L’assujettissement d’une zone de gravière à la LDFR

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ATF 149 II 237 | TF, 07.02.2023, 2C_255/2022*

Un plan d’affectation spécial (plan d’extraction) prévoyant une zone de gravière n’a pas automatiquement pour effet de soustraire cette zone à la LDFR. Il convient en particulier d’examiner s’il faut la considérer comme une zone à bâtir (art. 15 LAT). Ce n’est pas le cas lorsque la parcelle litigieuse fait l’objet d’un usage agricole et ne pourra potentiellement être exploitée sous forme de gravière que trente ans plus tard.

Faits

Deux personnes sont copropriétaires d’une parcelle située en zone agricole, incluse dans le plan d’extraction de gravière adopté par le Conseil d’État genevois le 30 octobre 2013. Le rapport d’impact sur l’environnement correspondant prévoit que cette parcelle ne sera exploitée en gravière qu’en 2054 au plus tôt.

Les copropriétaires de la parcelle concluent une promesse de vente avec une société anonyme qui a notamment pour but l’exploitation de gravières. Le contrat prévoit comme condition suspensive l’obtention par l’acheteuse d’une décision de la Commission foncière agricole genevoise autorisant l’achat ou constatant le non-assujettissement de la parcelle au droit foncier rural pour la durée de son exploitation.

L’acheteuse dépose une requête en ce sens auprès de la Commission foncière agricole, qui constate le non-assujettissement de la parcelle à la LDFR jusqu’à la fin de l’exploitation de la gravière, au motif que cette parcelle est située dans le périmètre du plan d’extraction de gravière en force.

Sur recours de l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature du canton de Genève, la Cour de justice annule la décision de la Commission. L’acheteuse exerce un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, qui doit se prononcer sur l’assujettissement à la LDFR de la parcelle en question.

Droit

Le Tribunal fédéral doit commencer par la qualification, ou non, de la parcelle comme immeuble agricole au sens de l’art. 2 al. 1 LDFR. Selon cette disposition, la LDFR s’applique aux immeubles agricoles isolés ou aux immeubles agricoles qui font partie d’une entreprise agricole, qui sont situés en dehors d’une zone à bâtir au sens de l’art. 15 LAT et dont l’utilisation agricole est licite. Il convient donc en premier lieu de déterminer si la zone considérée est, sur le principe, une zone à bâtir (art. 15 LAT) ou une zone non à bâtir, en application du droit fédéral.

En plus de la zone à bâtir (art. 15 LAT), de la zone agricole (art. 16 LAT) et de la zone à protéger (art. 17 LAT), le droit fédéral permet aux cantons de prévoir d’autres affectations (art. 18 LAT), comme les zones d’extraction. Le droit cantonal doit cependant respecter le principe de séparation entre zones à bâtir et non à bâtir consacré par le droit fédéral.

De manière générale, les zones de gravière se trouvent à la frontière entre zones à bâtir et zones non à bâtir. En effet, elles ont une fonction agricole à long terme, mais une fonction à bâtir à court terme. Il n’est cependant pas possible de déduire de cette fonction à court terme qu’une zone de gravière constitue automatiquement une zone à bâtir au sens de l’art. 15 LAT. Pour l’admettre, encore faut-il qu’il soit prévu que la zone soit ensuite utilisée à des fins d’urbanisation.

En l’espèce, le Tribunal fédéral constate que la parcelle litigieuse est située de façon primaire en zone agricole et fait l’objet d’un usage agricole. Le plan d’extraction en vigueur prévoit par ailleurs que les parcelles qu’il concerne devront retourner à l’agriculture après remise en état des lieux. À cela s’ajoute que l’étude d’impact sur l’environnement liée au plan d’extraction prévoit que la parcelle ne pourra être exploitée, au plus tôt, qu’en 2054. Ainsi, l’immeuble agricole en question ne se verra affecté par le plan d’extraction que dans une trentaine d’années. Il n’est donc pas possible de considérer la parcelle comme une zone à bâtir au sens de l’art. 15 LAT.

Le Tribunal relève en sus qu’il serait par ailleurs choquant que l’entrée en vigueur d’un plan d’affectation puisse, de manière automatique, soustraire à la LDFR un terrain agricole (selon le plan primaire), utile à l’agriculture et voué à lui retourner une fois l’extraction terminée, alors même que les travaux d’extraction ne seront possibles qu’une trentaine d’années plus tard.

Il en découle que l’entrée en vigueur du plan d’extraction n’a pas eu d’influence sur le respect des conditions de l’art. 2 al. 1 LDFR. La parcelle reste donc soumise à la LDFR. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Camille de Salis, L’assujettissement d’une zone de gravière à la LDFR, in : https://www.lawinside.ch/1300/