L’intérêt à agir en contestation de l’état de collocation

Télécharger en PDF

ATF 146 III 113 | TF, 15.01.2020, 5A_535/2018*

Un créancier peut avoir intérêt à agir en contestation de l’état de collocation (art. 250 LP) même si le dividende de faillite attendu est nul, notamment afin d’éviter une éventuelle action du défendeur à son encontre selon l’art. 260 LP.

Faits

Une société fait faillite. Le canton de Thurgovie et l’ancien président du conseil d’administration de la société comptent parmi les créanciers colloqués en troisième classe. Selon l’estimation de l’office des faillites, le dividende de faillite attendu est égal à zéro.

Le président du conseil d’administration conteste en justice l’admission à l’état de collocation des créances du canton. Il obtient gain de cause en première instance. Sur appel du canton, l’Obergericht du canton de Thurgovie retient que le président du conseil d’administration n’a pas d’intérêt à agir et que son action est dès lors irrecevable.

Le président du conseil d’administration forme recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Il s’agit de déterminer si un créancier peut avoir un intérêt à agir en contestation de l’état de collocation (art. 250 LP) lorsque le dividende de faillite attendu est nul.

Droit

Selon le Tribunal fédéral, il convient d’examiner la question à la lumière de l’évolution de la jurisprudence fédérale en la matière : initialement, le Tribunal fédéral retenait qu’en cas d’action en contestation de l’état de collocation, la valeur litigieuse équivalait au montant de la créance contestée. En 1939, il a opéré un revirement de jurisprudence selon lequel la valeur litigieuse dépendait désormais du dividende supplémentaire qui reviendrait au demandeur en cas de succès (ATF 68 III 28). Cette approche a été confirmée à de multiples reprises, mais a fait l’objet de vives critiques doctrinales, notamment en raison des difficultés pratiques que pose la référence au dividende de faillite estimé et de l’importance de l’état de collocation non seulement pour le dividende de faillite, mais aussi pour les droits ultérieurs du demandeur (Verlustscheinsund Nachbezugsrechte). Au regard de ces critiques, le Tribunal fédéral a précisé qu’une action en contestation de l’état de collocation pouvait être admise même lorsque le dividende de faillite attendu était de 0 %, pour autant que le demandeur ait un intérêt à agir  (ATF 82 III 94).

En l’espèce, l’instance précédente a retenu ce qui suit : le dividende de faillite attendu étant de zéro, le président du conseil d’administration agissait uniquement afin d’éviter une éventuelle action en responsabilité du canton suite à une cession des droits de la masse selon l’art. 260 LP. Cet intérêt n’était pas digne de protection. Faute d’intérêt à agir, l’action était irrecevable.

La doctrine admet au contraire un intérêt légitime du créancier à contester l’état de collocation afin d’éviter une future action du défendeur à son encontre conformément à l’art. 260 LP (cession des droits de la masse). Selon le Tribunal fédéral, cette approche doctrinale est cohérente avec les objectifs de la jurisprudence susvisée, qui vise précisément à prendre en compte non seulement l’intérêt à un dividende de faillite plus élevé, mais aussi les autres intérêts du demandeur.

Par ailleurs, certains arrêts cantonaux soulignent à juste titre que la masse a intérêt à l’épuration de l’état de collocation même si le dividende de faillite attendu est de 0 %. En effet, les créanciers admis en troisième classe concourront au marc le franc également à un stade ultérieur, notamment en cas de réouverture de la faillite (Nachkonkurs). Ceci fonde un intérêt du créancier à agir conformément à l’art. 250 LP également lorsque le dividende de faillite prévu est nul.

Dans ces circonstances, le président du conseil d’administration a un intérêt à agir en contestation de l’état de collocation. Le recours est admis.

Note

Du point de vue de la recevabilité, le Tribunal fédéral admet que la question litigieuse constitue une question juridique de principe. Elle n’est pas susceptible de se poser dans le cadre d’une procédure dont la valeur litigieuse atteindrait CHF 30,000, puisque la valeur litigieuse est par définition symbolique lorsque les créanciers doivent s’attendre à ne recevoir aucun dividende de faillite.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, L’intérêt à agir en contestation de l’état de collocation, in : www.lawinside.ch/874/