Entrées par Vinciane Farquet

La notion « d’incapacité permanente de travail » et le droit de demeurer à titre permanent en Suisse

ATF 146 II 89 | TF, 12.11.2019, 2C_134/2019* 

Si l’office AI considère qu’un ressortissant européen conserve une capacité de travail entière dans une activité autre que celle qu’il avait l’habitude d’exercer, il n’y a pas « d’incapacité permanente de travail » au sens de l’art. 2 ch. 1 let. b du Règlement Nr. 1251/70.

Faits

Un ressortissant portugais travaille en Suisse en tant que saisonnier depuis 1995. Il est au bénéfice d’un permis de séjour pour ressortissants de l’UE/AELE, prolongé à plusieurs reprises. En 2017, l’autorité des migrations du canton de Lucerne lui refuse le prolongement de son permis de séjour, décision confirmée par le Kantonsgericht Luzern. Par ailleurs, ce dernier considère que l’intéressé ne peut pas prétendre à un droit de demeurer en Suisse dans la mesure où il conserve une capacité de travail entière dans une autre activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, conformément à un rapport établi par l’office AI du canton de Lucerne.

Considérant que la notion « d’incapacité permanente de travail » ne doit s’examiner qu’en relation avec le métier habituel du travailleur, l’intéressé saisit le Tribunal fédéral. Celui-ci est amené à déterminer si seule l’activité antérieure de l’intéressé doit être prise en considération ou si une autre activité peut également entrer en compte dans l’examen de « l’incapacité permanente de travail » au sens de l’art.Lire la suite

La détention pour des motifs de sûreté ordonnée en vue d’une décision judiciaire ultérieure indépendante

CourEDH, 03.12.19, Affaire I.L. c. Suisse (requête no. 72939/16)

La détention pour des motifs de sûreté ordonnée en vue d’une décision judiciaire ultérieure indépendante ne repose à ce jour sur aucune base légale. Ainsi, le prononcé d’une telle mesure viole l’art. 5 § 1 CEDH.

Faits

En 2011, le Tribunal régional du Jura bernois-Seeland prononce une mesure thérapeutique institutionnelle à l’encontre d’un prévenu condamné pénalement. En mai 2016, la section de l’application des peines et mesures de l’office de l’exécution du canton de Berne demande la prolongation de cette mesure thérapeutique institutionnelle pour cinq ans. Dans l’attente de cette décision, faisant suite à une demande du Tribunal régional, le Tribunal des mesures de contrainte du Jura bernois-Seeland ordonne en juin 2016 la détention du condamné pour des motifs de sûreté jusqu’en septembre 2016.

Considérant que sa détention pour motifs de sûretés constitue une privation de liberté sans base légale, le condamné forme un recours à la Cour suprême du canton de Berne puis au Tribunal fédéral, tous deux rejetés. Selon le Tribunal fédéral, la prolongation d’une mesure institutionnelle se fait par une décision judiciaire ultérieure indépendante au sens des art. 363ss CPP. Ces articles ne contiennent certes pas de règle spécifique sur le prononcé de la détention pour des motifs de sûreté, mais le Tribunal fédéral affirme qu’une application par analogie des art.Lire la suite

La qualité pour recourir de la partie plaignante dont les prétentions relèvent du droit public

ATF 146 IV 76TF, 13.11.2019, 6B_307/2019*

Seules les prétentions uniquement fondées sur le droit civil constituent des « prétentions civiles » au sens de l’art. 81 al. 1 lit. b ch. 5 LTF. Ainsi, lorsqu’une collectivité publique assume exclusivement une responsabilité fondée sur du droit public, la partie plaignante ne peut se prévaloir de cet article pour justifier sa qualité pour recourir.

Faits  

Une procédure ouverte contre les Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) en lien avec le suicide d’une jeune fille survenu dans cet établissement fait l’objet d’une ordonnance de classement. Les parents de la défunte forment un recours contre cette ordonnance auprès de la Cour de justice genevoise, laquelle le rejette au motif que les recourants ne disposent pas de la qualité pour recourir faute d’avoir pu démontrer un intérêt juridiquement protégé propre au sens de l’art. 382 al. 3 CPP. Subsidiairement, la Cour de justice considère que les éléments constitutifs de l’infraction reprochée (homicide par négligence ; art. 117 CP) ne sont pas remplis (ACPR/92/2019).

Sur recours des parents, le Tribunal fédéral est amené à déterminer si ces derniers disposent de la qualité pour recourir au niveau cantonal, et s’ils en bénéficient encore devant le Tribunal fédéral.Lire la suite

Le placement à des fins d’assistance d’une personne présentant un danger pour les tiers

ATF 145 III 441  | TF, 28.10.2019, 5A_407/2019*

Un placement à des fins d’assistance ne peut pas être ordonné au seul motif que la personne concernée présente un danger pour les tiers. Une telle mesure n’est possible que si les conditions sont clairement définies dans la loi, ce qui n’est à ce jour pas le cas en Suisse.

Faits

Un prévenu est condamné pénalement. Dans le prolongement de cette condamnation, l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte de la Haute-Argovie (APEA) le place dans une institution au sens de l’art. 426 CC. L’APEA assortit cette mesure de placement de nombreuses restrictions s’agissant notamment des sorties autorisées.

L’intéressé conteste cette mesure de placement auprès de l’Obergericht du canton de Berne, lequel rejette son recours au motif qu’il présente un réel danger pour les tiers, raison pour laquelle un placement à des fins d’assistance s’impose. L’Obergericht se fonde essentiellement sur des expertises psychiatriques constatant les nombreux troubles de la personnalité du recourant et le danger qu’il pourrait représenter pour des tiers.

Le recourant forme ainsi un recours en matière civile au Tribunal fédéral, lequel est amené à déterminer si les conditions du placement à des fins d’assistance sont en l’espèce remplies.… Lire la suite

Le prononcé d’une mesure thérapeutique institutionnelle ultérieur au prononcé d’une peine privative de liberté

ATF 145 IV 383TF, 07.10.2019, 6B_910/2018*

En tant que lex specialis, l’art. 363 al. 1 CPP l’emporte sur l’art. 65 al. 1 CP. Ainsi, les cantons peuvent prévoir que des tribunaux autres que celui qui a prononcé la peine initiale soient compétents pour ordonner une mesure thérapeutique institutionnelle.  Afin de respecter le principe ne bis in idem, le prononcé d’une telle mesure doit se fonder sur des faits ou moyens de preuves nouveaux et les conditions de son octroi devaient déjà être remplies au moment du jugement initial.

Faits

En 2009 un prévenu est condamné à une peine privative de liberté de 15 ans. En 2018, le Tribunal d’application des peines et des mesures de la République et canton de Genève (ci-après : TAPEM) ordonne un changement de sanction en application de l’art. 65 al. 1 CP et instaure une mesure thérapeutique institutionnelle au bénéfice du condamné. Le TAPEM fonde sa décision sur un complément d’expertise ordonné en 2016 ayant révélé la nécessité d’imposer une mesure thérapeutique au condamné vu ses importants troubles psychotiques, alors qu’une expertise plus ancienne datée de 2008 n’établissait aucune pathologie psychiatrique.

La Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise rejette le recours du condamné contre cette décision du TAPEM considérant que les conditions pour prononcer une mesure thérapeutique institutionnelle sont bel et bien remplies.… Lire la suite