résumé in LawInside.ch/351/). A fortiori, on ne voit ainsi pas pour quelle raison la litispendance s’opposerait à un cumul d’actions tel que celui d’espèce, qui se borne à regrouper les conclusions de deux procédures de conciliation dans une action commune.

La demanderesse était ainsi en droit de regrouper ses prétentions en application de l’art. 90 CPC.

L’art. 243 al. 2 lit. c CPC soumet notamment à la procédure simplifiée les litiges portant sur des baux à loyer qui concernent la consignation de loyer. Le Tribunal fédéral relève que le champ d’application de cette disposition est controversé dans la doctrine et la jurisprudence cantonale. Selon une partie de la doctrine, rejointe par le Tribunal cantonal zurichois, la notion de consignation de loyer comprend tous les droits relatifs aux défauts, au sens de l’art. 259a CO, invoqués dans le cadre de la procédure de consignation, ce quelle que soit la valeur litigieuse. Une autre partie de la doctrine considère que cette notion inclut uniquement les droits relatifs aux défauts qui sont invoqués dans la procédure de consignation après que celle-ci a eu lieu, et ceux qui complètent ou justifient la consignation. Finalement, certains défendent la conception selon laquelle seules la réparation du défaut ou l’exécution par substitution vaut consignation, mais pas une prétention en dommages et intérêts excédant CHF 30’000.-.

Le Tribunal fédéral cite les art. 259g – 259i CO, qui règlent la consignation en matière de bail, et souligne que l’art. 259g al. 1 CO subordonne la consignation du loyer à la réparation d’un défaut. Il précise toutefois que la notion de consignation de l’art. 243 al. 2 lit. c CPC doit être interprétée à la lumière du but de la loi, qui est de donner au locataire un moyen de faire valoir ses droits au sens large, c’est-à-dire non seulement ceux qui sont liés à la réparation des défauts, mais également les éventuelles prétentions en diminution de loyer et en dommages et intérêts. Les litiges concernant la « consignation de loyer » englobent donc, indépendamment de la valeur litigieuse, tous les droits qui sont liés à des défauts au sens de l’art. 259a al. 1 CO, que le locataire invoque dans le cadre d’une procédure de consignation et pour lesquels la consignation fonctionne comme moyen de pression.

En l’espèce, en raison du cumul d’actions, le tribunal doit trancher dans la même procédure à la fois la question de l’élimination des défauts, celle du loyer consigné et celles des autres prétentions liées aux défauts, de sorte qu’il n’est pas déterminant que certaines prétentions aient déjà été pendantes avant la consignation. Considérée dans son ensemble, l’action constitue ainsi un litige ayant trait à la consignation de loyer au sens de l’art. 243 al. 2 lit. c CPC.

Le Tribunal fédéral conclut que le litige est soumis à la procédure simplifiée en application de l’art. 243 al. 2 lit. c CPC, ce pourquoi il relève de la compétence des tribunaux ordinaires et non pas du tribunal de commerce. C’est ainsi à bon droit que le Berziksgericht est entré en matière sur le cumul d’actions.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Marion Chautard, Le cumul d’actions en cas de pluralité de procédures et la notion de consignation de loyer au sens de l’art. 243 al. 2 CPC, in : www.lawinside.ch/848/