L’autorité compétente pour se prononcer sur la capacité de postuler d’un avocat en procédure civile

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ATF 147 III 351 | TF, 25.03.2021, 5A_485/2020*

L’examen de la capacité de postuler d’un avocat est une question de procédure exhaustivement réglée à l’art. 59 CPC, respectivement à l’art. 124 CPC. En vertu du principe de la primauté du droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst.), il revient donc uniquement au tribunal compétent sur le fond de la cause de se prononcer sur la capacité de postuler d’un avocat en procédure civile, à l’exclusion de toute autre autorité.

Faits

Un défunt institue sa fille comme héritière et son fils comme héritier. L’héritière, représentée par un avocat, fait appel à la Cour de justice du canton de Genève contre la décision de la Justice de paix de nommer une notaire pour procéder à l’inventaire civil. Dans sa réponse, l’héritier forme une requête préalable à la Cour de justice, tendant à faire interdiction à l’avocat de l’héritière de postuler.

L’héritier allègue que l’avocat se trouve dans une situation de conflit d’intérêts, compte tenu du fait qu’un avocat qui a rejoint l’étude dans laquelle il exerce avait déployé des activités notamment en lien avec la fortune des parties et du défunt.

La Cour de justice déclare irrecevable la requête préalable formée par l’héritier. Elle considère que l’art. 43 de la loi genevoise sur la profession d’avocat (LPAv/GE) attribue à la Commission du barreau le pouvoir d’examiner la capacité de postuler de l’avocat et de prononcer des injonctions à son encontre, en particulier lorsque celui-ci ne respecte pas l’interdiction d’agir en cas d’existence d’un conflit d’intérêts.

Contre cet arrêt, l’héritier forme un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Celui-ci doit en particulier vérifier si l’interprétation selon laquelle l’art. 43 LPAv/GE fonde la compétence de la Commission du barreau pour se prononcer sur la capacité de postuler d’un avocat dans une procédure civile pendante est conforme à l’art. 49 al. 1 Cst.

Droit

Selon l’art. 49 al. 1 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. L’art. 122 al. 2 Cst. quant à lui réserve expressément la compétence des cantons dans le domaine de l’organisation judiciaire et de l’administration de la justice en matière de droit civil, sauf disposition contraire de la loi.

En vertu de l’art. 12 let. c LLCA, l’avocat évite tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé. Celui qui accepte ou poursuit la défense d’intérêts contradictoires doit se voir dénier la capacité de postuler. La LLCA ne désigne pas l’autorité compétente habilitée à empêcher l’avocat de plaider lorsqu’une procédure est en cours. Au contraire, à son art. 34 al. 1, la LLCA prévoit que les cantons règlent la procédure.

Il s’agit néanmoins d’examiner si le CPC impose aux cantons des règles sur la compétence pour statuer sur la capacité de postuler de l’avocat dans une procédure pendante.

Le Tribunal fédéral souligne qu’en procédure pénale, il appartient à l’autorité en charge de la procédure de statuer d’office et en tout temps sur la capacité de postuler d’un mandataire professionnel (ATF 141 IV 257 c. 2.2, résumé in LawInside.ch/65/).

Le Tribunal fédéral expose ensuite les arguments doctrinaux favorables à ce que les cantons restent libres d’octroyer aux autorités de surveillance des avocats la compétence de traiter de l’interdiction de postuler. Cette partie de la doctrine fait notamment valoir que la capacité de postuler de l’avocat relève de la mise en œuvre des règles de la profession d’avocat instituées par la LLCA dont le CPC ne règle pas l’application, que la capacité de représenter les parties touche également l’organisation judiciaire cantonale, et que la composition de l’autorité de surveillance permet plus de distance et d’indépendance que le magistrat chargé de la procédure. De ce fait, l’autorité de surveillance garantirait plus d’uniformité dans le domaine, pouvant en outre intervenir de manière préventive et statuer en connaissance de faits couverts par le secret professionnel.

Ces arguments ne parviennent pas à convaincre le Tribunal fédéral. En accord avec une autre partie de la doctrine, il relève que l’exclusion de l’avocat des débats relève du contrôle de la capacité de postuler de celui-ci, soit d’une question de procédure à traiter par le juge saisi au fond.

En début de procédure, cette question se pose en lien avec la recevabilité de l’acte introductif d’instance selon l’art. 59 CPC, alors que dans une procédure pendante, la décision sur la capacité de postuler de l’avocat vise à garantir la bonne marche du procès et s’inscrit dans le cadre de l’art. 124 al. 1 CPC. Or, dans les deux cas, le CPC règle exhaustivement la question et fonde la compétence du tribunal qui conduit le procès au fond ou, sur délégation, d’un de ses membres. En conséquence, la primauté du droit fédéral interdit aux cantons de consacrer la compétence d’une autre autorité.

Partant, l’autorité qui doit statuer sur la capacité de postuler de l’avocat en cours de procédure est le tribunal compétent sur le fond de la cause (art. 124 al. 1 CPC) ou, sur délégation, un membre de ce même tribunal (art. 124 al. 2 CPC), à l’exclusion de l’autorité de surveillance.

En l’espèce, en niant sa compétence au profit de la Commission du barreau en application de l’art. 43 LPAv/GE, la Cour de justice du canton de Genève a violé l’art. 49 al. 1 Cst., en lien avec l’art. 124 al. 1 CPC.

Le Tribunal fédéral admet ainsi le recours, annule l’arrêt attaqué et renvoie la cause à la Cour de justice pour qu’elle entre en matière sur la requête préalable de l’héritier.

Proposition de citation : Noé Luisoni, L’autorité compétente pour se prononcer sur la capacité de postuler d’un avocat en procédure civile, in : https://www.lawinside.ch/1058/

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