La nature juridique d’un contrat d’accueil préscolaire

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ATF 149 II 225| TF, 17.01.2023, 2C_849/2021*

La planification cantonale de l’accueil préscolaire constitue une tâche publique. En revanche, en l’absence de dispositions la qualifiant de tâche publique, l’exploitation des structures d’accueil découle d’une relation de droit privé. Lorsque la ville de Genève fixe des barèmes de prix qui restreignent la liberté contractuelle pour garantir une égalité de traitement, elle accomplit une tâche publique ; la contestation de ces barèmes s’opère par un recours de droit public.

Faits

En 2017, deux parents décident de placer leur enfant dans une structure d’accueil de la petite enfance à Genève, organisée sous forme d’association (art. 60 ss CC). Le contrat d’accueil prévoit une facturation en fonction du revenu annoncé par les parents. En 2019, la structure instaure un changement de tarification et annonce qu’elle se basera désormais sur la dernière taxation fiscale pour déterminer le revenu des parents.

Après obtention des documents fiscaux, la structure adresse aux parents un avenant au contrat en janvier 2021. L’avenant fixe rétroactivement à CHF 1’454.60 le prix de la pension mensuelle, dès le 1er novembre 2019. Les parents forment recours contre cet avenant auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève. Cette dernière se déclare incompétente matériellement, estimant que « l’action contractuelle » intentée par les parents relève du droit privé.

Les parents forment recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Ce dernier est ainsi amené à déterminer la nature contractuelle de l’avenant litigieux.

Droit

Lorsque la nature de la procédure était déjà litigieuse devant l’instance précédente, la voie de droit ouverte au Tribunal fédéral correspond à celle empruntée au plan cantonal. En l’espèce, c’est à juste titre que les parents ont formé recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF). Dans cette configuration, la question se limite à l’irrecevabilité du recours devant l’instance cantonale.

Pour déterminer la nature juridique d’un contrat qui pourrait appartenir au droit privé ou public, le Tribunal fédéral privilégie l’analyse de son objet, interprété à l’aune des intérêts en présence et de sa fonction. Ainsi le contrat appartient au domaine administratif lorsqu’il sauvegarde exclusivement ou principalement l’intérêt public (critère des intérêts) ou qu’il tend à l’accomplissement de tâches publiques (critère fonctionnel). Il est possible qu’un contrat contienne à la fois des prestations qui relèvent du droit public et d’autres qui relèvent du droit privé ; la nature de la procédure se détermine alors selon la prestation litigieuse.

Fort de ces constats, le Tribunal fédéral procède à l’analyse des deux prestations prévues par le contrat, c’est-à-dire l’accueil des enfants et le paiement du prix.

Les art. 200 à 203 Cst./GE prévoient que les communes ou groupements de communes offrent des places pour accueillir des enfants en âge préscolaire. Pour réaliser cet objectif, elles collaborent ou délèguent cette compétence à des associations ou fondations à but non lucratif. L’art. 1 al. 1 du règlement communal pour l’accueil préscolaire (RS/GE LC 21 551) octroie à la Ville de Genève la compétence de diriger la politique de la petite enfance, y compris de planifier, d’organiser, de coordonner et d’assurer le maintien de places d’accueil sur son territoire. Ces activités, accomplies tant par les communes que le canton, constituent sans aucun doute des tâches publiques.

En revanche, les textes légaux ne contiennent aucune précision quant à la manière d’exploiter les structures destinées aux enfants en âge préscolaire. Le législateur n’a jamais cherché à modifier ce régime lorsqu’il a adopté les dispositions précitées : il n’existe pas de volonté politique de considérer l’accueil préscolaire à proprement parler comme une tâche publique ni de charger les communes d’accomplir ladite tâche. Au surplus, le fait que la Ville de Genève subventionne les structures d’accueil ne suffit pas à conclure qu’il s’agit d’une tâche publique, pas plus que le fait que la ville de Genève exerce une surveillance sur l’association. Par ailleurs, l’activité d’accueil sauvegarde les intérêts de privés puisqu’elle permet aux parents de travailler pendant que leurs enfants sont gardés. Partant, le critère fonctionnel et celui des intérêts indiquent que la prestation fournie par l’association relève du droit privé.

Concernant le paiement de la pension, l’avenant au contrat stipule que les parents s’engagent à payer un prix déterminé selon des barèmes établis par la Ville de Genève. Ni les parents ni l’association ne peuvent modifier ou négocier ces prix. Ces barèmes restreignent la volonté contractuelle des parties et sont justifiés par un double objectif : une égalité de traitement entre les parents bénéficiaires de l’accueil et une participation financière en fonction de leurs revenus. Puisque ces objectifs constituent des intérêts publics, il faut admettre que la Ville de Genève accomplit une tâche publique en fixant le prix des pensions. En conséquence, lorsque les parents contestent le barème déterminé par les autorités, la contestation est une cause de droit public. L’instance inférieure a ainsi violé le droit fédéral en refusant d’entrer en matière sur le recours des parents en considérant qu’il s’agissait d’une cause de droit privé.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie la cause à l’instance inférieure.

 

Proposition de citation : Arnaud Lambelet, La nature juridique d’un contrat d’accueil préscolaire, in : https://www.lawinside.ch/1294/