La rémunération dans le contrat de courtage d’indication

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Contribution de Prof. Christine Chappuis à l’occasion des cinq ans de LawInside.ch

Pour célébrer les cinq ans de LawInside.ch, nous avons demandé à des personnalités actives dans le monde juridique en Suisse romande et alémanique de commenter un arrêt comme contributeurs externes de LawInside.ch.

Comme dernière contributrice, nous avons le plaisir d’accueillir la Professeure Christine Chappuis. Après avoir exercé quelques années comme avocate, elle a été nommée en 1999 Professeure ordinaire au département de droit civil de l’Université de Genève. Prof. Chappuis conduit notamment des recherches sur l’harmonisation internationale du droit des contrats et sur le droit de la responsabilité civile.


TF, 23.09.2019, 4A_545/2018

Des activités de négociations et de préparation de documents non couvertes par un courtage d’indication ne donnent pas droit à rémunération, à défaut d’une modification du contrat convenue en cours d’exécution.

Faits

Une société japonaise active dans le commerce de technologies de pointe en matière de sécurisation de documents d’identité (la mandante) conclut avec une courtière bilingue japonais-anglais un « contrat de conseil et d’introduction  » (« Advisory and Introduction Agreement ») en novembre 2012. Le contrat, soumis au droit suisse, figure en traduction libre dans le dossier. Il contient notamment les clauses suivantes :

« Mandat

L’entreprise mandate le conseil pour lui présenter de potentiels investisseurs, partenaires d’affaires et contacts sur le territoire visé par ce contrat.

3. Définitions et interprétation

(…)

Introduction :

Les parties conviennent que les trois conditions suivantes sont suffisantes pour établir l’introduction par le conseil/agent à l’entreprise :

a. le conseil a contacté le client et échangé des informations relatives à l’entreprise avec ce client à une date donnée de contact

b. l’entreprise n’a pas informé le conseil avant cette date de contact que le client était déjà introduit auprès de l’entreprise

c. l’entreprise et le client entrent en discussions d’affaires écrites ou orales après cette date de contact.

(…)

6. Rémunération du conseil

L’entreprise doit, si le conseil a introduit le client auprès de l’entreprise, payer au conseil un honoraire de succès de 5 % des fonds reçus par l’entreprise du client sur une période de 3 ans suite à la date de contact. »

À une date inconnue par rapport au contrat de novembre 2012, divers contacts sont pris entre le CEO de la mandante et plusieurs entreprises en vue d’un investissement, mais sans la courtière. Cependant, durant une période de sept mois, la courtière participe à plusieurs réunions, échange de projets et téléphones, et prépare des documents en vue d’une réunion.

Un contrat d’investissement est finalement passé en octobre 2013 entre la mandante et diverses parties, dont une société avec laquelle la courtière était en contact. À la même date, le CEO de la mandante propose oralement à la courtière de lui verser une rémunération de 3 % du montant des investissements. La courtière conteste le taux de la rémunération et agit en paiement de sa rémunération fixée à 5 % par le contrat de 2012, à la fois contre la mandante et son CEO.

La demande est entièrement rejetée par toutes les instances saisies.

Droit

Toutes les instances donnent tort à la courtière, considérant que le contrat de novembre 2012 était un courtage d’indication parce qu’il suffisait à la courtière de présenter à la mandante des clients avec lesquels un investissement serait conclu sans égard au temps et aux efforts qu’elle aurait déployés. Il résulte par ailleurs du dossier que les investisseurs avec lesquels le contrat de 2013 est conclu n’ont pas été présentés à la mandante par la courtière, laquelle n’a pas démontré qu’elle était entrée en contact avec eux avant le début des négociations. La courtière fait encore valoir que le courtage d’indication avait été modifié oralement sur son rôle, mais échoue à nouveau faute d’établir un accord sur les éléments essentiels du contrat modifié.

Note

1. A priori, le refus de rémunérer la courtière pour le travail qu’elle a effectivement accompli pendant plusieurs mois paraît injuste. Cette affaire illustre bien les difficultés particulières du contrat de courtage, liées à son caractère aléatoire. Selon l’art. 412 CO, ce contrat peut prendre essentiellement deux formes correspondant à des rôles différents du courtier. Le courtier peut s’obliger à indiquer au mandant l’occasion de conclure une convention (courtage d’indication) ou à servir d’intermédiaire dans la négociation d’un contrat (courtage de négociation) (ATF 139 III 217 c. 2.3 ; Marchand, Contrat de courtage, in Recueil de contrats commerciaux, Bâle 2013, N 0.1, p. 398). Les parties peuvent encore cumuler ces formes, voire autoriser la représentation du mandant par le courtier (courtage de représentation) (ATF 139 III 217 c. 2.3 ; CR CO I-Rayroux, CO 412 N 4).

La distinction est importante puisque la rémunération du courtier en dépend. Selon le modèle légal, le courtier doit prouver un lien de causalité entre son activité d’indication, de négociation, voire de représentation, et la conclusion du contrat principal. Seul son succès est rémunéré (art. 413 al. 1 CO ; ATF 144 III 43 c. 3.1.1, JdT 2018 II 207 ; Tercier/Bieri/Carron, Les contrats spéciaux, 5e éd., Genève, etc., 2016, N 4989 ss). La règle est de droit dispositif (Tercier/Bieri/Carron, N 4991).

Le présent contrat, dont certaines clauses sont reproduites dans l’arrêt, vise la première de ces formes. Sa clause intitulée « Introduction » facilite la preuve du lien de causalité entre l’indication et la conclusion du contrat, preuve à la charge de la courtière (art. 413 al. 1 et 2 CO). Vu le caractère dispositif de la règle, une telle dérogation est valable (comp. l’exemple proposé par Marchand, Contrat de courtage, N 3.2, p. 399). Le mécanisme contractuel prévoit trois éléments qui suffisent à établir l’introduction, et qui déplacent le thème de la preuve à apporter par la courtière : a. un contact entre la courtière et le client à une date donnée, b. l’absence d’information par la mandante que le client était déjà introduit auprès d’elle, c. des discussions d’affaires écrites ou orales postérieures à la date de contact.

Le dossier ne semble pas contenir l’annonce par la courtière d’une quelconque « date de contact » avec la société cliente (a.), ni une information par l’entreprise que cette société aurait déjà été introduite auprès d’elle (b.). En réalité, sortie de son rôle d’indicatrice, la courtière s’est transformée en négociatrice, ce que ne prévoyait pas le contrat. La courtière ne semble pas au clair sur son propre rôle, peut-être induite en erreur par le titre du contrat « Advisory and Introduction Agreement » (nous soulignons), que contredit la clause définissant le mandat : « L’entreprise mandate le conseil pour lui présenter de potentiels investisseurs, partenaires d’affaires et contacts sur le territoire visé par ce contrat » (nous soulignons). Dans ce contexte, la modification proposée d’une commission de 3 % était en réalité favorable à la courtière qui n’avait pas « introduit » la cliente, mais aidait à la négociation du futur contrat d’investissement. Le refus de la courtière la laisse alors sans rémunération. En fin de compte, elle n’obtient ni les 5 % qui n’étaient pas dus faute d’introduction selon le contrat, ni les 3 % proposés qu’elle a refusés.

2. Répondant à l’argument de la courtière, l’arrêt examine encore si le courtage d’indication avait été modifié en un courtage de négociation. Il le fait à l’aide de ses habituels et incantatoires considérants sur l’interprétation du contrat, subjective d’abord, puis objective si l’on ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties ou si une partie n’a pas compris la volonté exprimée par l’autre à l’époque de la conclusion du contrat (c. 4.2.1, se référant à l’ATF 144 III 93 consid. 5.2.1, résumé in LawInside.ch/576/). Ce raisonnement rigide en deux étapes commençant par l’interprétation subjective est vivement critiqué et montre ses limites dans le présent cas (Honsell H., in Basler Kommentar zum ZGB I, 6e éd., Bâle 2018, Art. 2 N 13 ; Müller C., Berner Kommentar (Art. 1-18 OR), Berne 2018, Art. 18 CO N 70 ss, 102 ; Wiegand W., in Basler Kommentar zum OR I, Bâle 2020, Art. 18 N 14, 42). La modification aurait ici été orale et contraire à la clause de non-modification orale apparemment prévue par le contrat sans être reproduite dans l’arrêt (sur la possibilité de renoncer implicitement à une telle clause, cf. Chappuis/Marchand/Meakin, Clauses standard/Boiler Plate Clauses, in Recueil de contrats commerciaux, Bâle 2013, N 2.1 ss, 2.4). Quoi qu’il en soit, même l’interprétation selon le principe de la confiance n’a pas permis de sauver l’affaire. Un comportement postérieur à la conclusion d’un contrat n’est en effet, de l’avis du Tribunal fédéral, pas une circonstance à prendre en compte dans l’interprétation objective. La ligne est claire et constante (ATF 133 III 61 c. 2.2.1-2.2.2.2 ; ATF 129 III 675 c. 2.3, JdT 2004 I 66 ; ATF 107 II 417 c. 6, JdT 1982 I 167), même si sa justification ne saute pas aux yeux, et qu’elle est contraire aux règles modernes en matière d’interprétation des contrats (p. ex., art. 8 al. 3 CVIM, art. 4.3(c) Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international).

La malheureuse courtière d’indication aurait été bien avisée d’accepter la rémunération de 3 % au moment où l’offre lui en était faite.

 

Proposition de citation : Christine Chappuis, La rémunération dans le contrat de courtage d’indication, in : www.lawinside.ch/901/