L’accès à un document officiel lors d’une procédure pendante

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ATF 147 I 47TF, 12.01.2021, 1C_367/2020*

Le fait qu’un document officiel soit dans le dossier d’une procédure civile ou pénale pendante ne rend pas pour autant la LTrans inapplicable. Seuls les documents qui font partie de la procédure au sens strict sont exclus de la LTrans.

Faits

Le Conseil d’État neuchâtelois ordonne un audit concernant la gouvernance de deux sociétés subventionnées par le canton de Neuchâtel. L’audit révèle notamment des dysfonctionnements dans la gestion des affaires des sociétés. Après que l’audit lui a été remis par le Conseil d’État, le Ministère public ouvre une procédure pénale contre l’ancien directeur des deux sociétés. Le Tribunal de police du Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers acquitte le directeur, mais le Ministère public fait appel.

En parallèle, le directeur actionne une des deux sociétés pour licenciement abusif. Il produit l’audit dans la procédure.

Enfin, une société détenant un quotidien saisit la Commission de la protection des données et de la transparence des cantons du Jura et de Neuchâtel afin d’avoir accès à l’audit. Alors qu’elle rend une décision favorable, le Tribunal cantonal neuchâtelois considère que la demande du journal est irrecevable. En effet, tant que des procédures pénale et civile sont en cours, la Commission ne serait pas compétente.

Saisi par la requérante, le Tribunal fédéral est amené à préciser à quelle condition une procédure pendante s’oppose à une demande de transparence.

Droit

Les cantons de Neuchâtel et du Jura ont conclu la Convention intercantonale du 9 mai 2012 relative à la protection des données et à la transparence dans les cantons du Jura et de Neuchâtel (CPDT-JUNE). Contrairement au droit cantonal, revu sous l’angle de l’arbitraire, le Tribunal fédéral contrôle librement l’application du droit intercantonal (art. 95 let. e LTF).

Selon l’art. 69 al. 1 CPDT-JUNE, toute personne a le droit d’accéder aux documents officiels dans la mesure prévue par la présente convention. L’accès aux documents officiels ayant trait aux procédures et arbitrages pendants est régi par les dispositions de procédure (al. 2). L’art. 3 al. 1 let. a ch. 1 et 2 LTrans contient une réglementation comparable : la LTrans ne s’applique pas à l’accès aux documents officiels concernant les procédures civiles et pénales.

Selon le Message relatif à la LTrans, « l’accès aux documents relatifs aux procédures administratives et judiciaires énumérées à l’art. 3 let. a est régi par les lois spéciales applicables. Les documents qui, bien qu’ayant un rapport plus large avec les procédures en question, ne font pas partie du dossier de procédure au sens strict, sont en revanche accessibles aux conditions de la loi sur la transparence » (FF 2003 1850).

En se fondant sur ce Message et sur la doctrine, le Tribunal fédéral considère ainsi qu’il convient de distinguer entre :

  • les documents élaborés en dehors d’une procédure judiciaire (procédure au sens large), et
  • les documents qui ont été ordonnés expressément dans le cadre d’une procédure judiciaire (procédure au sens strict).

Si l’on devait admettre que les documents de la procédure au sens large échappent au principe de la transparence, cela permettrait de contourner la LTrans en produisant simplement un document officiel dans une procédure judiciaire. Or tel ne correspond pas au but visé par le législateur. Partant, seuls les documents de la procédure au sens strict échappent au principe de la transparence.

En l’espèce, l’audit a été déposé par le directeur dans la procédure civile. Ce rapport ne fait ainsi pas partie de la procédure au sens strict. Il en va de même pour la procédure pénale pendante. En effet, l’audit n’émane pas d’une autorité de poursuite pénale et il ne lui était pas destiné.

Le même raisonnement s’applique pour l’art. 69 al. 1 CPDT-JUNE. C’est ainsi à tort que le Tribunal cantonal a considéré que l’accès à l’audit devait être refusé en raison des procédures pendantes. Celles-ci ne sont pas des procédures au sens strict.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours. Il invite l’autorité cantonale à examiner, avant de transmettre l’audit, si certaines parties de ce rapport doivent éventuellement demeurer secrètes en application de l‘art. 72 al. 3 CPDT-JUNE (en particulier s’il devait contenir des données personnelles dont la révélation pourrait porter atteinte à la sphère privée).

Proposition de citation : Célian Hirsch, L’accès à un document officiel lors d’une procédure pendante, in : https://www.lawinside.ch/1014/