Le conflit d’intérêts en cas de changement d’étude d’un collaborateur

ATF 145 IV 218TF, 14.03.2019, 1B_510/2018*

La connaissance par un collaborateur en raison de son précédent emploi d’un dossier traité par le nouvel employeur constitue l’élément déterminant pour retenir la réalisation d’un conflit d’intérêts concret, lequel doit être évité.

Faits

Deux avocats du département judiciaire d’une étude genevoise défendent une société. En 2015, cette société dépose dans le canton de Vaud une plainte pénale contre un ancien employé de la société, lequel décide de se faire défendre par une autre étude genevoise. Au moment du dépôt de la plainte pénale, il se trouve que cette seconde étude genevoise confie en partie le dossier du prévenu à une collaboratrice qui le rencontre à tout le moins à une occasion. Or en 2017, la collaboratrice rejoint comme employée le département “droit du travail” de l’étude genevoise qui défend la société.

En 2017, le prévenu décide de changer d’avocat et informe le Ministère public que Me Etienne Campiche le représente dorénavant. En 2018, le prévenu requiert que le Ministère public vaudois interdise aux deux avocats de la plaignante de la représenter motifs pris que la collaboratrice qui a rejoint leur étude en 2017 avait eu accès au dossier lorsqu’elle travaillait chez son précédent employeur.… Lire la suite

La mutilation d’organes génitaux féminins commise à l’étranger

ATF 145 IV 17TF, 11.02.2019, 6B_77/2019*

Le législateur n’a aucunement voulu limiter les poursuites pénales fondées sur l’art. 124 CP aux auteurs qui séjournaient en Suisse au moment des faits. L’art. 124 CP doit viser la répression la plus large possible des mutilations d’organes génitaux féminins, notamment dans un but de prévention générale.

Faits

Un couple de ressortissants somaliens (nés en Somalie) est parent de quatre enfants dont deux filles nées respectivement en 2006 et 2007 en Somalie. Le mari quitte la Somalie pour venir seul en Suisse en 2008. Avant de venir le rejoindre en 2013, son épouse  a demandé à un tiers de pratiquer en Somalie une excision totale ou quasi totale sur l’une de ses filles et une ablation clitoridienne sur l’autre.

Sur la base de ces faits, le Tribunal de police du Littoral et du Val-de-Travers a reconnu l’épouse coupable de mutilation d’organes génitaux féminins. La Cour cantonale neuchâteloise a rejeté l’appel que l’épouse a interjeté contre cette décision. L’épouse recourt au Tribunal fédéral, lequel est amené à examiner si un Tribunal peut poursuivre en Suisse un auteur ayant mutilé des organes génitaux féminins alors qu’il n’avait aucun lien avec la Suisse.… Lire la suite

L’exigence d’un mobile discriminatoire dans l’art. 261bis al. 4 CP

ATF 145 IV 23TF, 06.12.2018, 6B_805/2017*

Sous l’angle subjectif, l’art. 261bis al. 4 CP (discrimination raciale) requiert que le fait de nier, minimiser grossièrement ou chercher à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité soit guidé par un mobile discriminatoire.

Faits

Dans deux articles parus dans un journal, respectivement sur une plateforme Internet, et dont le titre est « Srebrenica, comment se sont passées les choses en réalité » (traduction libre de l’italien) », un politicien écrit en particulier ce qui suit :

« la version officielle de Srebrenica est un mensonge ayant des fins de propagande, qui n’acquiert pas en véracité si elle est répétée à l’infini sans apporter la moindre preuve » ;

« les choses ne se sont pas passées de la façon dont certains ont essayé et essayent encore de nous faire croire » ;

« il y a effectivement eu un massacre, avec une petite différence toutefois, par rapport à la thèse officielle : les victimes du massacre étaient les Serbes » ;

« l’autre massacre, celui des musulmans, présente plusieurs aspects qui n’ont pas été clarifiés (plusieurs erreurs ont été découvertes en ce qui concerne le nombre total de victimes, et certaines personnes n’avaient rien à voir du tout avec Srebrenica) ».

Le tribunal de première instance tessinois (pretore) reconnaît le politicien coupable de discrimination raciale (art.Lire la suite

L’acte exécuté sans droit pour un Etat étranger (271 CP) et l’erreur sur l’illicéité (21 CP)

TF, 04.12.2018, 6B_804/2018

Si une personne a le sentiment que son comportement envisagé est contraire à la loi, elle ne peut être mise au bénéfice de l’erreur sur l’illicéité (art. 21 CP). Lorsque l’auteur vérifie au préalable la licéité de son comportement auprès d’un avocat, il ne peut s’appuyer sur son avis que si l’avocat dispose des faits de l’affaire dont il est saisi et que s’il a examiné tous les aspects juridiques.

Faits

Dans le cadre du conflit fiscal entre la Suisse et les États-Unis, une société de gestion de fortune constate qu’un certain nombre de ses clients ne sont pas déclarés auprès du fisc américain. Le président du conseil d’administration de la société s’annonce auprès du Department of Justice américain, lequel veut les noms des clients, mais refuse de déposer une demande d’assistance administrative ou judiciaire.

Avant de remettre les noms des clients au DoJ, le président du conseil administration de la société vérifie la légalité de sa démarche auprès d’une étude d’avocats. Ayant encore quelques doutes sur la légalité, il demande également un avis de droit à un professeur et à une juriste. L’avis de droit affirme que la transmission de données peut être justifiée “dans tous les cas” par l’état de nécessité licite (art.Lire la suite

La double incrimination en matière d’escroquerie fiscale

TPF, 30.10.2018, RR.2018.210

En matière d’entraide pénale internationale au sujet d’une escroquerie fiscale, il revient à l’État suisse requis d’analyser selon le principe de la double incrimination si les faits de la demande d’entraide sont réprimés en Suisse comme une escroquerie fiscale au sens de l’art. 14 al. 2 DPAIl revient toutefois à l’État requérant d’exposer des soupçons suffisamment précis pour constater qu’une escroquerie fiscale a été commise. 

Faits

Les autorités françaises dirigent en France une enquête pour soustraction frauduleuse à l’impôt et blanchiment aggravé à l’encontre du gérant d’une société. Elles soupçonnent que le gérant utilise un circuit atypique de ventes de vins entre des sociétés françaises ainsi qu’une autre société située dans la Principauté d’Andorre. La société andorrane serait une pure adresse de domiciliation dont le but serait de dissimuler des revenus perçus en France.

Les autorités françaises sollicitent des autorités suisses l’entraide judiciaire internationale en matière pénale afin d’obtenir les relevés des comptes bancaires suisses dont le gérant est le titulaire.

L’Office fédéral de la justice délègue l’exécution de la demande au Ministère public du canton du Valais (MP), canton dans lequel est situé l’institut bancaire concerné. Au vu du caractère fiscal de la demande, le MP demande un avis sur la question à l’Administration fédérale des contributions (AFC).… Lire la suite