L’accès au dossier COMCO

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ATF 147 II 227 | TF, 18.03.2021, 2C_1040/2018*

L’art. 19 al. 1 let. a LPD permet à la COMCO de communiquer des données à un canton lésé par un comportement anticoncurrentiel.

Faits

La Commission de la concurrence (COMCO) sanctionne des entreprises dans le canton d’Argovie pour avoir conclu des accords entraînant la suppression d’une concurrence efficace au sens de l’art. 5 al. 3 LCart.

Le canton d’Argovie demande à la COMCO un accès complet au dossier de la procédure. La COMCO admet la requête, mais une entreprise recourt contre cette décision. Le Tribunal administratif fédéral lui donne raison (A-604/2018). En effet, une communication des données au canton d’Argovie serait admissible uniquement si une violation du droit des cartels avait été établie dans une décision entrée en force. Or, selon le Tribunal administratif fédéral, non seulement la décision n’est pas entrée en force, mais en plus elle ne constate pas une violation du droit des cartels.

Le canton d’Argovie ainsi que le Département de l’économie, de la formation et de la recherche exercent un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit en particulier interpréter l’art. 19 al. 1 LPD (communication de données personnelles) afin de déterminer si le canton d’Argovie peut avoir accès au dossier de la COMCO.

Droit

Une communication de données personnelles par un organe fédéral est licite uniquement lorsqu’elle repose sur une base légale (art. 5 al. 1 Cst.). L’art. 19 al. 1 LPD constitue une telle base légale et sert de norme générale d’assistance administrative lorsque l’assistance administrative entre autorités n’est pas réglée spécifiquement.

L’art. 19 al. 1 let. a LPD prévoit que les organes fédéraux sont en droit de communiquer des données personnelles lorsque “le destinataire a, en l’espèce, absolument besoin de ces données pour accomplir sa tâche légale“.

In casu, le canton d’Argovie exige l’accès au dossier pour trois motifs distincts. Premièrement il souhaite répondre à diverses interpellations de parlementaires cantonaux. Deuxièmement, il entend examiner si une action en dommages-intérêts est envisageable. Enfin, il désire savoir si certaines entreprises doivent être exclues des appels d’offres actuels ou futurs.

Le Tribunal fédéral considère que les interpellations de parlementaires cantonaux constituent sans aucun doute une tâche légale du canton. Cela étant, elles ont depuis lors été liquidées.

Concernant le deuxième et le troisième motif, ils ont trait à l’obligation d’exécuter ses tâches de manière économique  (Gebot der wirtschaftlichen Aufgabenerfüllung). Or, après un examen du droit argovien, le Tribunal fédéral considère que la bonne gestion des finances fait bel et bien partie des tâches légales du canton d’Argovie.

Le Tribunal fédéral doit encore examiner si le canton a “absolument besoin de ces données” (unentbehrlich sind).

Après avoir procédé à une interprétation minutieuse, et conforme à l’art. 29 al. 2 Cst., le Tribunal fédéral considère que l’art. 19 al. 1 let. a LPD n’exige ni que la décision de la COMCO soit entrée en force, ni qu’elle constate une violation du droit des cartels. Il suffit que la communication rende possible l’exécution de la tâche légale, même s’il n’est pas certain qu’elle puisse effectivement être accomplie dans le cas particulier.

Par ailleurs, le Tribunal fédéral souligne que si le canton devait avoir accès aux données uniquement lorsque la décision de la COMCO entre en force, il y aurait un risque que les potentielles prétentions civiles soient prescrites. En effet, les procédures en droit des cartels sont complexes et durent souvent plus de dix ans. Le droit d’accès à un tribunal au sens de l’art. 6 CEDH pourrait ainsi se trouver violé (cf. CourEDH, Howald et autres c. Suisse, n°52067/10, 11 mars 2014).

En l’espèce, le Tribunal fédéral constate que sans l’accès aux données visées, le canton d’Argovie ne peut pas se déterminer sur l’existence, ou non, d’une prétention civile contre l’entreprise visée par la COMCO. Partant, les conditions de l’art. 19 al. 1 let. a LPD sont remplies.

Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral considère que la communication de données selon l’art. 19 al. 1 let. a LPD doit respecter les règles générales de la LPD, en particulier le principe de finalité (art. 4 al. 3 LPD). Selon ce principe, les données ne peuvent être utilisées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été initialement collectées. Afin de lutter contre les cartels (art. 1 LCart), les autorités de la concurrence collectent diverses données auprès des acteurs du marché afin d’évaluer si leur comportement a des effets néfastes sur l’économie ou la société.

En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que la communication des données par la COMCO au canton d’Argovie respecte le but de la LCart, à savoir une “sanction” en raison d’un comportement anticoncurrentiel. La communication est par ailleurs également proportionnée. Partant, elle respecte les principes généraux applicables en protection des données.

Dans un troisième temps, le Tribunal fédéral examine si les exceptions mentionnées à l’art. 19 al. 4 LPD trouvent application. Selon cette disposition, l’organe fédéral refuse la communication, la restreint ou l’assortit de charges, si :

  1. un important intérêt public ou un intérêt légitime manifeste de la personne concernée l’exige, ou si
  2. une obligation légale de garder le secret ou une disposition particulière relevant de la protection des données l’exige.

Concernant l’obligation légale de garder le secret (art. 19 al. 4 let. b LPD), l’art. 25 al. 1 LCart dispose que les autorités en matière de concurrence sont assujetties au secret de fonction. L’art. 25 al. 2 LCart prévoit que les informations recueillies dans l’exercice de leurs fonctions ne peuvent être utilisées qu’à des fins de renseignement ou d’enquête. Le Tribunal fédéral considère que cette disposition peut être interprétée de façon large (auquel cas elle limite la communication de données entre autorités) ou restrictive (auquel cas elle limite l’utilisation des données au sein même de l’autorité en matière de concurrence).

Cette question peut toutefois demeurer ouverte en l’espèce. En effet, le Tribunal fédéral estime que, quelle que soit l’interprétation retenue, l’art. 25 al. 2 LCart ne constitue pas une disposition particulière empêchant la communication de données au sens de l’art. 19 al. 4 let. b LPD.

Concernant l’intérêt légitime manifeste de la personne con­cernée (art. 19 al. 4 let. a LPD), le Tribunal fédéral note que les intérêts du canton d’Argovie sont très importants. De plus, les secrets commerciaux de l’entreprise ont déjà été pris en compte par la COMCO et ne seront pas divulgués. Des données de tiers ne seront pas non plus communiquées. Dès lors, il n’y a pas lieu de procéder à une pesée des intérêts.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et octroie l’accès au dossier au canton d’Argovie conformément à la décision de la COMCO.

Note

L’entrée en vigueur de la nLPD remplacera l’actuel art. 19 LPD par l’art. 36 nLPD (cf. le tableau comparatif de swissprivacy). Cette disposition prévoit, à son al. 2 let. a, que les organes fédéraux peuvent communiquer des données lorsque “la communication des données est indispensable à l’accomplissement des tâches légales du responsable du traitement ou du destinataire”. Le champ de cette disposition est ainsi élargi (FF 2017 6698), puisque la communication sera désormais également possible lorsqu’elle indispensable pour le responsable (in casu la COMCO), et non seulement pour le destinataire (le canton d’Argovie).

Proposition de citation : Célian Hirsch, L’accès au dossier COMCO, in : https://www.lawinside.ch/1070/