Gestation pour autrui à l’étranger et filiation (1/2) : le droit applicable en l’absence d’une décision susceptible de reconnaissance

ATF 148 III 245TF, 07.02.22, 5A_545/2020*

Lorsque, suite à une gestation pour autrui à l’étranger, la filiation de l’enfant avec les parents d’intention a été établie ex lege, retranscrite dans un acte de naissance, et non par décision judiciaire, l’acte de naissance étranger ne constitue pas une décision susceptible de reconnaissance selon l’art. 70 LDIP. En l’absence d’une telle décision, la filiation doit être analysée sous l’angle du droit applicable selon l’art. 68 LDIP.

Faits 

Un couple marié composé d’une ressortissante suisse et turque et d’un ressortissant turc concluent un contrat de gestation pour autrui (GPA) avec une femme géorgienne. En 2019, la mère porteuse donne naissance à des jumeaux issus d’un don de sperme de l’époux ainsi que d’un don d’ovule de l’épouse. Dix jours après la naissance, le couple se rend en Turquie avec les nouveau-nés, lesquels sont enregistrés en tant que ressortissants turcs et enfants des époux. Plus de trois mois après, les époux rentrent en Suisse avec les jumeaux.

Entre temps, l’Ambassade de Suisse en Géorgie a transmis les actes de naissance des jumeaux établis à Tbilissi à l’office de l’état civil du canton de Zurich. Les documents indiquent le couple en tant que parents et la Turquie en tant que nationalité des jumeaux.… Lire la suite

Le pouvoir de conclure une prorogation de for et le for de nécessité en Suisse

ATF 148 III 242TF, 09.03.2022, 4A_486/2021*

On peut sans arbitraire considérer qu’une procuration spéciale, conférée sans avoir vu le contrat à signer et ne mentionnant pas de prorogation de for, ne permet pas au représentant d’engager la société signataire quant au choix des tribunaux compétents pour traiter les litiges liés au contrat. Par ailleurs, l’échec des parties à convenir d’une élection de for valide ne suffit pas, à lui seul, à fonder un for de nécessité (art. 3 LDIP) en Suisse.

Faits

Une société avec siège dans les Îles Vierges Britanniques s’engage à vendre à une société dubaïote les actions d’une de ses filiales pour un prix d’environ CHF 10 millions. Les deux parties conviennent par la suite d’un avenant portant notamment sur l’échelonnement du paiement du prix de vente. Un même individu signe le contrat initial et l’avenant pour la société dubaïote.

En cas de litige lié à la vente d’actions, les deux documents contractuels prévoient un for en Suisse, à Saint Gall.

L’acheteuse ne s’acquitte pas de tous les montants dus. La venderesse agit devant le Handelsgericht de Saint-Gall afin d’obtenir le paiement du prix de vente convenu. Le Handelsgericht retient que faute de pouvoir de représentation du signataire pour la société dubaïote, les contrats (et la clause d’élection de for) n’ont pas été valablement conclus.… Lire la suite

L’application de la Convention de Lugano post-Brexit

ATF 147 III 491 | TF, 22.03.2021, 5A_697/2020*

Nonobstant le Brexit, la Convention de Lugano continue de régir la reconnaissance en Suisse des décisions judiciaires britanniques antérieures au 31 décembre 2020, date d’expiration de la période de transition convenue entre l’UE et le Royaume-Uni, à tout le moins lorsque la procédure de reconnaissance devant les tribunaux cantonaux est intervenue avant cette date.

Faits

En 2013, plusieurs sociétés initient un procès en Angleterre contre leur CEO et leur ancienne CFO.

Par jugement du 28 février 2018, l’autorité anglaise compétente en première instance condamne ces derniers au paiement de plusieurs centaines de millions de livres sterling, dont 8 millions à titre d’acompte sur les dépens.

Le 17 octobre 2019, la High Court of Justice of England and Wales condamne par “Order” deux membres de la famille du CEO, qui avaient financé le procès, au paiement desdits 8 millions. La Cour leur refuse par ailleurs l’autorisation de faire appel.

Sur la demande des sociétés, le 3 décembre 2019, le juge de paix du district d’Aigle constate la force exécutoire de l’Order anglais au regard de la Convention de Lugano et scelle deux ordonnances de séquestre sur la base de l’art.Lire la suite

Roi sans carrosse : l’application du droit promulgué par un gouvernement dépourvu de pouvoir effectif

ATF 147 IV 361 | TF, 19.01.2021, 1B_396/2020, 1B_459/2020*

Au sens de la LDIP, le droit étranger vise le droit effectivement appliqué par une autorité jouissant d’un pouvoir inhérent à l’exercice de la souveraineté. L’avocat suisse désigné par une compagnie nationale étrangère, dont le conseil d’administration ad hoc a été nommé par un gouvernement de transition qui ne contrôle pas effectivement les institutions du pays, ne représente donc pas valablement la société.

Faits

Dans le cadre d’une vaste affaire de corruption, une compagnie pétrolière appartenant à l’État vénézuélien dépose une plainte pénale à Genève et désigne un avocat comme représentant.

En mars 2019, le Ministère public genevois est informé que, dans le contexte de la lutte pour le pouvoir entre Nicolás Maduro et Juan Guaidó, un nouveau conseil d’administration de la compagnie pétrolière a été nommé par l’Assemblée nationale du Venezuela présidée par Juan Guaidó.

Quelques mois plus tard, un second avocat informe le Ministère public qu’il représente désormais la société dans la procédure pénale. Il se prévaut d’une résolution du nouveau conseil d’administration, qui révoque également le mandat du précédent avocat.

Le Ministère public ordonne la transmission au premier avocat d’une copie numérotée du dossier et refuse de reconnaître la validité de la constitution du second avocat, qui recourt en son nom et en celui de la compagnie pétrolière devant la chambre pénale de recours, qui le déboute (arrêt ACPR/467/2020 du 3 juillet 2020), puis devant le Tribunal fédéral.… Lire la suite

La notification aux créanciers de la reconnaissance de l’état de collocation étranger

ATF 146 III 247TF, 30.03.2020, 5A_699/2019*

La décision de reconnaissance de l’état de collocation étranger (art. 173 LDIP) doit être notifiée aux créanciers domiciliés ou ayant leur siège en Suisse selon les art. 138 ss CPC, soit en principe par courrier recommandé.

Faits

Le Tribunal de commerce de Bruxelles prononce la faillite d’une société belge. Sur requête de la masse en faillite, le Tribunal de première instance de Genève reconnaît le jugement de faillite belge et ouvre une procédure de faillite ancillaire en Suisse.

Par la suite, le Tribunal de commerce de Bruxelles déclare nulle une créance de 17 millions d’euros que fait valoir une société suisse (la “créancière”). La masse en faillite ancillaire requiert alors la reconnaissance et l’exequatur en Suisse de l’état de collocation approuvé par l’instance belge. Après audition de la créancière, le Tribunal de première instance de Genève accède à cette requête.

Il notifie la décision de reconnaissance de l’état de collocation à la masse en faillite, mais non à la créancière. Celle-ci apprend lors d’un téléphone avec le greffe qu’un jugement a été rendu et en sollicite la notification. Le tribunal procède alors à la publication de sa décision dans la Feuille d’avis officiels du canton de Genève (la “FAO”), mais ne notifie pas directement la créancière.… Lire la suite