La nécessité d’un·e expert·e externe en cas d’appel au juge (art. 439 CC) contre un PAFA ordonné par un·e médecin

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ATF 148 III I

Dans le contexte d’un appel au juge (art. 439 CC) contre une décision de placement à des fins d’assistance (PAFA) ordonné par un·e médecin pour cause de troubles psychiques (art. 429 CC), une expertise est nécessaire (art. 450e al. 3 CC). Elle ne doit pas être menée par un·e membre de l’autorité appelée à statuer, mais par un·e expert·e externe.

Faits

Le 11 juillet 2021, un homme est placé à des fins d’assistance sur ordre d’un médecin désigné par le canton (art. 429 CC) pour cause de troubles psychiques. La durée du placement est fixée à six semaines. Le concerné en appelle au juge selon la procédure prévue à l’art. 439 CC. Sa demande d’expertise est rejetée par le Tribunal cantonal. Le 11 août 2021, le concerné exerce un recours auprès du Tribunal fédéral, qui doit se prononcer sur la nécessité d’une expertise en cas d’appel au juge contre un placement ordonné par un·e médecin.

Droit

Bien que le recourant ait été libéré par les autorités cantonales 9 jours après le dépôt de son recours, le Tribunal fédéral décide d’entrer en matière, rappelant qu’il est possible de se prévaloir d’un intérêt virtuel et non actuel au sens de l’art. 76 al. 1 lit. b LTF dans des cas exceptionnels, notamment lorsque la violation du droit invoquée pourrait se répéter à tout moment et qu’un examen judiciaire en temps utile ne serait guère possible (ATF 146 II 335 c. 1.3). C’est le cas en l’espèce, puisque le recourant a déjà dû être placé à des fins d’assistance à plusieurs reprises par le passé, et qu’au vu de ses troubles psychiques, il y a lieu de craindre que de nouveaux placements soient nécessaires à l’avenir. La question de la nécessité d’une expertise risque aussi de se poser à nouveau, sans que le Tribunal fédéral ne puisse être saisi à temps pour évaluer la pratique bernoise en la matière.

Aux termes de l’art. 450e al. 3 CC, la décision de placement relative à des troubles psychiques doit être prise sur la base d’un rapport d’expertise. Se fondant sur une interprétation téléologique, le Tribunal cantonal bernois a estimé que l’art. 450e al. 3 CC ne serait pas applicable en cas d’appel au juge (au sens de l’art. 439 CC) contre le placement ordonné par un·e médecin, malgré le renvoi prévu par l’art. 439 al. 3 CC aux art. 450 ss CC sur la procédure de recours. Dans tous les cas, les exigences légales seraient remplies si l’autorité appelée à statuer comprenait un·e psychiatre et que le jugement rendu était donc basé sur des connaissances techniques suffisantes, comme c’est le cas dans la pratique bernoise. Par ailleurs, la brièveté du délai fixé à l’autorité pour se prononcer (cinq jours selon l’art. 450e al. 5 CC) ne permettrait de toute manière pas la conduite d’une expertise complète. Le Tribunal cantonal s’est en particulier basé sur un ouvrage traitant du droit bernois (Ch. Hurni et alii, Das Verfahren vor dem Berner Kindes- und Erwachesenenschutzgericht, Zurich 2020, N. 445-446).

Le Tribunal fédéral rejette le point de vue du Tribunal cantonal bernois selon lequel il serait possible de renoncer à une expertise devant l’autorité appelée à statuer sur la base de l’art. 439 CC en cas de placement ordonné par un·e médecin, en excluant l’art. 450e al. 3 CC du renvoi de l’art. 439 al. 3 CC. Même si un tel placement ne peut excéder six semaines (art. 429 al. 2 in fine CC), il s’agit en tous les cas d’une atteinte grave à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst), ce qui justifie le respect d’exigences strictes (ATF 143 II 189 c. 3.2).

Par ailleurs, une interprétation du Message correspondant du Conseil fédéral (Message du 28 juin 2006 concernant la modification du Code civil suisse, FF 2006 6635, p. 6719 s.) permet de conclure que l’expertise au sens de l’art. 450e al. 3 CC ne peut pas être confiée à un·e membre de l’instance de recours, même suffisamment qualifié·e en la matière, mais doit incomber à une personne tierce. Cette interprétation se base directement sur celle de la CourEDH (affaire D.N. contre Suisse du 29 mars 2001, arrêt 27154/95 ; voir également ATF 137 III 289 c. 4.4).

Le Tribunal fédéral écarte également les arguments de nature pratique du Tribunal cantonal bernois, lequel invoque la brièveté du délai de cinq jours fixé à l’autorité pour statuer après le dépôt du recours (art. 450e al. 5 CC) et l’obstacle ainsi posé à une expertise complète. Le fait que l’exigence d’une expertise risque d’entrer en conflit avec le principe de célérité ne justifie pas d’y renoncer, mais rend simplement nécessaires certaines mesures organisationnelles (BSK-Geiser/Etzensberger, art. 439 N 50).

Le Tribunal fédéral admet donc le recours et renvoie l’affaire à l’instance inférieure. Le recourant n’étant plus sous le coup d’un placement à des fins d’assistance, son intérêt à recourir n’est plus actuel. Néanmoins, l’instance inférieure pourrait lui reconnaître un intérêt virtuel et entrer en matière pour examiner si les conditions de l’art. 426 CC étaient bel et bien remplies.

Proposition de citation : Camille de Salis, La nécessité d’un·e expert·e externe en cas d’appel au juge (art. 439 CC) contre un PAFA ordonné par un·e médecin, in : https://www.lawinside.ch/1152/