L’emploi contre la volonté du détenu de sa rémunération pour couvrir ses frais médicaux et d’autres frais (art. 83 al. 2 et 380 al. 2 CP)

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ATF 148 IV 346 | TF, 02.08.2022, 6B_820/2021*

Il n’est pas contraire aux art. 83 al. 2 CP et 380 al. 2 CP d’employer la rémunération d’un détenu de façon ciblée contre sa volonté à d’autres fins que de l’épargne ou du disponible. Un tel emploi doit néanmoins être prévu par une base légale et respecter le principe de la proportionnalité. Tel est le cas des règles intercantonales (art. 6 et 7 de la décision de la Conférence latine des autorités cantonales compétentes en matière d’exécution des peines et des mesures relative à la rémunération des détenus) et cantonales (art. 59-61 RSPC/VD) à teneur desquelles 20 % de la rémunération du détenu est affectée à un compte réservé qui sert notamment au paiement de frais médicaux. Le prélèvement sur le compte disponible du détenu d’un montant correspondant aux frais de transfert provoqué par son comportement intentionnel est également admissible.

Faits

En avril 2019, un détenu du Pénitencier de Bochuz, au sein des Etablissements de la Plaine de l’Orbe (EPO), est transféré sur ordre de l’Office vaudois d’exécution des peines dans un autre établissement pénitentiaire hors du canton. L’autorité motive cette décision par l’absence de collaboration persistante du détenu avec les intervenant-es assurant sa prise en charge, son absence de respect des règlements et directives ainsi que son attitude condescendante et manipulatrice.

En vue du transfert, le Service de comptabilité des EPO établit un document « clôture et décompte de sortie » à l’attention du détenu. Il ressort des explications fournies à l’appui de ce décompte que les EPO ont déduit, du compte réservé du détenu, un montant de CHF 2’245.70 pour couvrir une partie de ses frais médicaux non couverts et, de son compte disponible, un montant de CHF 340.20 correspondant aux frais de transport de ses effets personnels ainsi que la somme de CHF 98 pour l’achat de cartons de déménagement. Les frais médicaux non couverts du détenu correspondent au montant de la prime d’assurance excédant le subside cantonal et à la participation aux frais médicaux non pris en charge par l’assurance. Ils s’élèvent au total à CHF 5’963.55 mais, dès lors que seul le montant de CHF 2’245.70 a pu être prélevé sur le compte réservé, les EPO ont renoncé à percevoir le solde.

Le détenu dépose une « plainte administrative » contre ce décompte et conclut notamment au remboursement de la somme correspondant aux frais de transport de ses effets personnels (CHF 340.20) et à l’achat des cartons (CHF 98.-). Ultérieurement, il conteste également le prélèvement du montant de CHF 2’245.70 pour couvrir ses frais médicaux.

Après une première décision annulée sur recours et renvoyée pour complément d’instruction, la Cheffe du Service pénitentiaire rejette le recours du détenu contre la décision de clôture de compte et décompte de sortie. Cette décision est confirmée sur recours par la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois.

Le détenu interjette alors un recours au Tribunal fédéral, qui doit déterminer si le prélèvement, sur la rémunération du détenu et sans l’accord de celui-ci, de frais médicaux non couverts et de frais de déménagement est conforme aux art. 83 al. 2 et 380 al. 2 CP.

Droit

En préambule, le Tribunal fédéral note que, même si l’utilisation de la rémunération du travail du recourant, contre sa volonté, ne relève pas d’une décision d’exécution proprement dite au sens de l’art. 78 al. 2 let. b LTF, elle a trait à l’application de l’art. 83 al. 2 CP. Le recours en matière pénale est dès lors recevable pour contester une décision à ce sujet.

Sur le fond, le Tribunal fédéral rappelle d’abord la teneur des dispositions pertinentes pour apprécier la cause.

D’une part, selon l’art. 83 al. 2 CP, pendant l’exécution de la peine, le détenu ne peut disposer librement que d’une partie de la rémunération qu’il reçoit pour son travail. L’autre partie constitue un fonds de réserve dont il disposera à sa libération. La rémunération ne peut être ni saisie, ni séquestrée, ni tomber dans une masse en faillite. Sa cession ou son nantissement son nuls. Il appartient aux cantons de fixer le montant de la rémunération ainsi que l’utilisation de celle-ci par le détenu (art. 19 O-CP-CPM).

D’autre part, à teneur de l’art. 380 al. 2 let. a CP, le condamné est astreint à participer aux frais de l’exécution dans une mesure appropriée, par compensation de ceux-ci avec les prestations de travail dans l’établissement d’exécution des peines et des mesures. Les cantons édictent des dispositions à ce sujet (art. 380 al. 3 CP).

En application de ces dispositions et du Concordat latin sur la détention pénale des adultes, la Conférence latine des autorités cantonales compétentes en matière d’exécution des peines et des mesures a adopté une décision relative à la rémunération des détenus, à teneur de laquelle la rémunération est répartie en trois parts (art. 6 al. 2) : disponible 65 %, réservée 20 %, bloquée 15 %. La part réservée doit être utilisée, au besoin sans l’accord du détenu, pour payer notamment les frais médicaux (art. 7 al. 3 ch. 5). Le règlement vaudois sur le statut des personnes condamnées exécutant une peine privative de liberté ou une mesure (RSPC/VD) reprend cette réglementation (art. 59-61).

Dans un premier grief, le recourant soutient que la compensation des frais d’exécution avec les prestations de travail prévue par l’art. 380 al. 2 CP est déjà mise en œuvre par une rémunération inférieure à un salaire régulier et que, par conséquent, il est exclu d’utiliser une seconde fois cette rémunération pour payer des frais d’exécution au sens de l’art. 380 al. 2 let. a CP.

Le Tribunal fédéral rejette ce grief, en relevant qu’il est de la compétence des cantons de préciser les modalités de la participation du condamné au frais (art. 380 al. 3 CP). A ses yeux, le droit fédéral n’impose pas que la compensation se fasse exclusivement sous la forme d’une rémunération réduite. Rien ne s’oppose donc par principe à ce qu’une compensation des frais puisse en sus être débitée, dans une mesure appropriée, du compte disponible ou réservé du détenu.

Le recourant fait en deuxième lieu grief à la réglementation cantonale de contrevenir à l’art. 83 al. 2 CP en prévoyant la création d’un compte « réservé » servant notamment au paiement des frais médicaux, en sus du compte disponible et du compte bloqué.

A ce sujet, le Tribunal fédéral rappelle d’abord que le sens et le but de l’art. 83 al. 2 CP est de permettre au détenu de disposer, au moment de sa libération, d’un capital de départ aussi élevé que possible. Dans ce contexte, l’insaisissabilité de la rémunération vise à éviter de nuire à la motivation du détenu au travail et à lui permettre de constituer une épargne destinée à favoriser sa resocialisation. On ne saurait non plus exiger de sa part le paiement d’un montant qui le force à des restrictions excessives l’empêchant de subvenir d’une manière satisfaisante à ses besoins personnels durant la détention.

De l’avis du Tribunal fédéral, la formulation de l’art. 83 al. 2 CP n’est toutefois pas exhaustive : elle n’exclut pas toute autre utilisation de la rémunération du travail que la part dont le détenu peut disposer librement et la part constituant un fonds de réserve. Dans le respect des principes de la légalité et de la proportionnalité, il est admissible qu’une partie de la rémunération soit utilisée de manière ciblée, notamment pour les frais médicaux, cas échéant sans l’accord du détenu.

En l’espèce, l’art. 60 RSPC/VD, qui dispose que le compte réservé est alimenté par le versement de 20 % des montants perçus au titre de la rémunération et peut être employé sans l’accord du détenu notamment pour le paiement des frais de santé non couverts, constitue une telle une base légale. Compte tenu de l’affectation de la rémunération du détenu à concurrence de 65 % à son compte disponible et de 15 % à son compte bloqué, le compte réservé n’a ni empêché le détenu de subvenir à ses besoins personnels, ni ne l’a entravé dans son épargne en vue de sa libération. Dès lors, il était proportionné et donc admissible d’astreindre le recourant à une participation aux frais médicaux depuis son compte réservé.

Dans un troisième moyen, le recourant fait valoir que les frais médicaux en question ne sont pas des frais d’exécution au sens de l’art. 380 al. 2 CP et que, par conséquent, il ne peut être astreint à participer à ces frais par compensation de ceux-ci avec ses prestations de travail.

Tout en laissant ouverte la question de savoir si la part des primes d’assurance qui excède le montant mensuel subsidié et la part des frais médicaux non couverts constituent des frais d’exécution au sens strict de l’art. 380 al. 2 CP, le Tribunal fédéral rejette ce grief au motif que ces frais constituent à tout le moins des frais obligatoires qui permettent au détenu de rester en bonne santé et qui peuvent s’inscrire dans les frais d’exécution au sens large du terme. L’art. 380 al. 3 CP autorise du reste les cantons à édicter des dispositions précisant les modalités de participation du condamné aux frais. Le Tribunal fédéral retient ainsi que la notion de frais doit rester générale et doit s’interpréter largement dans les limites de l’art. 83 al. 2 CP qui ont été présentées ci-avant.

En quatrième et dernier lieu, le recourant considère que le prélèvement, sans son accord, de frais pour l’emballage de ses affaires et le transport de celles-ci contrevient à l’art. 83 CP et à l’art. 59 RSPC/VD, qui autorise le prélèvement du compte disponible sans l’accord du détenu pour « le paiement des frais dus à des dégâts ou des dommages que la personne condamnée a provoqués intentionnellement ou par négligence grave » ou pour « les mesures entraînant des frais (par exemple évasion) ».

En ce qui concerne le grief de violation de l’art. 83 CP, le Tribunal fédéral renvoie au développement qui précède sur la portée de cette disposition, laquelle n’empêche pas un emploi ciblé de la rémunération du détenu à d’autres fins que de l’épargne ou du disponible. Il rejette par conséquent la critique du recourant sur ce point.

Quant au grief de violation du droit cantonal, il ne satisfait pas en l’espèce aux exigences de motivation accrues qui s’imposent pour prétendre que l’application du droit cantonal viole l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.) ou un autre droit fondamental. Quoi qu’il en soit, le Tribunal fédéral considère qu’il ressort de l’arrêt entrepris que le recourant a provoqué intentionnellement et systématiquement des situations ne permettant plus sa détention au sein de l’établissement et rendant dès lors son transfert nécessaire. Par conséquent, on ne saurait reprocher aux autorités cantonales d’avoir manifestement violé l’art. 59 RSPC/VD en l’astreignant à participer aux frais entraînés par le transfert rendu nécessaire par son comportement intentionnel.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette intégralement le recours.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, L’emploi contre la volonté du détenu de sa rémunération pour couvrir ses frais médicaux et d’autres frais (art. 83 al. 2 et 380 al. 2 CP), in : https://www.lawinside.ch/1243/