La requalification du bonus en salaire

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ATF 141 III 407 – TF, 11.08.2015, 4A_653/2014*

Faits

Un employé est au bénéfice d’un système de rémunération variable qui comprend un salaire de 300’000 francs par année et un bonus. Selon le contrat conclu avec son employeur, l’employeur pouvait récupérer le bonus au prorata, si l’employé devait démissionner dans une période de deux ans à compter du 21 janvier 2009.

En mars 2009, l’employé résilie son contrat de travail auprès de son employeur pour le 30 juin 2009, soit 18 mois avant l’échéance prévue par le contrat. Conformément au contrat, l’employeur refuse de verser la totalité du bonus et retient 636’000 francs de bonus. Ainsi, pour l’année 2009, l’employé a perçu un salaire de 150’000 francs et un bonus en espèce de 212’000 francs (pour six mois de travail), soit un total de 362’000 francs.

L’employé ouvre action en paiement contre son (ancien) employeur et lui réclame un montant de près de 3’000’000 de francs à titre de bonus. En première instance, l’employeur est condamné à verser un montant d’environ 1’000’000 de francs à son ancien employé. Sur appel, la Cour cantonale réduit le montant à environ 150’000 francs, considérant que la part de bonus qui dépasse un revenu global de 500’000 francs par an ne peut être requalifiée comme un salaire.

L’employeur forme un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit trancher la question de savoir dans quelle mesure un bonus doit être assimilé à un salaire.

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle que lorsque le bonus est bien plus élevé que le salaire annuel et qu’il est versé régulièrement, il doit être exceptionnellement considéré comme un élément du salaire, de sorte que l’employé ne peut en être privé (art. 341 al. 1 CO), et ce, même si l’employeur en réserve le caractère facultatif. Cela s’explique par le fait que la gratification (art. 322d CO) doit rester accessoire par rapport au salaire (art. 322 s. CO) et ne peut avoir qu’une importance secondaire dans la rémunération du travailleur (critère d’accessoriété).

En revanche, cette exception ne s’applique pas lorsque la rémunération de l’employé est très élevée. Dans ce cas, il y a lieu d’admettre que le bonus constitue une gratification, quelle que soit sa proportion avec le salaire. Dans une telle situation, le travailleur ne nécessite pas une protection particulière qui justifierait ­une entorse à la liberté contractuelle. Ainsi, dès l’instant où la rémunération dépasse un certain seuil, le critère d’accessoriété n’est pas applicable. Dans ce cas, le bonus ne peut pas être requalifié en salaire.

Reste à savoir quel est le seuil à partir duquel un revenu est considéré comme étant très élevé. Le Tribunal fédéral précise que ce seuil se mesure selon la totalité de la rémunération perçue par l’employé au cours d’une année donnée (salaire de base et bonus). Pour calculer le seuil, le Tribunal fédéral choisit une méthode variable qui se fonde sur le salaire médian suisse multiplié par un facteur de cinq. Le montant qui en résulte (environ 350’000 francs) constitue le seuil à partir duquel une rémunération est considérée comme étant très élevée, de telle sorte qu’elle échappe au critère d’accessoriété et ne peut être requalifiée en salaire.

En conclusion, lorsque la rémunération totale de l’employé équivaut ou dépasse cinq fois le salaire médian suisse (secteur privé), le bonus constitue une gratification qui demeure au bon vouloir de l’employeur.

En l’espèce, l’employé a perçu une rémunération de 362’000 francs pour une durée de six mois. Cette rémunération est supérieure à la valeur seuil ramenée à six mois qui s’élève à 175’000 francs (350’000/2) de sorte que la totalité du bonus reste une gratification et peut être contractuellement retirée.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et déboute l’employé de toute prétention.

Proposition de citation : Alborz Tolou, La requalification du bonus en salaire, in : www.lawinside.ch/88/

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