L’immunité de juridiction et l’employée de la Mission permanente

CourEDH, Ndayegamiye-Mporamazina c. Suisse, 05.02.2019, Requête n°16874/12

Une employée d’une mission permanente qui agit contre son État employeur peut se voir opposer l’immunité de juridiction de l’État lorsque celui-ci n’a pas renoncé sans équivoque à son immunité et que l’employée ne réside pas dans l’État compétent pour trancher le litige.

Faits

Mme Ndayegamiye-Mporamazina est une ressortissante de la République du Burundi. Elle s’installe en France en 1993 et commencer à travailler au sein de la Mission permanente de la République du Burundi à Genève en qualité de secrétaire. Le contrat de travail prévoit notamment que « [p]our toute contestation (…), les parties auront recours (…), et pour autant que les usages diplomatiques le permettent, à la compétence du pouvoir judiciaire local ».

Après plusieurs années de travail, l’employée voit ses responsabilités augmenter au point de s’occuper des affaires consulaires et de disposer d’un bureau plus spacieux que ceux des diplomates. Toutefois, en août 2007, la Mission permanente décide de ne pas reconduire son contrat de travail. L’employée actionne alors la République du Burundi devant les tribunaux genevois pour licenciement abusif.

Le Tribunal des prud’hommes considère que la République du Burundi ne dispose pas de l’immunité de juridiction puisque l’employée n’était pas diplomate, mais exerçait des fonctions subalternes qui constituent des actes accomplis jure gestionis.… Lire la suite

L’art. 8 CEDH et la surveillance des justiciables effectuée par les assurances privées

CourEDH, 11.12.2018, Mehmedovic c. Suisse (Décision n° 17311/11)

Une surveillance menée par une assurance privée ne constitue pas une ingérence non justifiée dans l’exercice du droit à la vie privée du requérant si ce dernier dispose de voies de recours sur le plan pénal et civil pour se plaindre des atteintes à la personnalité et si les tribunaux procèdent à une analyse des intérêts concurrents en présence. La récente jurisprudence développée dans l’affaire Vukota-Bojić c. Suisse ne s’applique pas aux assurances privées.

Faits

En octobre 2001, Elvir Mehmedovic est victime d’un accident de la route. Suite à cet évènement, il actionne, dans deux demandes séparées, les conducteurs responsables de l’accident ainsi que leurs assurances responsabilité civile chiffrant son dommage à deux millions de francs. Une des assurances mandate une agence de détectives privés afin d’observer le demandeur. Durant cette surveillance, M. Mehmedovic est exclusivement observé dans des lieux accessibles au public. Le rapport de l’agence constate que celui-ci peut, sans grandes difficultés, porter des charges, faire ses achats, passer l’aspirateur et nettoyer sa voiture.

Le demandeur se voit débouté des demandes portant sur un prétendu dommage ménager dans le cadre des deux procès contre les assurances. Il décide d’actionner l’agence de détectives privés pour atteinte à sa personnalité.… Lire la suite

L’abus de droit en lien avec la loi sur les résidences secondaires

ATF 145 II 99 | TF, 03.12.2018, 1C_69/2018*

Les autorités saisies d’une demande de permis de construire doivent analyser d’office s’il existe des indices concrets que la demande est constitutive d’une fraude à la loi. Tel est en particulier le cas lorsqu’il paraît vraisemblable qu’une résidence principale ne pourra pas être commercialisée en tant que telle et que le requérant pourra donc potentiellement demander la suspension de la charge imposant l’utilisation en tant que résidence principale (art. 14 al. 1 let. b LRS).

Faits

Deux requérants déposent une demande de permis pour démolir deux bâtiments et construire trois nouveaux chalets sur la même parcelle, à Saanen. Il est prévu que chacun des chalets comprenne deux appartements de trois pièces et deux appartements de quatre pièces. La construction d’un espace fitness et wellness est également planifiée.

La commune de Saanen octroie le permis et rejette les oppositions des voisins. Suite à l’admission d’un recours intenté par les opposants, l’affaire est renvoyée à la commune pour qu’elle vérifie la conformité avec l’art. 75b Cst. Les requérants déposent alors une version modifiée du projet en prévoyant explicitement que les habitations seront utilisées comme résidences principales. La commune octroie l’autorisation, cette fois sous réserve de l’inscription au registre foncier d’une servitude imposant l’utilisation des habitations en tant que résidences principales.… Lire la suite

La surveillance des télécommunications par les services secrets (CourEDH) (III/III)

CourEDH, 13.09.2018, Affaire Big Brother Watch et autres c. Royaume-Uni, requêtes nos. 58170/13, 62322/14 et 24960/15 (III/III)

La base légale nationale permettant aux services secrets britanniques d’obtenir des données de communications viole le droit de l’UE. Or, le droit communautaire prévaut sur le droit national en cas de conflit. Le régime de surveillance anglais ne satisfait dès lors pas à l’exigence de légalité et viole de ce fait le droit à la vie privée (art. 8 CEDH).

Faits

À la suite des révélations d’Edward Snowden, plusieurs personnes physiques et morales contestent la conformité de la surveillance électronique déployée par les services secrets du Royaume-Uni au droit à la vie privée garanti par la CEDH (art. 8 CEDH).

Après avoir épuisé les voies de droit nationales, les requérants agissent devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans ce contexte, la CourEDH examine la conventionnalité de trois types de surveillance : (I) l’interception massive de communications ; (II) le partage de renseignements avec les services secrets étrangers ; et (III) l’obtention de données secondaires de communications auprès de fournisseurs de télécoms.

Le présent résumé s’attache au dernier de ces trois types de surveillance.

Les données secondaires de communications permettent de déterminer quels utilisateurs ont communiqués, ainsi que le lieu et le moment des communications (qui, où et quand), à l’exclusion du contenu de ces communications.… Lire la suite

La campagne politique sur l’initiative « Monnaie pleine » (art. 34 al. 2 Cst.)

ATF 145 I 175 | TF, 10.12.2018, 1C_216/2018*

Le recourant qui s’en prend aux explications du Conseil fédéral pour contester l’état général de l’information lors d’une campagne politique doit démontrer en quoi ces explications ont influencé l’état général. En tant qu’autorité chargée d’informer le public de la politique monétaire et en raison de son expertise particulière, la Banque nationale suisse était habilitée à prendre publiquement position sur l’initiative « Monnaie pleine ». En tant que conférence spécialisée intercantonale, la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances ne pouvait en revanche pas en faire de même. En effet, lorsque la majorité ou l’ensemble des cantons sont considérablement touchés par une votation fédérale, seule la Conférence des gouvernements cantonaux a le droit de s’exprimer au nom de ces cantons à la lumière de l’art. 34 al. 2 Cst. 

Faits

A l’occasion de la campagne à propos de l’initiative populaire fédérale « Pour une monnaie à l’abri des crises : émission monétaire uniquement par la Banque nationale ! (Initiative Monnaie pleine) », un citoyen recourt auprès du Conseil d’Etat argovien en invoquant une violation de la liberté de vote (art. 34 al. 2 Cst.). Il critique d’une part les explications de vote du Conseil fédéral, d’autre part la publication en ligne d’un communiqué intitulé « Les arguments de la BNS contre l’initiative Monnaie pleine » par la Banque nationale suisse (BNS) et d’un communiqué intitulé « La CDF recommande de rejeter l’initiative « Monnaie pleine » » par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances (CDF).… Lire la suite