Mise sous scellés et moyens de preuve issus de l’entraide nationale

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Contribution du Prof. Yvan Jeanneret à l’occasion des cinq ans de LawInside.ch

Pour célébrer les cinq ans de LawInside.ch, nous avons demandé à des personnalités actives dans le monde juridique en Suisse romande et alémanique de commenter un arrêt comme contributeurs externes de LawInside.ch.

Comme cinquième contributeur, nous avons le plaisir d’accueillir le Professeur Yvan Jeanneret. Prof. Yvan Jeanneret pratique notamment le droit pénal comme associé au sein de Keppeler Avocats et enseigne tant le droit pénal que la procédure pénale à l’Université de Genève. Il est également membre du Comité de la Société suisse de droit pénal depuis 2007.


TF, 25.11.2019, 1B_268/2019

Les documents et informations requis par le Ministère public auprès d’une autre autorité font exclusivement l’objet d’une procédure d’entraide au sens de l’art. 194 CPP. Le contentieux entre autorités relève de la procédure de l’art. 194 al. 3 CPP qui coexiste avec la procédure de mise sous scellés de l’art. 248 CPP, lorsqu’une personne fait valoir un droit à la protection d’un secret.

Le dies a quo du délai de 20 jours pour le dépôt par le Ministère public d’une demande de levée de scellés (art. 248 al. 2 CPP) correspond, en principe, au jour du dépôt de la requête de mise sous scellés et, par exception, au jour de la remise effective des documents, lorsque la requête précède la remise.

Faits

Dans le cadre d’une enquête portant sur plusieurs infractions notamment contre le patrimoine et impliquant notamment une banque soumise à la surveillance de la FINMA, le Ministère public genevois a requis de la FINMA, dans un premier temps, la remise d’une décision rendue dans ce contexte par cette autorité de surveillance. La FINMA a transmis le document requis au Ministère public, ainsi qu’une requête de mise sous scellés émanant de la banque et portant sur la décision et plusieurs autres documents issus de la procédure menée par la FINMA, la banque invoquant notamment son droit au silence et la protection du secret professionnel. Par courrier du 6 décembre 2018, le Ministère public informa la banque de son refus de donner suite à la requête de mise sous scellés. Par arrêt du 10 mai 2019, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève a admis le recours formé par la banque et a enjoint le Ministère public à mettre sous scellés la décision de la FINMA.

Dans un second temps, le Ministère public a requis de la FINMA la remise d’autres documents tirés de la procédure menée par cette autorité, documents qui étaient visés par la demande de mise sous scellés formée préalablement. Les documents ont été remis par la FINMA, placés sous scellés par le Ministère public qui a ensuite saisi le Tribunal des mesures de contrainte (TMC) d’une requête tendant à la levée des scellés. Le TMC a déclaré la demande du Ministère public irrecevable car tardive.

Le Ministère public recourt au Tribunal fédéral en soutenant, d’une part, que la production du dossier de la FINMA, en tant que mesure d’entraide entre autorités, ne peut pas faire l’objet d’une procédure de mise sous scellés au sens de l’art. 248 CPP et, d’autre part, que sa requête de levée des scellés n’était pas tardive, à supposer que l’on admette qu’il y ait une place pour une telle procédure.

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord que la requête du Ministère public genevois à la FINMA relève de l’entraide entre autorités dont le fondement légal se trouve aux art. 44 et 194 CPP. Dans ce contexte, les autorités administratives et judiciaires tant fédérales que cantonales doivent autoriser le ministère public et les tribunaux pénaux à consulter leurs dossiers, sous réserve de cas – exceptionnels – dans lesquels elles peuvent invoquer un intérêt public ou privé prépondérant pour s’opposer à la communication. Dans ce dernier cas, il appartient à l’autorité de recours cantonale de trancher les différends entre autorités d’un même canton et au Tribunal pénal fédéral de trancher les contestations entre autorités de différents cantons ou entre une autorité cantonale et une autorité fédérale (art. 194 al. 3 CPP). S’agissant plus particulièrement de la collaboration avec la FINMA, l’art. 38 LFINMA consacre le principe de la collaboration avec les autorités pénales, l’art. 40 LFINMA réservant des motifs de refus, tandis que le contentieux à ce propos est confié au Tribunal administratif fédéral par l’art. 41 LFINMA. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral laisse ouverte, dans le cadre de l’art. 194 CPP, la question de savoir si la personne dont les intérêts privés sont touchés par la mesure d’entraide dispose d’un droit de participation à la procédure d’entraide elle-même. Il tranche en revanche cette question de manière négative dans le contexte particulier de l’entraide avec la FINMA. Il retient que, dans tous les cas, la personne concernée peut toujours contester ultérieurement, dans le cours de la procédure pénale, l’exploitabilité du moyen de preuve obtenu par le biais de l’entraide, par exemple au motif qu’il viole son droit de ne pas s’incriminer. Enfin, tranchant la première question qui lui était soumise, le Tribunal fédéral retient que si la personne concernée invoque des motifs tirés de la protection, en l’espèce, du secret professionnel ou du secret des affaires, il y a, de surcroît, une place pour une procédure de mise sous scellés au sens de l’art. 248 CPP portant sur les informations obtenues par la voie de l’entraide.

S’agissant de la question de la tardiveté de la demande de levée des scellés, le Tribunal fédéral rappelle que selon l’art. 248 al. 2 CPP, si l’autorité pénale ne demande pas la levée des scellés dans les 20 jours, les documents et les autres objets mis sous scellés sont restitués à l’ayant droit, le délai de 20 jours commençant à courir, en principe, le lendemain (art. 90 al. 1 CPP) du jour où la personne concernée a formulé la demande de mise sous scellés. Il est incidemment rappelé que la requête de mise sous scellés doit être formulée immédiatement après que l’ayant droit a été informé de cette possibilité soit, en principe, au moment de l’exécution de la perquisition ou de la production des documents, ou dans les quelques heures qui suivent, voire exceptionnellement quelques jours plus tard lorsque la procédure est particulièrement complexe. S’agissant du cas d’espèce, le Tribunal fédéral fait toutefois exception aux principes rappelés supra, dans la mesure où la requête de mise sous scellés émanant de la banque avait été formulée avant la remise des documents découlant de la seconde demande d’entraide du Ministère public. Dans un tel cas particulier, le Tribunal fédéral retient que le délai pour déposer la demande de levée des scellés commence à courir au lendemain du jour auquel le Ministère public a reçu les documents découlant de sa seconde requête adressée à la FINMA, de sorte qu’elle n’était pas tardive.

Note

Cet arrêt vient compléter les contours du corpus jurisprudentiel relatif à la procédure d’entraide entre autorités au sens des art. 44 al. 2 Cst., 44 et 194 CPP. Tout d’abord, c’est le lieu de rappeler – ce que certaines autorités de poursuite oublient parfois – que le Ministère public ne peut pas recourir à des mesures de contrainte, comme la perquisition et/ou le séquestre, lorsqu’il entend obtenir des informations ou des documents en mains d’autres autorités suisses, la procédure d’entraide de l’art. 194 CPP étant la seule voie possible dans ce contexte. Cette règle avait été posée dans un arrêt publié antérieur à l’entrée en vigueur du CPP (ATF 129 IV 141). Il faut aussi rappeler qu’une université, une haute école (TF, 1B_26/2016, c. 4.1) ou encore un hôpital cantonal (TF, 1B_231/2015, c. 4-5 ; TF, 1B_289/2016, c. 3.3) sont des autorités au sens de l’art. 194 CPP, de sorte que la procédure d’entraide est la seule voie permettant à l’autorité pénale de solliciter la remise de moyens de preuve en mains de telles entités et la procédure de l’art. 194 al. 3 CPP est la seule voie accessible à cette autorité pour s’opposer à la transmission.

Cet arrêt marque une inflexion dans la jurisprudence du Tribunal fédéral, s’agissant de la protection des personnes dont les droits sont touchés par les informations objet de l’entraide. En effet, dans un premier temps, le Tribunal fédéral avait exclu la faculté d’une partie de solliciter une procédure de mise sous scellés lorsque des pièces étaient issues d’une demande d’entraide entre autorités nationales, au motif qu’il ne s’agissait pas d’une mesure de contrainte et que la seule voie de contrôle judiciaire des informations à transmettre était celle de l’art. 194 al. 2 CPP, sur requête de l’autorité requise (TF, 1B_547/2018, c. 1.2). Sans le dire ouvertement, le Tribunal fédéral revient sur cette jurisprudence et reconnait clairement que la personne ayant un intérêt juridique au maintien d’un secret est légitimée à solliciter la procédure de mise sous scellés de l’art. 248 CPP. On notera que l’autorité requise ne peut pas, elle-même, requérir la mise sous scellé pour le compte des personnes ayant un intérêt juridique à la protection d’un secret et si des intérêts privés ou publics prépondérants s’opposent à la transmission des informations, c’est exclusivement la procédure de l’art. 194 al. 3 CPP qu’elle doit mettre en œuvre (TF, 1B_231/2016, c. 3-5  ; TF, 1B_289/2016, c. 2.3). En d’autres termes, cet arrêt consacre désormais la coexistence entre la procédure de contrôle de l’entraide prévue à l’art. 194 al. 3 CPP et la procédure de mise sous scellés de l’art. 248 CPP, la première étant destinée à permettre à l’autorité requise de faire valoir ses éventuelles objections tirées d’un intérêt public ou privé prépondérant, la seconde permettant à l’ayant droit d’un secret de faire protéger ce dernier. Si cette solution peut faire apparaître le processus comme complexe par l’exercice de deux contrôles successifs en main de deux autorités distinctes, il faut approuver cette solution en l’état actuel du droit. De lege ferenda, il serait sans doute judicieux, sous l’angle de l’économie de procédure, de faire en sorte qu’une seule autorité soit chargée de veiller tant aux intérêts invoqués par l’autorité requise qu’à ceux des personnes ayant un intérêt juridique au maintien d’un secret. Par ailleurs, lorsqu’il est question d’un conflit relevant de la compétence du Tribunal pénal fédéral (art. 194 al. 3 CPP), le système actuel crée un déséquilibre des contrôles judiciaires puisque la décision du Tribunal pénal fédéral, soit de sa Cour des plaintes (art. 37 al. 1 LOAP) qui ne porte pas sur une mesure de contrainte ne pourra pas être portée devant le Tribunal fédéral (art. 79 LTF), alors que la décision relative à la levée des scellés le sera aux conditions de l’art. 93 LTF.

Enfin, sur le thème de la temporalité, le Tribunal fédéral consacre une exception au principe bien établi qui veut que le Ministère public doit requérir la levée des scellés dans les 20 jours qui suivent la requête de mise sous scellés. Il est, en effet, de bon sens de considérer que, dans le cas particulier d’une requête de mise sous scellés qui précède la remise des documents potentiellement secrets, le délai commence à courir dès la réception effective des documents, à défaut de quoi le Ministère public devrait saisir le TMC avant même d’avoir reçu et effectivement placé sous scellés les documents considérés.

Proposition de citation : Yvan Jeanneret, Mise sous scellés et moyens de preuve issus de l’entraide nationale, in : www.lawinside.ch/893/