La qualité pour agir d’un colocataire et l’application de la méthode absolue en matière de contestation du loyer

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ATF 146 III 346 | TF, 21.04.2020, 4A_157/2019*

Un colocataire dispose de la qualité pour agir seul en contestation du loyer, à condition qu’il assigne le(s) autre(s) colocataire(s) aux côtés du bailleur.

Le locataire peut se prévaloir du calcul du rendement net (méthode absolue) pour évaluer le caractère abusif du loyer s’agissant d’un immeuble passant d’un régime de loyers contrôlés par l’État à celui des loyers libres.

Faits

Deux colocataires concluent un contrat de bail pour un appartement à Genève. L’immeuble est soumis au régime des habitations à loyer modérés jusqu’au 31 décembre 2016.

L’un des deux colocataires ouvre action contre la bailleresse et l’autre colocataire en vue d’une réduction du loyer dès le 1er janvier 2017. Suite au rejet de sa demande, le colocataire fait appel auprès de la Cour de justice en assignant le bailleur et l’autre colocataire. La Cour admet l’appel.

Le bailleur interjette un recours en matière civile au Tribunal fédéral, qui doit examiner i) si un colocataire a la qualité pour agir seul en diminution du loyer et ii) si la méthode absolue peut être appliquée pour contrôler le caractère abusif du loyer s’agissant d’un immeuble sortant du contrôle étatique.

Droit

Les consorts matériels nécessaires sont titulaires ou obligés ensemble d’un même droit, de sorte qu’ils doivent en principe ouvrir action ou être actionnés ensemble. La jurisprudence admet cependant des exceptions au principe de l’action conjointe. En raison du besoin de protection sociale particulièrement élevé lorsqu’un local d’habitation est en jeu, le Tribunal fédéral a jugé dans l’ATF 140 III 598 qu’un colocataire peut agir seul pour requérir l’annulation du congé (cf. art. 271 s. CO). Il doit cependant assigner aux côtés du bailleur le ou les colocataires qui n’entendent pas s’opposer au congé, sous peine de se voir dénier la qualité pour agir. Ainsi, s’il n’est pas nécessaire que tous les consorts matériels nécessaires soient demandeurs ou défendeurs, ils doivent cependant tous être parties au procès.

Selon la doctrine majoritaire, le tempérament introduit par la jurisprudence pour l’action conjointe en annulation du congé doit aussi l’être pour l’action conjointe visant la fixation du loyer (cf. art. 270 ss CO), qu’il s’agisse d’une demande de baisse de loyer ou d’une contestation de hausse de loyer. Le Tribunal fédéral n’a jamais été amené à trancher cette question.

Le Tribunal fédéral constate que législateur a souhaité renforcer la protection du locataire en adoptant des règles spéciales en matière de locaux d’habitations et de locaux commerciaux s’articulant autour de deux axes, soit la protection contre les loyers abusifs, d’une part (cf. art. 269 ss CO), et celle contre les congés abusifs, d’autre part (cf. art. 271 ss CO). Ces dispositions protectrices forment un ensemble homogène et les loyers et congés abusifs répondent au même besoin de protection sociale. Ainsi, dans la même logique de protection, il convient de reprendre les considérations de l’ATF 140 III 598 sur l’annulation du congé et de les étendre à la protection contre les loyers abusifs afin d’atténuer les difficultés générées par la colocation dans ce domaine également. Un colocataire peut dès lors agir seul en contestation du loyer, dans la mesure où il assigne le(s) autre(s) colocataire(s) aux côtés du bailleur.

En second lieu, le Tribunal fédéral examine la méthode de calcul à appliquer pour déterminer le caractère admissible du loyer. Aux termes de l’art. 269 CO, les loyers sont abusifs lorsqu’ils permettent au bailleur d’obtenir un rendement excessif de la chose louée ou lorsqu’ils résultent d’un prix d’achat manifestement exagéré. Selon la jurisprudence, l’art. 269 CO s’applique aux locaux d’habitation en faveur desquels des mesures d’encouragement ont été prises par les pouvoirs publics, pendant la période où le loyer est soumis au contrôle de l’état. Dans l’ATF 142 III 568, le Tribunal fédéral a cependant laissé ouverte la question de savoir si le calcul du rendement net (méthode absolue) devait s’appliquer s’agissant d’un immeuble sortant du contrôle étatique ou si l’habituelle méthode relative était suffisamment appropriée (cf. ATF 142 III 568 consid. 1.4, résumé in LawInside.ch/315/).

Le Tribunal fédéral rappelle que durant la période de contrôle étatique, l’autorité administrative ne peut autoriser un loyer dont le rendement est excessif. Cela ne signifie cependant pas que le loyer soit suffisant. Ainsi, la jurisprudence admet qu’une fois l’immeuble sorti du contrôle, il s’impose de permettre au bailleur de procéder au calcul du rendement devant le juge civil pour qu’il puisse, le cas échéant, fixer un loyer supérieur, en respectant le cadre fixé par l’art. 269 CO. Or, du point de vue du locataire, il est également possible qu’un calcul de rendement aboutisse à la fixation d’un loyer inférieur à celui soumis au contrôle étatique. On ne saurait dès lors exclure purement et simplement ce cas de figure favorable au locataire et, partant, lui refuser la méthode de calcul fondée sur le rendement dont le bailleur peut, lui, bénéficier.

Ainsi, le Tribunal fédéral retient que tant le bailleur que le locataire peuvent se prévaloir devant le juge civil de la méthode absolue. C’est donc à bon droit que les juges cantonaux ont admis cette méthode.

Le recours est dès lors rejeté.

Proposition de citation : Noémie Zufferey, La qualité pour agir d’un colocataire et l’application de la méthode absolue en matière de contestation du loyer, in : www.lawinside.ch/934/