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La non-entrée en matière sur un recours contre une décision refusant une nouvelle expertise psychiatrique (art. 394 lit. b CPP)

ATF 149 IV 205TF, 17.02.2023, 1B_162/2022*

Le préjudice juridique au sens de l’art. 394 lit. b CPP est donné lorsque le refus d’instruire porte sur des moyens de preuve qui risquent concrètement de disparaître. Il existe un risque théorique que, vu l’écoulement de temps entre la tenue d’une expertise judiciaire lors de l’instruction et la procédure de première instance, l’on se rende compte trop tard de ses défauts, voire de son inexploitabilité. Cependant, il appartient à la personne qui recourt contre le refus d’ordonner une nouvelle expertise de démontrer que ce risque pourrait se réaliser, notamment en exposant de manière circonstanciée en quoi l’expertise initiale serait entachée de défauts.

Faits

Un homme, soupçonné notamment d’homicide, se trouve en détention provisoire depuis décembre 2020. Le rapport d’expertise psychiatrique ordonné lors de l’instruction, daté du 8 août 2021, fait état de troubles liés à une consommation de substances psychotropes, d’un syndrome de dépendance (alcool, cannabis, cocaïne, benzodiazépines et nicotine) et d’un trouble dissociatif de la personnalité assorti d’éléments psychopathiques. L’expertise est complétée le 1er novembre 2021.

Le 10 décembre 2021, le prévenu demande une nouvelle expertise psychiatrique. Le Ministère public rejette cette demande par décision du 13 janvier 2022.… Lire la suite

La restriction de l’accès au dossier pénal à l’encontre d’une partie plaignante quasi-étatique

TF, 06.09.2022, 1B_601/2021

L’accès au dossier d’une partie plaignante étrangère et quasi-étatique peut être restreint s’il existe un risque que celle-ci transmette – en contournement des règles de l’entraide judiciaire – des pièces du dossier pénal suisse à l’État en question, et que ce dernier les utilise directement en tant que moyens de preuve pour sa procédure pénale nationale. Cela vaut même en l’absence de procédure pénale dans l’État en question et en l’absence d’une demande d’entraide pendante de cet État.

Faits

Suite à une plainte pénale déposée par une compagnie pétrolière appartenant à l’État vénézuélien, le Ministère public genevois (MP/GE) instruit une enquête contre trois employés ou prestataires de services pour un groupe, pour complicité de corruption d’agents publics étrangers (art. 322septies CP), blanchiment d’argent (art. 305bis CP) et soustraction de données (art. 143 CP).

Le MP/GE confirme la qualité de partie plaignante de la compagnie pétrolière et lui octroie le droit de consulter le dossier sans restriction.

Après plusieurs recours rejetés ou jugés irrecevables par le Tribunal fédéral, les trois individus – entretemps prévenus – demandent que des mesures de protection et de restriction à l’encontre de la société plaignante et de son conseil soient mises en oeuvre, en particulier l’obligation pour la partie plaignante de garder le silence (art.Lire la suite

Présomption d’innocence et disjonction des causes

TF, 30.06.2022, 1B_58/2022

Un verdict de culpabilité prononcé à l’encontre d’un·e prévenu·e ne préjuge pas du sort de ses co-prévenu·e·s jugé·e·s dans une autre cause parallèle, même s’ils et elles sont jugé·e·s par le·la même magistrat·e. Ils et elles peuvent en effet avoir adopté un comportement individuel différent, voire avec des éléments subjectifs différents. Pareille situation ne compromet donc pas le principe de présomption d’innocence (art. 10 CPP). 

Faits

Le 20 septembre 2019, des centaines de militant·e·s tiennent une manifestation pacifique non-autorisée sur le pont Bessière à Lausanne. Une centaine d’ordonnances pénales, toutes parfaitement identiques, sont notifiées aux manifestant·e·s.

Sur opposition des manifestant·e·s, le Ministère public du Canton de Vaud porte l’accusation devant le Tribunal d’arrondissement de Lausanne. S’écartant du principe de l’unité de la procédure (art. 29 CPP), celui-ci ouvre une quarantaine de procédures en lieu et place d’une seule. En amont des procès, le Tribunal d’arrondissement de Lausanne rejette les diverses demandes de jonction des manifestant·e·s. Sur recours immédiat de ceux-ci, la Chambre des recours pénale le déclare irrecevable, au motif qu’une demande de jonction pourra être faite à nouveau à l’ouverture des débats.

Aussi, les 18, 19 et 20 octobre 2021 ont lieu trois audiences de jugement, dans trois causes différentes mais portant toutes sur les mêmes faits, à l’encontre de six prévenu·e·s.… Lire la suite

La recevabilité du recours en matière pénale à l’encontre d’une décision de renvoi fondée sur l’art. 409 CPP

ATF 148 IV 155 | TF, 10.01.2022, 6B_1010/2021*

Les décisions de renvoi fondées sur l’art. 409 CPP ne sont en principe pas de nature à causer un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF.

Faits

En 2021, le Bezirksgericht de Lenzburg (AG) condamne un homme pour, notamment, contrainte et menaces répétées. Dans la procédure ayant mené au jugement, il ressort du dossier que le tribunal a interrompu les débats et invité les parties à déposer leurs plaidoiries par écrit, ce qui n’a pas suscité d’opposition.

Le condamné de même que la partie plaignante font appel de ce jugement. Se fondant sur l’art. 409 al. 1 CPP, l’Obergericht du canton d’Argovie casse la décision de première instance et renvoie la cause au Bezirksgericht de Lenzburg pour qu’il soit procédé à de nouveaux débats dans le respect du principe de l’oralité (cf. art. 66 CPP).

La partie plaignante forme recours devant le Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à préciser sa jurisprudence relative à la recevabilité du recours en matière pénale à l’encontre d’une décision de renvoi fondée sur l’art. 409 CPP. 

Droit

Aux termes de l’art.Lire la suite

Pas de préjudice irréparable au niveau cantonal : l’intérêt juridiquement protégé suffit

TF, 26.11.2021, 1B_485/2021

Les ordonnances du ministère public par lesquelles ce dernier refuse de retirer du dossier des moyens de preuve prétendument inexploitables sont sujettes à recours. Une personne qui souhaite recourir contre une telle ordonnance, conformément à l’art. 393 ss CPP, doit uniquement se prévaloir d’un intérêt juridiquement protégé (art. 382 al. 1 CPP), et non pas d’un préjudice irréparable aux termes de l’art. 93 LTF.

Faits

Le Ministère public genevois ouvre une instruction contre un homme pour escroquerie ainsi que tentative d’escroquerie. Dans le cadre de cette procédure, le prévenu demande le retrait de certaines pièces du dossier. Le Ministère public ayant refusé d’accéder à cette requête, il recourt à la Cour de justice de la République et canton de Genève. Se fondant sur la jurisprudence relative à l’art. 93 LTF, cette dernière déclare le recours irrecevable.

Le prévenu forme alors recours devant le Tribunal fédéral, appelé à déterminer si un recours au niveau cantonal au sens de l’art. 393 ss CPP est conditionné à l’existence d’un préjudice irréparable.

Droit

À titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle que, lorsqu’un recours porte sur la question de l’existence même d’un recours cantonal, le recours auprès du Tribunal fédéral est en principe recevable, indépendamment de l’existence d’un préjudice irréparable au sens de l’art. Lire la suite