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Étendue de l’autorité de la chose jugée matérielle d’un jugement

TF, 28.04.2022, 4A_525/2021*

L’autorité de la chose jugée matérielle d’un jugement ne s’étend pas aux questions tranchées à titre préjudiciel. Dès lors, la res iudicata ne peut être opposée à une partie qui a omis d’invoquer la violation du contrat à titre de moyen de défense dans le premier procès, à tout le moins lorsque la partie adverse n’a pas pris de conclusion en constatation négative de l’absence de violation du contrat.

Faits

Une banque détient des options sur devises pour le compte d’une société.

En 2018, en raison de fortes turbulences sur le marché des devises, les options détenues par la banque pour le compte de la société présentent un découvert. La banque adresse un appel de marge (« margin call » ; appel à verser des fonds supplémentaires afin de compléter une couverture) à l’attention de la société. La société ne donne pas suite à cet appel.

Aussi, la banque résilie le contrat et liquide les options détenues pour le compte de la société. La liquidation entraîne un déficit de plusieurs millions d’euros que la banque porte au débit du compte courant de la société. Après cette opération, le compte courant de la société présente un solde négatif d’environ EUR 17’000’000.… Lire la suite

L’interprétation d’un ordre de bourse : acheter un call ou cent calls ?

TF, 12.01.2022, 4A_9/2021

L’ordre d’achat d’un instrument financier est une manifestation unilatérale de volonté. Si l’ordre d’un client portant sur une opération complexe est imprécis, la banque n’est pas responsable de sa mauvaise exécution.

Faits

Un conseiller professionnel externe recommande à un client d’acheter 100 options de la société Actelion. Le client se rend auprès de sa banque et demande à l’employé que l’opération se fasse immédiatement. L’employé remplit alors un formulaire interne d’ordre de bourse.

Le formulaire d’ordre de bourse indique, d’une part « 1 contrat de 100 calls » et, d’autre part, « acheter – 100 – call strike 160.- actions Actelion ».

Rappelons ici qu’une option call est un contrat qui donne le droit d’acquérir un sous-jacent, par exemple une action, à un certain prix (strike). Le titulaire de l’option n’est néanmoins pas forcément obligé d’exercer l’option, mais peut en particulier la revendre sur le marché secondaire.

Afin d’exécuter immédiatement l’ordre de bourse, l’employé appelle ses collègues de la salle des marchés en présence du client. Il s’ensuit deux conversations téléphoniques. Lors de celles-ci, le client n’entend que ce que dit l’employé, mais non les réponses de la collègue de la salle des marchés. Les deux employés au téléphone croient comprendre que le client veut acheter un seul call (c’est-à-dire un contrat permettant d’acheter 100 actions) et non cent calls (100 fois 100 options).… Lire la suite

Affaire Petrobras : proportionnalité de la confiscation et compatibilité avec l’accord de coopération (1/2)

ATF 147 IV 479 | TF, 01.06.2021, 6B_379/2020*

Pour confisquer des valeurs patrimoniales (art. 70 al. 1 CP) découlant d’un contrat conclu par corruption, le juge doit établir que, sans les pots-de-vin, les parties n’auraient pas conclu ce contrat. Le fait que l’intermédiaire ou ses sociétés ai(en)t fourni des prestations légales en sus d’actes de corruption ne s’oppose pas à la confiscation.

Le montant de la confiscation se détermine selon le principe du profit net (Nettoprinzip). Le seul fait que la corruption ait influencé l’appréciation d’un fonctionnaire ne permet pas de confisquer l’entier du profit net. Il convient d’estimer le montant à confisquer (art. 70 al. 5 CP) en se fondant sur l’ensemble des circonstances, conformément au principe de proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.).

Le prononcé d’une créance compensatrice, en plus de l’amende prévue dans un accord de coopération conclu entre la personne visée et les autorités étrangères dont le but est de restituer les gains, soulève des questions de compatibilité avec le principe de la bonne foi (art. 3 al. 2 lit. a CPP et art. 9 Cst.).

Faits

Deux sociétés, détenues par le même homme (ci-après : l’intermédiaire), négocient pour deux autres sociétés l’attribution de contrats relatifs à des navires de forage avec la société semi-étatique brésilienne Petrobras.… Lire la suite

Le taux d’intérêt négatif du LIBOR et le contrat de prêt

ATF 145 III 241 TF, 07.05.2019, 4A_596/2018*

Une interprétation du contrat de prêt est nécessaire pour déterminer les conséquences sur les intérêts du basculement du taux LIBOR dans le négatif. Un tel basculement n’entraîne en principe pas une inversion du flux de paiement, à savoir le paiement d’intérêts du prêteur à l’emprunteur.

Faits

En 2006, une commune genevoise emprunte CHF 100 Mios à une banque. Les parties conviennent que le prêt porte intérêt au taux LIBOR-CHF à six mois, augmenté d’un taux fixe de 0.0375 % par an.

En janvier 2015, l’introduction d’un taux d’intérêt négatif et l’abolition du taux plancher CHF-EUR par la BNS ont pour conséquence le basculement du taux LIBOR-CHF dans des taux négatifs. L’emprunteuse demande alors à la prêteuse de lui payer des intérêts en raison des nouveaux taux négatifs, ce que la prêteuse refuse. Celle-ci affirme en effet que le contrat ne prévoyait aucun paiement à sa charge en faveur de l’emprunteuse.

Le Tribunal de première instance et la Cour de justice rejettent la demande en paiement de plus de CHF 700’000 déposée par l’emprunteuse. Selon la Cour de justice, les parties n’avaient pas prévu l’éventualité d’un taux négatif. A l’aide d’une interprétation objective du contrat selon le principe de la confiance, la Cour considère que les parties ne pouvaient, de bonne foi, envisager un retournement de l’obligation de paiement des intérêts de l’emprunteuse à la prêteuse (ACJC/1258/2018 du 17 septembre 2018).… Lire la suite

La prescription de l’obligation de restituer les rétrocessions

ATF 143 III 348 | TF, 16.06.2017, 4A_508/2016*

Faits

En 1994-1995, une association mandate une société de courtage afin de développer et organiser un concept d’assurance pour ses membres. La société de courtage conclut alors divers contrats d’assurance pour l’association. Le 4 mars 2005, l’association apprend que la société de courtage a perçu des commissions occultes des sociétés d’assurance et conteste immédiatement leur légitimité. Après des pourparlers infructueux, l’association résilie le contrat avec la société de courtage le 19 août 2005.

Entre 2006 et 2007, l’association dépose une quinzaine de réquisitions de poursuite à l’encontre de la société de courtage, puis ouvre action le 1er juin 2007. Sur appel déposé par la société de courtage, la Cour de justice considère que les rétrocessions sont soumises à un délai de prescription de dix ans courant dès la fin du mandat.

La société de courtage exerce un recours auprès du Tribunal fédéral qui doit statuer sur le délai de prescription applicable aux rétrocessions ainsi que sur son point de départ.

Droit

L’art. 400 al. 1 CO prévoit que le mandataire est tenu, à la demande du mandant, de lui rendre en tout temps compte de sa gestion et de lui restituer tout ce qu’il a reçu de ce chef, à quelque titre que ce soit.… Lire la suite