Cession des droits de garantie et PPE : quelques précisions jurisprudentielles

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TF, 20.12.2022, 4A_152/2021

En matière de cession des droits de garantie, par application analogique de l’art. 467 al. 2 CO, la cessionnaire (l’acheteuse) du droit à la réparation est tenue de faire valoir en priorité le droit cédé ; la prestation due par la cédante restant en suspens entretemps.

Faits

Une société venderesse fait construire plusieurs appartements qu’elle constitue en PPE. Elle vend les unités d’étages à une douzaine d’acquéreurs. Le contrat de vente conclu avec deux acquéreurs contient une clause de cession des droits de garantie. La venderesse cède ainsi aux acquéreurs les droits légaux à la garantie (art. 368 CO) qu’elle détient contre les constructeurs. Ces deux mêmes contrats ne contiennent en revanche aucune clause d’exclusion des droits de garantie en faveur de la venderesse.

Des défauts apparaissent sur les parties communes de la PPE. Les deux acquéreurs ouvrent une action en paiement contre la venderesse. Ils réclament un montant correspondant aux frais de réparation. Les tribunaux de première et seconde instances cantonales condamnent la venderesse. Ils estiment que les acquéreurs ont dans un premier temps valablement exercé leur droit à la réparation, puis, devant le refus de la venderesse d’éliminer les défauts, ont valablement opté pour l’exercice du droit à la réduction du prix.

La venderesse recourt au Tribunal fédéral, lequel est amené à trancher la question de savoir si les acquéreurs avaient le droit d’exercer leurs droits à la garantie contre la venderesse sans préalablement exercer les droits cédés.

Droit

À titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle que les propriétaires d’étages sont individuellement titulaires des droits de garantie pour les défauts affectant les parties communes, puisque ces droits découlent du contrat passé par chaque acquéreur avec la venderesse. Le droit à la réduction de prix est de nature divisible. Il permet à son titulaire de faire valoir une réduction du prix convenu, proportionnellement à la moins-value de sa part d’étage causée par la partie commune défectueuse. En revanche, le droit à la réfection d’une partie commune est indivisible. Il permet à chaque propriétaire d’étage d’obtenir une réparation pleine et entière des défauts apparaissant sur les parties communes. En l’espèce, contrairement ce qu’ont retenu les instances précédentes, le Tribunal fédéral estime que les demandeurs ont ouvert une action en exécution du droit à la réfection de toutes les parties communes. Partant, leurs prétentions portent sur l’élimination complète des défauts affectant les parties communes et non sur une réduction du prix qui devrait correspondre alors à leurs quote-parts respectives.

Le Tribunal fédéral identifie ensuite les prétentions en garantie effectivement cédées par la venderesse. Il rappelle qu’en matière de cession des droits de garantie, il est largement admis qu’en tout cas, le droit à la réfection du défaut est cessible, qu’il s’agisse de la prétention en suppression du défaut lui-même ou de la créance pécuniaire qui peut en découler. Il relève que la cessibilité des droits à la résolution du contrat et à la réduction de prix est niée par la jurisprudence mais fait l’objet de discussions doctrinales. Partant, les deux acquéreurs se sont fait céder valablement à tout le moins le droit à la réparation.

Reste donc à définir si les deux acquéreurs devaient prioritairement exercer leurs droits cédés avant d’exercer leurs droits contre la venderesse. Le Tribunal fédéral commence par observer qu’en l’absence d’une clause contractuelle limitant la propre obligation de garantie de la venderesse, le texte clair de la cession se comprend uniquement comme l’attribution aux acquéreurs de la possibilité d’exercer directement contre les débiteurs cédés de nouvelles prétentions en garantie, lesquelles s’ajoutent à leurs droits de garantie envers la venderesse.

Cela étant dit, la cession du droit de réfection intervient en vue d’exécution (zahlungshalber ; art. 172 CO). En pareil cas, le cessionnaire (l’acheteur) est tenu, par application analogique de l’art. 467 al. 2 CO, de faire valoir en priorité le droit cédé, la prestation due par le cédant restant en suspens entretemps ; il ne doit toutefois respecter cette obligation que s’il dispose des informations suffisantes pour agir contre les entrepreneurs concernés.

En l’espèce, le Tribunal fédéral constate que les deux acquéreurs disposaient des informations suffisantes pour exercer le droit de réfection envers les entrepreneurs (débiteurs cédés). Partant, ils auraient dû exercer leurs droits cédés avant d’entreprendre des démarches contre la venderesse. Il s’ensuit que le recours doit être admis.

Note

Bien que non destiné à la publication, cet arrêt a été rendu à cinq juges. Il appelle les trois commentaires suivants :

1. La cessibilité des droits de garantie 

Le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence selon laquelle deux des trois droits alternatifs à la garantie sont incessibles (ATF 114 II 239 ; cf. ég. l’ATF 145 III 8, c. 3.2.2, rés. in Lawinside). Selon le Tribunal fédéral, les droits à la réduction du prix et à la résolution du contrat (art. 368 CO) sont incessibles car ce sont des droits formateurs (ATF 114 II 239, 5 b/aa, “Die Wandelungs- und die Minderungsrechte sind als Gestaltungsrechte nicht abtretbar“). En revanche, le droit à la réparation de l’ouvrage est cessible bien qu’il s’agisse également d’un droit formateur (ATF 118 II 142, JdT 1993 I 300 ; sur la notion de droits formateurs, cf. Nussbaumer, La cession des droits de garantie, thèse Fribourg, Genève/Zurich/Bâle 2015, N 580 ss).

Comme le relève le Tribunal fédéral dans l’arrêt commenté ici, sa position relative à l’incessibilité des droits formateurs à la réduction et à la résolution est critiquée par la doctrine (pour un aperçu, cf. Nussbaumer, op.cit. Thèse, N 117 ss). Nous profitons de ces lignes pour souligner trois critiques (parmi d’autres) à l’encontre de l’ATF 114 II 239 précité :

  • L’absence de fondement dogmatique. Le Tribunal fédéral fonde encore aujourd’hui le caractère incessible des droits à la réduction du prix et à la résolution sur le principe de l’incessibilité des droits formateurs (ATF 114 II 239, 5 b/aa). Or, comme nous l’avons montré dans une contribution de 2016 (Nussbaumer, L’incessibilité des droits formateurs : Le « principe », ses fondements et son influence pour la pratique contractuelle, RDS/ZSR 2016 I, p. 27 ss), l’incessibilité des droits formateurs n’a aucun fondement dogmatique que ce soit en droit suisse ou en droit allemand (pays berceau de la notion de droits formateurs). En Allemagne, les droits formateurs sont en principe cessibles et la réception de cette notion en Suisse en 1924 par Andreas von Tuhr n’a pas remis en cause ce principe (von Tuhr, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, T. I, 1ère éd., Zurich 1924, § 3 ; cf. ég. Nussbaumer, RDS 2016, p. 33 s.). Il est d’ailleurs intéressant de voir le Tribunal fédéral se référer à l’incessibilité des droits formateurs pour justifier sa position relative aux droits à la réduction et à la résolution (ATF 114 II 239, 5 b/aa), puis quelques années après, reconnaître que, bien qu’il soit qualifié de droit formateur, le droit à la réparation de l’ouvrage puisse être cédé  (ATF 118 II 142, JdT 1993 I 300).
  • Notre économie regorge d’exemples de cession des droits formateurs (à la garantie). Si j’achète en grande surface un ordinateur pour l’offrir à un ami, en tant qu’acheteur je suis titulaire des droits formateurs à la réduction du prix à la résolution du contrat et au remplacement de la chose. Je reçois d’ailleurs potentiellement un bon de garantie. Après avoir donné l’ordinateur (et le bon de garantie) à mon ami, celui-ci constate qu’il ne marche pas. Il retourne au magasin et décide de le rendre moyennant remboursement du prix de vente (résolution du contrat). On peine à imaginer dans un tel contexte une partie soulever le principe d’incessibilité de droits formateurs pour empêcher mon ami d’exercer son droit à la résolution. Dans ce même exemple, on peine à imaginer qu’un tribunal considérerait que mon ami n’est pas titulaire d’une prétention contre le magasin motif pris que les droits formateurs sont incessibles. Autre exemple de la vie économique : les call et put options. “[L]es call et put option sont des droits qui offrent la possibilité (l’option) à leur titulaire de rendre exigible un contrat de vente à un instant T (options européennes) ou à n’importe quel moment (options américaines), à des conditions prédéterminées” (TF, 5A_715/2016, c. 5.2.2 et la citation du Tribunal fédéral à Nussbaumer, op.cit. Thèse, N 594 où nous qualifions de tels droits de droits formateurs). Les call et put options sont des droits formateurs. On peut raisonnablement douter que les achats/ventes de tels instruments financiers puissent être invalidés sur la base du principe d’incessibilité des droits formateurs.
  • Cession des droits de garantie et cession de créances futures. Dans la mesure où les droits à la garantie sont générateurs de créances, leur transfert entraîne une cession implicite des créances sous-jacentes. Ces créances latentes n’existant pas encore, il s’agit en réalité d’une cession de créances futures. Or la cession de créances futures est parfaitement licite (ATF 113 II 163). Partant, dans la mesure où transférer un droit à la garantie (droit formateur secondaire) revient à transférer les créances futures en garantie (droits primaires sous-jacents) qu’il contient, il nous paraît quelque peu discutable d’empêcher la cession de tels droits au motif que les droits formateurs seraient incessibles (Nussbaumer, RDS 2016, p. 48 ss).

Ainsi, à notre sens, le fait de qualifier les droits à la résolution et à la réduction de formateurs ne suffit pas en soi à justifier un principe d’incessibilité des droits de garantie. Dans une approche moins dogmatique et plus pragmatique, il s’agit à notre sens plutôt d’identifier au cas par cas si la cession d’un droit (formateur) à la garantie se fait en conformité avec les principes fondamentaux du droit privé, en particulier la relativité des conventions et le devoir de se comporter de façon conforme à la bonne foi objective (pour un développement de cette idée, cf. Nussbaumer, RDS 2016, p. 44 s.).

2. L’articulation entre les droits cédés et les droits contre la venderesse

C’est dans la question de l’articulation entre les droits cédés et les droits contre la venderesse que réside la nouveauté de l’arrêt que nous commentons ici. Le Tribunal fédéral pose le principe selon lequel le cessionnaire (l’acheteur) est tenu, par application analogique de l’art. 467 al. 2 CO, de faire valoir en priorité le droit cédé. Ainsi, la prestation due directement par le cédant reste en suspens entretemps (effet suspensif de la cession ; cf. à ce sujet Nussbaumer, op.cit. Thèse, N 81 ss). Le Tribunal fédéral apporte toutefois deux précisions très intéressantes et justifiées :

  • D’abord, la cession n’a un effet suspensif que si la cédante a respecté tous les devoirs accompagnant la cession des droits de garantie. En particulier, la cédante doit garantir un exercice effectif des droits cédés. Dans cette mesure, elle est tenue d’indiquer au cessionnaire l’identité des débiteurs cédés et à notre sens les conditions contractuelles auxquels ils sont soumis. Si par son comportement (il peut s’agir d’une omission), la cédante empêche le cessionnaire d’exercer efficacement les droits cédés, alors le cessionnaire est en droit d’exercer ses droits directement contre la cédante, pour autant qu’une clause d’exclusion des droits de garantie n’ait pas été convenue dans le contrat de vente intervenu entre la cessionnaire et la cédante (en présence d’une telle clause, cf. notre position : Nussbaumer, op.cit. Thèse, N 981).
  • Plus intéressant encore, le Tribunal fédéral ajoute la phrase suivante : “[i]l est à observer au passage que, comme seul le droit à la réfection peut être cédé, rien n’empêche l’acquéreur d’exercer envers le vendeur, si les conditions en sont remplies, le droit à la réduction du prix ou à la résolution du contrat, sans avoir à faire valoir préalablement le droit de réfection cédé” (c. 6.1). Partant, l’effet suspensif de la cession des droits de garantie ne vaut que pour le droit à la réparation. Si le contrat de vente conclu avec la venderesse ne contient pas de clause d’exclusion des droits de garantie, alors, même si la venderesse (cédante) a respecté devoirs mentionnés ci-dessus, elle est toute de même exposée aux droits à la réduction et à la résolution.

3. La collision des droits de garantie dans la PPE 

Le Tribunal fédéral rappelle que le droit à la réduction est divisible alors que le droit à la réparation est indivisible. Dans le contexte d’une PPE, en présence d’un défaut sur une partie commune, le droit à la réparation permet à chaque propriétaire d’étage d’obtenir une réparation pleine et entière des défauts apparaissant sur les parties communes. La nature indivisible du droit à la réparation a pour effet que l’élimination du défaut n’est pas limité à la quote part du propriété d’étage qui exerce son droit. En revanche, la nature divisible du droit à la réduction a pour effet que le propriétaire d’étage qui l’exerce pour un défaut affectant une partie commune obtient une réduction correspondant à la moins-value de sa part d’étage.

Aussi, lorsque dans un premier temps, un propriétaire d’étage exerce son droit à la réduction et obtient une diminution du prix, et que dans un second temps, un autre propriétaire d’étage exerce son droit à la réparation, les deux droits de garantie exercés entrent en collision (sur cette problématique et sur les solutions proposées, voir Nussbaumer, Les droits de garantie et la PPE : Quelques problèmes récurrents, in Pichonnaz/Werro (édit.), La pratique contractuelle 6, Genève/Zurich/Bale 2018, p. 157 ss). Dans l’arrêt ici commenté, le Tribunal fédéral reconnaît que la jurisprudence consacrée (en part. l’ATF 145 III 8, c. 3.2.2, rés. in Lawinside.ch/696) ne permet pas de résoudre ce problèmes de collision/coordination des droits de garantie.

En l’espèce, le Tribunal fédéral a estimé que les deux acquéreurs avaient exercé leur droit à la réparation, si bien que cette problématique de collision ne nécessitait pas d’être traitée. Cependant, la position du Tribunal fédéral prend le contre pied de celle des instances cantonales. Celles-ci avaient en effet estimé que si les acquéreurs avaient bel et bien exercé leur droit à la réparation dans un premier temps, devant le refus de la venderesse d’éliminer les défauts, ils avaient ensuite valablement opté pour l’exercice du droit à la réduction du prix, la moins-value correspondant aux frais d’une réparation pleine et entière.

Cependant, accepter comme l’ont fait les instances cantonales que la moins-value puisse correspondre aux frais d’une réparation totale rompt avec la qualification du droit à la réduction comme droit divisible. En effet, si les autorités cantonales avaient tenu compte de cette qualification, elles auraient dû réduire le montant de la moins-value en fonction des quote-parts des deux acquéreurs. Ceux-ci n’auraient alors pu qu’exiger un montant insuffisant pour éliminer complètement les défauts. Or une telle solution aurait été parfaitement insatisfaisante dans la mesure où les deux acquéreurs agissaient de concert avec les autres propriétaires d’étage (auxquels les instances cantonales ont dénié le droit d’agit contre la venderesse [cf. partie En Fait, B.d.]) et que le but de tous ces consorts était de recevoir un montant permettant l’élimination complète des défauts. Pour éviter une telle solution insatisfaisante, les autorités cantonales semblent avoir tout bonnement oublié que le droit à la réduction est divisible. Quant au Tribunal fédéral, il a requalifié l’exercice du droit par les acquéreurs en droit à la réparation et a ainsi évité le problème.

Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, Cession des droits de garantie et PPE  : quelques précisions jurisprudentielles, in : https://www.lawinside.ch/1277/