Le secret commercial ou industriel en matière d’assistance administrative internationale  

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ATF 148 II 336TF, 19.05.2022, 2C_481/2021*

La notion de secret commercial ou industriel (art. 26 par. 3 let. c MC OCDE) doit être comprise de manière restrictive. Il s’agit de faits ou circonstances d’une importance économique considérable, dont la révélation peut conduire à un grave préjudice. Le fait qu’un renseignement vraisemblablement pertinent soit couvert par le secret permet à l’Etat requis de refuser d’échanger ce renseignement, mais ne lui interdit pas de le faire.

Faits

L’autorité fiscale péruvienne adresse à l’Administration fédérale des contributions (AFC) une demande d’assistance administrative en matière fiscale visant une société péruvienne. Le Pérou sollicite des renseignements au sujet d’un contrat entre la société péruvienne et une société suisse du même groupe qui porte sur la vente de cuivre brut. Il s’agit donc de vérifier le prix de transfert et de s’assurer que le bénéfice imposable au Pérou n’a pas été transféré à l’étranger.

L’AFC accorde l’assistance administrative pour les renseignements demandés (contrat de fabrication, acte de règlement, factures, contrats d’achats, etc.). Le Tribunal administratif fédéral (TAF) rejette le recours des sociétés impliquées.

Les sociétés impliquées forment un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit en particulier se prononcer sur la question de savoir si le secret commercial s’oppose à l’octroi de l’assistance administrative.

Droit

La recevabilité du recours en assistance administrative internationale en matière fiscale suppose une question juridique de principe ou un cas particulièrement important au sens de l’art. 84 al. 2 LTF (art. 83 let. h et 84a LTF). Le Tribunal fédéral ne s’est jamais penché sur le secret commercial ou industriel en matière d’assistance administrative. Or, cette question peut se poser, en particulier en lien avec les prix de transfert. Le recours est donc recevable.

Sur le fond, l’échange porte sur les renseignements vraisemblablement pertinents (art. 25 par. 1 CDI CH-PE). En l’occurrence, les renseignements faisant l’objet de l’assistance sont pertinents puisqu’ils permettent de déterminer si le prix de vente du cuivre est conforme au principe de la pleine concurrence. Ces documents permettent également de s’assurer que le bénéfice imposable au Pérou n’a pas été transféré à l’étranger.

Le Tribunal fédéral se demande alors si le secret commercial au sens de l’art. 25 par 3 let. c CDI CH-PE s’oppose à l’octroi de l’assistance administrative.

Selon l’art. 25 par. 3 let. c CDI CH-PE, les dispositions des par. 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un Etat contractant l’obligation de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial.

Le Tribunal fédéral procède alors à l’interprétation de la notion de « secret  » en se basant sur le commentaire du MC OCDE, étant donné que la CDI CH-PE est calquée sur ce modèle (cf. art. 26 par. 3 let. c MC OCDE). Il retient que la notion de secret doit être comprise de manière restrictive. Il s’agit de faits ou circonstances d’une importance économique considérable, dont la révélation peut conduire à un grave préjudice. La détermination et le recouvrement de l’impôt ne peuvent pas être considérés comme un tel préjudice. Il s’agit principalement d’éviter l’utilisation abusive de l’assistance administrative à des fins d’espionnage économique. Compte tenu de la présomption de la bonne foi de l’Etat requérant en matière d’assistance administrative, il revient à la personne visée d’apporter des indices concrets comme quoi l’autorité requérante mène un espionnage économique. Dans ce dernier cas, l’autorité requise peut demander un éclaircissement à l’autorité requérante.

Le Tribunal fédéral se penche alors sur la portée de la clause du secret (art. 25 par. 3 let. c CDI CH-PE) en lien avec l’obligation de transmettre les renseignements vraisemblablement pertinents (art. 25 par. 1 CDI CH-PE). En se fondant à nouveau sur le commentaire de l’OCDE et sur le texte de la convention, il retient que la présence d’un secret permet à l’Etat requis de refuser d’échanger un renseignement vraisemblablement pertinent, mais ne lui interdit pas de le faire. L’Etat requis dispose donc d’un pouvoir d’appréciation pour refuser l’assistance, dans le but de protéger les intérêts de ses contribuables, mais la convention n’interdit pas l’échange de renseignements.

Une interdiction d’accorder l’échange de renseignements en lien avec des informations couvertes par le secret ne peut donc se fonder que sur le droit interne d’exécution. Or, la LAAF n’interdit pas le transfert d’une information qui révèle un secret. Selon l’avis d’Andrea Opel, il n’est pas à exclure que la Constitution et les droits fondamentaux s’opposent à l’octroi de l’assistance dans ce cas.

Le Tribunal fédéral n’examine toutefois pas cette question, étant donné qu’en l’espèce les renseignements ne contiennent pas de secret. En effet, l’échange porte principalement sur des contrats, livres et documents comptables, qui ne comprennent pas de secret commercial. Enfin, le fait que le Pérou est également actif dans le domaine minier et le commerce du cuivre ne témoigne pas d’un espionnage commercial et n’est pas de nature à remettre en cause le but fiscal de la demande d’assistance.

Par conséquent, le grief tiré du secret commercial ou industriel (art. 25 par. 3 let. c CDI CH-PE) doit être rejeté.

Néanmoins, le Tribunal fédéral admet très partiellement le recours afin de corriger une erreur de plume dans le dispositif de l’arrêt du TAF.

Proposition de citation : Tobias Sievert, Le secret commercial ou industriel en matière d’assistance administrative internationale  , in : https://www.lawinside.ch/1202/