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Le scandale du dieselgate et la notion de dommage

TF, 09.05.2023, 4A_17/2023

En droit suisse, la notion de dommage s’apprécie en application de la théorie de la différence qui se fonde sur l’état du patrimoine à deux moments précis. Ainsi, à défaut de perte patrimoniale, il n’y a pas de dommage. En ce sens, les dommages dits normatifs ne sont pas réparés en droit suisse, excepté le dommage ménager et l’aide gratuite apportée par les proches. Toute autre conception « normative » est exclue. En particulier, le fait d’avoir conclu un contrat qui n’aurait raisonnablement pas été conclu en toute connaissance de cause ne fonde pas un dommage.

Faits 

En 2010, une femme (la recourante) achète un véhicule d’une marque connue, équipé d’un moteur diesel. Ce véhicule a été fabriqué par une filiale sise en Suisse dont la société mère a son siège en Allemagne (la société intimée). Par communiqué officiel en 2015, la société intimée indique que certains de ses véhicules équipés d’un moteur diesel présentent des écarts significatifs entre les données officielles relatives aux émissions de CO2 et celles de conduite réelle. Quelque temps plus tard, elle met à disposition des détenteurs de véhicules concernés un logiciel gratuit permettant de les mettre aux normes. La recourante n’installe toutefois pas ce logiciel sur son véhicule, qui est alors interdit de circulation en 2018.Lire la suite

Force probante d’une expertise « extérieure » dans une procédure civile

 TF, 13.12.2021, 4A_410/2021

Lorsqu’une expertise produite dans une procédure civile a été mise en œuvre par une autre autorité dans une autre procédure, l’expertise est dite « extérieure ». À la différence d’une expertise privée, l’expertise « extérieure » a valeur probante et le juge civil doit respecter le droit d’être entendu des parties au sujet de l’expertise. 

Faits

En janvier 2006, une conductrice est victime d’un accident de la route. Elle se plaint immédiatement de douleurs cervicales et consulte son médecin le même jour. Celui-ci diagnostique une entorse cervicale et atteste une incapacité de travail totale de 3 à 5 jours, puis une incapacité partielle pendant cinq mois.

En raison de douleurs persistantes, l’assureur-accidents obligatoire de la lésée demande à deux spécialistes d’effectuer une expertise pluridisciplinaire en avril 2008. Ils retiennent que le lien de causalité naturelle entre l’accident et les douleurs cervicales persistantes est vraisemblable, voire certain. Lors d’une deuxième expertise, un neurologue parvient au même constat.

Le médecin-conseil de l’assurance responsabilité civile de l’automobiliste estime toutefois que ces deux expertises présentent de nombreux éléments incohérents ou incomplets. La lésée effectue alors un troisième examen en février 2010. Le spécialiste en neurochirurgie considère qu’à ce stade, l’atteinte à la santé n’est plus liée à l’accident.… Lire la suite

La répartition de la responsabilité selon l’art. 51 al. 2 CO

ATF 144 III 319 | TF, 12.07.2018, 4A_453/2017*

Le Tribunal fédéral revient sur sa jurisprudence concernant la hiérarchie des responsabilités en matière de solidarité imparfaite. La hiérarchie en trois lignes instaurée par l’art. 51 al. 2 CO ne doit pas être appliquée de manière absolue et le juge doit s’en écarter lorsque les circonstances du cas concret l’exigent. Tel est notamment le cas lorsqu’aucune des parties solidairement responsables n’a commis de faute grave.

Faits

Une entreprise est chargée de l’assainissement et de l’étanchéité d’un réseau de canalisation d’eaux usées dans le canton de Zurich. Durant les travaux, un employé de l’entreprise décide d’allumer une cigarette alors qu’il se trouve dans un puits de contrôle d’eaux usées. Le puits en question contient un résidu de gaz qui, au contact de la cigarette, s’enflamme et cause à l’employé des brûlures aux mains et à la tête. Le résidu de gaz provenait d’une conduite exploitée par une seconde entreprise. Suite à cet accident, l’employé lésé obtient des prestations d’assurances de la CNA, l’AI et de l’AVS. Les trois assureurs sociaux se retournent contre l’assurance responsabilité civile de l’entreprise exploitante pour obtenir le remboursement des prestations versées à l’employé lésé. Ces faits ont donné lieu à l’ATF 143 III 79 et à l’ATF 144 III 319, arrêt qui constitue l’objet principal de ce résumé.… Lire la suite

La notion de détenteur de l’immeuble (art. 32b bis LPE)

ATF 144 III 227 | TF, 15.03.2018, 4A_67/2017*

La notion de détenteur de l’immeuble prévue à l’art. 32b bis al. 1 LPE fait référence aux notions de droit privé. Il peut s’agir du propriétaire actuel de l’immeuble ou de celui qui est au bénéfice d’un droit réel limité, conférant par exemple la faculté de construire. La personne au bénéfice d’un droit personnel ne revêt en revanche pas la qualité de détenteur de l’immeuble. Ainsi, un contrat entre propriétaires reportant la prise en charge des frais d’assainissement sur l’ancien propriétaire n’exerce aucune influence sur la qualité pour agir de celui-ci.

Faits

Une société exerce le commerce de combustibles sur une parcelle dont elle est propriétaire. Il résulte de cet exercice une pollution de la parcelle. Cette parcelle, inscrite au registre des sites pollués, est vendue par la défenderesse à un acquéreur.

L’acquéreur obtient une autorisation pour construire un immeuble. L’autorisation impose que les matériaux pollués soient traités dans le cadre du projet de construction. L’acquéreur revend par la suite la propriété à un tiers en lui cédant le permis de construire et en s’engageant à prendre à sa charge tous les frais d’assainissement de la propriété. Des travaux d’assainissement du terrain pollué sont menés.… Lire la suite

La responsabilité de l’avocat d’office

ATF 143 III 10 |TF, 16.12.2016, 4A_234/2016*

Faits

Après avoir quitté son travail, une employée du CHUV obtient le remboursement en espèces de sa prestation de départ auprès de la Caisse de pension de l’Etat de Vaud (CPEV). Quelques années plus tard, alors qu’elle travaillait comme employée de maison, l’employée dépose une demande de prestations d’invalidité auprès de sa caisse de pension privée. Sa demande est refusée. Contre le refus, l’employée forme un recours. Un avocat est désigné avocat d’office pour la représenter durant la procédure. La décision de refus est confirmée par le Tribunal cantonal des assurances du Canton de Vaud. Sept ans plus tard, l’employée dépose une demande de rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle auprès de la CPEV. Celle-ci rejette la demande en invoquant la prescription. La Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois, puis le Tribunal fédéral, confirment cette décision.

L’employée ouvre action en dommages-intérêts contre l’avocat d’office et lui réclame environ 1.5 millions de francs, correspondant aux montants des prestations d’invalidité qu’elle aurait dû percevoir si sa demande n’avait pas été prescrite. Le tribunal de première instance rejette la demande en considérant que, selon le droit cantonal vaudois, l’avocat d’office n’assume pas de responsabilité personnelle pour son manque de diligence.… Lire la suite