Le contrat de vente simulé pour tromper un tiers et l’infraction de faux dans les titres

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ATF 146 IV 258

Un contrat de droit privé comportant des éléments erronés ne constitue pas un faux dans les titres au sens de l’art. 251 ch. 1 CP lorsqu’aucune garantie objective n’assure sa véracité, même lorsque la simulation a lieu dans le seul but de tromper une personne tierce.

Faits

Un couple marié est propriétaire d’un snack-bar que les époux exploitent conjointement jusqu’à leur séparation. L’établissement est ensuite inscrit au registre du commerce au nom de Monsieur, en raison individuelle. Sans prévenir son épouse, toujours copropriétaire du mobilier et du matériel, ce dernier vend le snack-bar et l’intégralité de son infrastructure pour un montant de CHF 150’000. Toutefois, le contrat mentionne un prix de vente de CHF 10’000. Le vendeur y a fait inscrire ce montant, bien inférieur au prix réel, par sa fiduciaire, afin d’induire son épouse en erreur dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial.

Le Tribunal de police du Littoral et du Val-de-Travers reconnaît le vendeur coupable d’abus de confiance, de faux dans les titres et de violation d’une obligation d’entretien. Il condamne également l’acheteur pour faux dans les titres, l’acquittant des préventions d’abus de confiance et d’escroquerie, et lui refuse l’allocation d’une indemnité au sens de l’art. 429 CPP. Ce jugement est confirmé par la cour pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.

L’acheteur forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral, lequel est en particulier appelé à préciser la définition du faux dans les titres au sens de l’art. 251 ch. 1 CP, ainsi que les conditions pour l’octroi d’une indemnité en vertu de l’art. 429 CPP.

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence selon laquelle un simple mensonge écrit ne constitue pas un faux intellectuel, le document en cause devant revêtir une crédibilité accrue et son destinataire pouvoir s’y fier raisonnablement, notamment parce que des assurances objectives garantissent la véracité de la déclaration vis-à-vis des tiers. À titre d’exemple, il mentionne le devoir de vérification de l’auteur du document, ainsi que des dispositions légales en définissant le contenu, telles que les art. 958a ss CO relatifs à la comptabilité commerciale, qui offre justement une garantie spéciale de véracité (cf. ATF 141 IV 369 consid. 7.1, résumé in : LawInside.ch/83/).

En référence à l’ATF 142 IV 119 (résumé in : LawInside.ch/228/), le Tribunal fédéral précise qu’il ne suffit pas que les écrits en question jouissent d’une crédibilité ou d’une confiance particulière dans l’expérience générale des affaires. Il ajoute que le caractère de titre est relatif, un document pouvant aussi ne revêtir ce caractère que partiellement, et que son aptitude à prouver un fait peut découler de la loi, des usages commerciaux ou encore de la nature du document. Le Tribunal fédéral relève qu’en principe, un contrat en la forme écrite simple ne constitue pas un titre, faute de jouir de la crédibilité accrue nécessaire, car rien ne garantit que les manifestations de volonté des parties correspondent à leur volonté réelle et ne sont pas entachées d’un vice, voire constituent une simulation. Il mentionne notamment l’ATF 120 IV 25 dans lequel il a retenu l’inapplicabilité de l’art. 251 CP à un contrat de vente partiellement erroné.

Le Tribunal fédéral ajoute qu’un document peut également revêtir une valeur probante accrue en raison de la fonction de la personne qui l’établit, lorsque celle-ci occupe une position similaire à celle d’un garant à l’égard des destinataires trompés. Tel est le cas par exemple des médecins vis-à-vis des compagnies d’assurance, de l’architecte vis-à-vis du maître de l’ouvrage ou de l’organe dirigeant d’une banque vis-à-vis de ses clients. Le tribunal précise toutefois que le fait que le document mentionne ou soit matériellement rédigé par une personne qui jouit dans les faits d’un crédit particulier – comme un notaire – n’accroît pas, en soi, sa valeur probante. En l’espèce, le fait que la fiduciaire du vendeur ait rédigé, à la demande de celui-ci, le contrat litigieux ne suffit pas à lui conférer la valeur probante accrue exigée par la jurisprudence.

L’instance précédente a retenu une définition plus large du faux intellectuel, selon laquelle le fait que le document en cause ait été établi dans le but de tromper un tiers suffit à admettre l’existence d’un faux dans les titres. Ainsi, il conviendrait de s’attacher davantage au point de vue du destinataire trompé qu’à celui de l’auteur du document afin de déterminer si ledit destinataire, en examinant objectivement le texte, devait raisonnablement parvenir à la conclusion que le fait était prouvé et qu’il n’avait pas à procéder à d’autres vérifications. Une partie de la doctrine, qui partage cette conception, considère qu’elle découle de l’ATF 138 IV 130, qui concerne une facture au contenu inexact. Cependant, le Tribunal fédéral souligne que, contrairement à ce qui vaut en l’espèce, le document en question dans cet arrêt était destiné à un usage comptable. Il cite ensuite plusieurs arrêts postérieurs concernant différents contrats simulés dont il a jugé qu’ils ne constituaient pas des faux intellectuels.

Partant, le Tribunal fédéral estime que le contrat de vente simulé par le recourant ne constitue pas un faux dans les titres au sens de l’art. 251 CP, bien que le but visé par les parties ait été d’induire l’épouse du vendeur en erreur.

Finalement, le Tribunal fédéral admet également le grief de violation de l’art. 429 al. 1 let. a CPP. Il balaie l’argument de la cour cantonale consistant à dire que l’infraction de faux dans les titres pour laquelle le recourant devait être condamné concernait le même complexe de faits que celui des infractions pour lesquelles il avait été acquitté, de sorte que ses dépenses pour l’exercice des droits de la défense n’auraient pas été différentes si les autres préventions avaient été écartées d’emblée. Ainsi, le recourant a droit à une indemnité partielle proportionnelle aux frais relevant des chefs d’accusation pour lesquels la cour cantonale a retenu son innocence, en vertu de l’art. 429 al. 1 let. a CPP. Le recours est donc également admis sur ce point.

Note

Dans un premier temps, le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence établie de longue date (depuis l’arrêt de principe publié à l’ATF 117 IV 35 le 16 avril 1991), selon laquelle un document écrit dont la véracité n’est pas garantie de manière objective n’est pas un titre, ce pour quoi son auteur ne peut réaliser l’infraction de faux dans les titres au sens de l’art. 251 CP (cf. également l’ATF 142 IV 119 résumé in : LawInside.ch/228/).

Il apporte toutefois une précision nouvelle. Dans l’ATF 138 IV 130, le Tribunal fédéral avait retenu qu’il conviendrait, pour déterminer si un document était probant, de se placer dans la situation du destinataire voulu plutôt que dans celle de l’auteur. Toutefois, dans l’arrêt résumé ici, le Tribunal fédéral explique que ce raisonnement n’est pas applicable en matière de contrats simulés, pour lesquels il considère n’y a pas lieu de s’écarter de la jurisprudence susvisée, au demeurant postérieure à l’ATF 138 IV 130.

Cette conclusion ne nous paraît pas satisfaisante. En effet, il nous semble que le caractère probant d’un document peut, en pratique, difficilement être dissocié de la perception qu’en a son destinataire. Comme l’exprime Corboz, « [p]rouver un fait suppose (…) un rapport entre deux personnes : celle qui veut prouver et celle qui doit être convaincue. Prouver c’est convaincre et on ne peut convaincre qu’une personne. Faire abstraction du destinataire voulu pour dire si un document est probant est une opération artificielle » (Bernard Corboz, Le faux dans les titres, in : RJB 131/1995, p. 576).

En outre, Corboz relève que d’autres auteurs (dont certains sont d’ailleurs mentionnés par le Tribunal fédéral dans l’arrêt, notamment P. Ferrari, La constatation fausse – le mensonge écrit, RPS 112 (1994), p. 167) partagent l’avis selon lequel un acte simulé, s’il est créé dans le but de tromper un tiers qui le considère comme une preuve, devrait être considéré comme un faux intellectuel (cf. P. R. Lottner, Der Begriff der Urkunde und die Abgrenzung zwischen Falschbeurkundung und strafloser schriftlicher Lüge, thèse, Bâle 1969, pp. 122 ss). Corboz ajoute que tel est également le point de vue de la jurisprudence française (cf. R. Merle/A. Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, Paris 1982, note 8, 949 ; R. Vouin/M. Rassat, Droit pénal spécial, 6e éd., Paris 1988, p. 529 ; Code pénal Dalloz 1994/95, p. 1924).

Proposition de citation : Marion Chautard, Le contrat de vente simulé pour tromper un tiers et l’infraction de faux dans les titres, in : www.lawinside.ch/918/