La restitution des prestations versées au conseil d’administration (CO 678 II)

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ATF 140 III 602

Faits

Le conseil d’administration d’une société anonyme, dont le but est le placement de capital et la gestion de patrimoine, est composé exclusivement de deux membres. Lors d’une séance du conseil, les administrateurs se mettent d’accord sur le fait que, dans l’hypothèse où ils réussissent à vendre les actions de Téléverbier SA pour un prix supérieur à 4’000’000 francs, ils auront droit à une prime correspondant à 1 % du prix de vente final.

Les actions sont vendues pour un montant de 4’400’000 francs. Les deux administrateurs se versent alors la prime de 44’000 francs .

La société ouvre action en justice contre les administrateurs et demande la restitution de cette somme sur la base de l’art. 678 al. 2 CO. Le Tribunal cantonal donne raison à la société et condamne les administrateurs à la restitution.

Les administrateurs font recours au Tribunal fédéral et font valoir que les conditions de la restitution ne sont en l’espèce pas remplies.

Il se pose dès lors la question de savoir à quelles conditions un administrateur peut être tenu à restitution en vertu de l’art. 678 al. 2 CO.

Droit

L’art. 678 al. 2 CO règle la restitution des prestations qu’un actionnaire ou qu’un administrateur a reçu et qui ne tombent pas sous le coup de l’art. 678 al. 1 CO, en raison du fait que la prestation ne prend pas la forme d’un dividende, d’un tantième, d’une part de bénéfice ou d’intérêts intercalaires.

Le Tribunal rappelle tout d’abord que la restitution des prestations fondée sur l’art. 678 al. 2 CO est soumise à trois conditions cumulatives :

  1. la disproportion entre la prestation et la contre-prestation de l’administrateur doit être évidente ;
  2. la disproportion entre la prestation et la situation économique de la société doit être évidente ; et
  3. le destinataire de la prestation ne doit pas être de bonne foi.

Après avoir exposé ces conditions, le Tribunal fédéral les analyse les unes après les autres.

Concernant la disproportion avec la contre-prestation des administrateurs, le Tribunal fédéral retient que la contre-prestation n’a en l’espèce consisté qu’en l’envoi d’une vingtaine d’e-mails afin de pouvoir vendre les actions. De plus, la vente d’actions fait partie du but de la société. Ils ont dès lors agi dans le cadre de leur activité habituelle d’administrateurs de cette société. Enfin, l’utilisation de leurs « connaissances préalables et relations » pour pouvoir vendre ces actions n’est pas pertinente en raison du fait que celle-ci fait précisément partie de leurs devoirs en tant qu’administrateurs. Il y a donc une disproportion évidente entre la prime de 44’000 francs et leur contre-prestation.

Concernant la disproportion avec la situation économique de la société, le Tribunal fédéral précise que cette condition s’analyse différemment selon que la situation économique de celle-ci en question est bonne ou mauvaise. Lorsque la société se porte bien, le conseil d’administration bénéficie d’une plus grande marge de manœuvre quant aux prestations qu’il peut se verser. Pour autant, le Tribunal fédéral précise qu’il ne s’agit pas de soustraire les sociétés dont la situation économique est bonne à l’application de l’art. 678 al. 2 CO, si bien que, même dans une telle situation, une prestation qu’un administrateur se verse peut être considérée comme disproportionnée. Enfin, lorsque la situation économique de la société est mauvaise, on retiendra plus facilement que les prestations versées sont disproportionnées. En l’espèce, dans l’hypothèse où la société n’avait pas reçu de prêts de la part de son actionnaire unique, elle serait tombée en faillite. Partant, la situation économique de la société est mauvaise, si bien qu’il y a une disproportion entre l’intérêt économique de la société celle-ci et les prestations que les administrateurs se sont versées.

Enfin, concernant la bonne foi des administrateurs, le Tribunal fédéral retient simplement que lorsque les deux premières conditions sont remplies, l’administrateur ne peut plus se prévaloir de sa bonne foi au sens de l’art. 3 al. 2 CC. Partant, cette troisième condition est aussi remplie en l’espèce.

Le recours est ainsi rejeté et les administrateurs sont tenus à restitution.

Note : Pour un commentaire critique de cet arrêt, cf. Martin Waldburger in : GeskR 2015 p. 141 ss.

Proposition de citation : Célian Hirsch, La restitution des prestations versées au conseil d’administration (CO 678 II), in : https://www.lawinside.ch/12/