Le client piraté et la banque négligente

ATF 146 III 326 | TF, 09.07.2020, 4A_9/2020*

Les clauses bancaires de transfert de risque ne sont valables que dans les limites des art. 100 et art. 101 CO (convention exclusive de la responsabilité) appliqués par analogie. En matière d’ordres frauduleux, il n’y a faute grave que s’il saute aux yeux de toute personne raisonnable que l’ordre transmis, de par son adresse, son texte, son contenu ou un lieu de virement exotique, et compte tenu de la situation du client, ne peut émaner de celui-ci. 

Faits

En novembre 2014, un ressortissant turc et homme d’affaires retraité dépose environ EUR 850’000 auprès d’une société de négoce en valeurs mobilières. Parmi la documentation contractuelle signée, se trouve notamment une clause de décharge pour les ordres transmis par e-mail :

le client autorise expressément la société à accepter des instructions données notamment par e-mail et à les exécuter immédiatement, en n’importe quelles circonstances, même si elles ne sont pas suivies d’une confirmation écrite. Le client déclare assumer tous les risques, même en cas d’erreur de la part de la société quant à son identité et dégage celle-ci de toute responsabilité de ce chef pour tous dommages qu’il pourrait encourir.

Les conditions générales prévoient également que le dommage résultant de défauts de légitimation ou de faux non décelés est à la charge du client, sauf en cas de faute grave de la société de négoce.… Lire la suite

L’homme de confiance, la procuration illimitée et la bonne foi de la banque

ATF 146 III 121 | TF, 10.12.2019, 4A_504/2018*

La banque qui exécute des virements bancaires requis par un titulaire d’une procuration ne peut pas invoquer sa bonne foi (art. 3 al. 2 CC) lorsqu’elle se trouve en conflit d’intérêts, qu’elle a des doutes quant à la légitimation du représentant et qu’elle ne procède néanmoins à aucune vérification directement auprès de la cliente. N’étant pas de bonne foi, la banque ne peut pas se prévaloir de la procuration bancaire signée par la cliente (rapports externes) lorsque le représentant dépasse les pouvoirs qui lui ont été octroyés par la cliente (rapports internes).

Faits

Un homme d’affaires milliardaire français et sa compagne tissent des liens de confiance avec un maître de chantier. Au décès du premier, l’homme de confiance reste proche de la compagne. Il s’occupe notamment peu à peu de la gestion de ses avoirs.

Après s’être installée en Suisse en 2004, la compagne ouvre un compte bancaire et donne une procuration générale et illimitée à l’homme de confiance, lequel est présenté à la banque comme un ami de longue date.

De 2006 à 2009, l’homme de confiance détourne environ CHF 13’000’000 à l’aide de 14 ordres de virement en faveur de son propre compte auprès de la banque ou d’une banque tierce.… Lire la suite

Le secret bancaire s’oppose-t-il à l’information des héritiers ?

TF, 18.07.2019, 4A_522/2018

Le droit du défunt au maintien de sa sphère privée s’oppose à ce que l’héritier connaisse l’identité du bénéficiaire d’un virement fait par le de cujus, à moins que l’héritier réservataire puisse prouver que sa réserve a été lésée (art. 522 ss CC) ou que l’héritier légal puisse prouver qu’il dispose d’un droit au rapport et au partage (art. 626 CC).

Faits

Une cliente d’une banque, dont la fortune s’élève à plus de EUR 13 millions, donne pour ordre à sa banque de procéder à un virement à hauteur de EUR 500’000. L’ordre est également signé par sa fille. Quelques années plus tard, la cliente décède à Madrid.

Sur requête d’un des héritiers de la cliente, la banque fournit les relevés du compte bancaire de la défunte, mais non l’identité du bénéficiaire du virement des EUR 500’000, en raison de l’opposition de celui-ci à la levée du secret bancaire à son égard.

Des héritiers réservataires déposent une action en reddition de compte auprès du Tribunal de première instance du canton de Genève afin que l’identité du bénéficiaire leur soit communiquée. Tant la première instance que la Cour de justice considèrent que le bénéficiaire du virement peut se prévaloir du secret bancaire pour s’opposer à la communication de son identité aux héritiers.… Lire la suite

Pas de violation du secret bancaire suisse à l’étranger

ATF 145 IV 144 | TF, 10.10.2018, 6B_1314/2016*

Lorsqu’une banque suisse sous-traite l’ensemble d’un secteur d’activité à une société étrangère, les données bancaires transmises à cette dernière ne sont plus protégées par le secret bancaire helvétique. Dès lors, un employé de la société étrangère qui publie des données clients ne commet pas une violation du secret bancaire lorsqu’il n’est pas employé de la banque suisse et que la société étrangère n’est pas mandataire de la banque suisse au sens de l’art. 47 LB.

Faits

En 1987, Rudolf Elmer commence à travailler pour la banque Julius Bär & Co SA à Zurich. En 1994, il est transféré aux îles Caïmans et devient Chief Operating Officer pour Julius Bar Bank & Trust Company Ltd., une filiale de Julius Bär & Co SA.

Entre 1999 et 2002, Rudolf Elmer est au bénéfice d’un Expatriate Agreement avec Julius Bär & Co SA, lequel règle en particulier des questions d’assurance. Dès 2002, ses droits et obligations sont principalement déterminés par un contrat conclu avec la filiale des îles Caïmans.

En 2011, le Ministère public du canton de Zurich ouvre une instruction pénale contre Rudolf Elmer notamment en raison de prétendues violations répétées du secret bancaire.… Lire la suite

La preuve du dommage lors d’une action contre une banque

ATF 144 III 155 | TF, 16.04.2018, 4A_586/2017*

Lorsqu’une banque a effectué plusieurs transactions non conformes, une estimation du dommage au sens de l’art. 42 al. 2 CO n’est possible que si les investissements fautifs ne sont plus déterminables ou lorsqu’il n’existe pas assez d’investissements exécutés en bonne et due forme en comparaison avec les investissements fautifs. Cette seconde hypothèse ne s’applique que si la part d’investissements fautifs l’emporte sur les investissements conformes ou si l’écart par rapport à la stratégie d’investissement initialement convenue est clairement reflété dans le patrimoine final du client. 

Faits

Un homme d’affaire domicilié en Turquie dépose une demande en paiement contre la succursale zurichoise d’une banque genevoise en vue d’obtenir le paiement de 6 millions de dollars. Le client allègue qu’il a subi un dommage en raison de transactions non conformes. Il justifie le montant réclamé en prenant en compte la différence entre (i) le relevé officiel de sa fortune présenté par sa conseillère le 24 janvier 2014 et (ii) le montant effectif de sa fortune à cette même date en raison d’opérations non conformes. Dans sa réplique, le client propose une autre méthode afin de prouver son dommage, soit la différence entre le montant qu’il a investi, augmenté d’environ 2.8 % correspondant au gain réalisé par un portefeuille de référence dans le même laps de temps, avec le montant qui lui reste effectivement.… Lire la suite