L’art. 224 CP et la théorie de la représentation

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ATF 148 IV 247 | TF, 27.04.2022, 6B_795/2021*

Conformément à la théorie de la représentation, un danger collectif au sens de l’art. 224 CP peut être retenu en cas de mise en danger d’une seule personne ou d’une seule chose, à condition qu’elle n’ait pas été prise pour cible à l’avance mais soit atteinte par le seul effet du hasard, de sorte qu’elle apparaît comme une représentante de la collectivité.

Faits

En novembre 2018, un homme fixe une fusée pyrotechnique sur un radar semi-stationnaire de contrôle de la vitesse dans une localité et en allume la mèche. La détonation cause des dommages matériels à hauteur de plus de CHF 11’000 à l’installation.

Le Strafgericht de Bâle-Campagne le condamne pour dommages à la propriété (art. 144 CP). Sur appel du Ministère public, le Kantonsgericht confirme cette décision. Le Ministère public exerce un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral. Ce dernier doit déterminer si les éléments constitutifs de l’infraction d’emploi, avec dessein délictueux, d’explosifs ou de gaz toxiques (art. 224 CP), en particulier la mise en danger d’autrui, sont réalisés.

Droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler la teneur de l’art. 224 CP, selon lequel celui qui, intentionnellement et dans un dessein délictueux, aura, au moyen d’explosifs ou de gaz toxiques, exposé à un danger la vie ou l’intégrité corporelle des personnes, ou la propriété d’autrui, sera puni d’une peine privative de liberté d’un an au moins. Selon le Kantonsgericht, le danger collectif (Titre 7 du CP) fait défaut, puisque le condamné a choisi le radar en question de manière ciblée.

Deux théories s’opposent : la théorie dite individuelle (Individualtheorie) et la théorie de la représentation (Repräsentationstheorie). Selon la première, une mise en danger concrète d’une personne ou d’une chose déterminée suffit à la réalisation de l’infraction, sans qu’un danger collectif ne soit nécessaire. Selon la seconde, une mise en danger concrète d’une seule personne reste suffisante, pour autant que l’individu ou la propriété ne soient pas choisis comme cibles, mais atteints par le fruit du hasard.

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral se livre à une interprétation systématique, historique, téléologique et littérale des dispositions actuelles relatives aux explosifs (art. 224 à 226 CP), assortie d’un tour d’horizon de la jurisprudence fédérale et cantonale en la matière. Si le Tribunal fédéral a, par le passé, privilégié la théorie individuelle (voir en particulier ATF 103 IV 241 c. I.1 et ATF 115 IV 111 c. 3b), il n’approfondit pas particulièrement les raisons qui lui font écarter la théorie de la représentation. Le Tribunal pénal fédéral, quant à lui, applique depuis plusieurs années la théorie de la représentation (par exemple, SK.2015.4 du 18 mars 2015 c. 4.4.2), après avoir auparavant défendu la théorie individuelle. La pratique des cantons n’est pas non plus uniforme. Par ailleurs, la doctrine dominante défend actuellement la théorie de la représentation (entre autres : Bruno-Roelli, Basler Kommentar, art. 224 StGB n. 6 ; Parein-Reymond/Parein/Vuille, Commentaire romand, art. 224 CP n. 11).

Le Tribunal fédéral relève que tout usage d’explosifs ne cause pas un danger collectif, mais que ce danger dépend des circonstances du cas particulier. Les éléments constitutifs de l’infraction doivent donc être limités de manière appropriée, du moins en ce qui concerne le résultat de la mise en danger ; c’est pourquoi il ne faut inclure que les actes qui mettent d’emblée en danger des biens juridiques représentant la collectivité. Le Tribunal fédéral choisit donc de consacrer, dans cet arrêt, la théorie de la représentation : le fait qu’une seule chose ou une seule personne soit mise en danger suffit, pour autant qu’elle n’ait pas été déterminée individuellement à l’avance, mais choisie par hasard (c. 3).

En l’espèce, l’intimé a pu contrôler le déroulement des faits, sans que la collectivité ne soit mise en danger. Il a allumé la mèche de son installation au milieu de la nuit, alors que le trafic avait cessé et qu’il pouvait anticiper l’arrivée d’un·e usager·ère de la route. La mèche était courte, ce qui fait que la phase d’allumage n’a duré que quelques secondes. Le radar n’apparaissait donc pas comme un représentant de la collectivité, mais a au contraire été choisi de manière ciblée. L’élément constitutif objectif du danger public fait défaut, raison pour laquelle une condamnation sur la base de l’art. 224 CP est exclue. Le Tribunal fédéral s’en tient à l’infraction de dommages à la propriété (art. 144 CP) et rejette le recours.

Note

Pour un résumé détaillé de l’arrêt, nous renvoyons nos lectrices et nos lecteurs à la contribution rédigée par Alexandre Guisan, in : « Emploi d’explosifs (art. 224 CP) sur un radar routier : le Tribunal fédéral se rallie à la théorie de la représentation », crimen.ch, juin 2022.

 

 

Proposition de citation : Camille de Salis, L’art. 224 CP et la théorie de la représentation, in : https://www.lawinside.ch/1235/