L’effet suspensif du recours dirigé contre une ordonnance de disjonction

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TF, 26.03.2020, 1B_54/2020

Le refus d’octroyer l’effet suspensif à un recours cantonal dirigé contre une ordonnance de disjonction n’est pas susceptible de causer un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF. En cas d’admission du recours cantonal, le prévenu conserve en effet la possibilité d’invoquer l’art. 147 al. 4 CPP pour faire valoir la violation de ses droits de participation.

Faits

Dans le but de mettre en œuvre une procédure simplifiée, le Ministère public du canton de Genève disjoint la procédure instruite contre un prévenu de celle dirigée contre d’autres prévenus. L’un d’eux conteste cette ordonnance auprès de la Chambre pénale de recours du canton de Genève, laquelle refuse d’octroyer l’effet suspensif. Ce refus fait l’objet d’un recours auprès du Tribunal fédéral, qui est amené à se pencher sur la question du risque de préjudice irréparable.

Droit

La décision refusant l’octroi de l’effet suspensif a une nature incidente et ne peut faire l’objet d’un recours que si elle est susceptible de causer un dommage irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF). En matière pénale, il doit s’agir d’un préjudice de nature juridique ne pouvant pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (ATF 143 IV 175, résumé in LawInside.ch/398/).

Le Tribunal fédéral rappelle que les décisions relatives à la jonction ou à la disjonction de procédures ne sont en principe pas susceptible de causer un tel préjudice. En revanche, deux décisions récentes ont confirmé qu’un préjudice irréparable doit être en règle générale être admis lorsque la disjonction se rapporte à des causes relatives à plusieurs prévenus (TF, 08.10.2019, 1B_230/2019 et TF, 24.10.2019, 1B_436/2019). En effet, la personne concernée perd alors ses droits procéduraux dans la procédure relative aux autres prévenus et ne peut plus invoquer l’art. 147 al. 4 CPP, qui prévoit l’inexploitabilité, à l’encontre d’une partie, des preuves recueillies en violation de ses droits de participation.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral constate toutefois que l’ordonnance attaquée concerne uniquement l’effet suspensif, et qu’un recours est toujours pendant devant la Chambre pénale. Dans ces conditions, le prévenu recourant conserve la possibilité d’invoquer l’art. 147 al. 4 CPP en cas d’admission de son recours devant l’instance cantonale. Les déterminations adressées par le Ministère public au Tribunal fédéral montrent par ailleurs que celui-ci n’entend pas engager la procédure simplifiée avant droit connu sur la question de la disjonction.

Partant, le Tribunal fédéral constate que le recourant ne saurait se prévaloir d’un risque de préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF et déclare le recours irrecevable.

Note

Cet arrêt introduit une limitation à la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle il existe en principe un risque de préjudice irréparable lorsqu’une disjonction porte sur des causes relatives à plusieurs prévenus.

À suivre le raisonnement du Tribunal fédéral, le fait que le prévenu ait la possibilité d’invoquer l’art. 147 al. 4 CPP en cas d’admission de son recours semble constituer l’argument déterminant pour nier l’existence d’un risque de préjudice irréparable dans le cas d’espèce. Cet argument nous semble toutefois trouver sa limite dans un cas particulier, notamment illustré par l’arrêt de la Chambre pénale de recours du canton de Genève ACPR/508/2012 du 19 novembre 2012.

Dans cet arrêt, la Chambre pénale avait déclaré sans objet un recours interjeté contre une ordonnance de disjonction au motif que, en l’absence d’effet suspensif, la procédure principale était entretemps arrivée à son terme et qu’une décision unique n’était dès lors plus envisageable.

Dans un tel cas de figure, l’application de la jurisprudence du Tribunal fédéral est susceptible d’aboutir à un résultat paradoxal, puisque le refus d’octroi de l’effet suspensif pourrait mener à la clôture de la procédure principale et partant à l’irrecevabilité du recours dirigé contre la disjonction, privant ainsi le prévenu – quelle qu’ait été la pertinence des arguments invoqués à l’appui de son recours – de la possibilité de se prévaloir de l’art. 147 al. 4 CPP et de ses droits de participation dans la procédure relative aux autres prévenus.

Proposition de citation : Quentin Cuendet, L’effet suspensif du recours dirigé contre une ordonnance de disjonction, in : www.lawinside.ch/902/

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