Le passage du bail au propriétaire du fonds à l’extinction du droit de superficie
ATF 142 III 329 | TF, 10.03.2016, 4A_553/2015*
Faits
Le propriétaire d’un bien-fonds confère un droit de superficie à une société pour une durée limitée. Le droit de superficie est immatriculé au registre foncier comme immeuble indépendant. La titulaire du droit de superficie (la « bailleresse ») loue les bâtiments construits en vertu du droit de superficie à une société (la « locataire »). Le contrat de bail est annoté au registre foncier.
Peu avant l’échéance du droit de superficie, la bailleresse donne son congé à la locataire pour une date postérieure à l’échéance du droit de superficie. La locataire agit par la suite à l’encontre du propriétaire du bien-fonds, concluant à l’annulation du congé donné par la bailleresse.
La première instance rejette la demande au motif que le propriétaire du bien-fonds n’a pas la légitimation passive. Cette décision est confirmée en seconde instance.
Sur recours de la locataire, le Tribunal fédéral doit établir si le bail relatif à des locaux construits en vertu d’un droit de superficie passe au propriétaire du bien-fonds à l’expiration du droit de superficie concerné.
Droit
A l’expiration du droit de superficie, les constructions ont fait retour au propriétaire du fonds (art. 779c CC). Le propriétaire du bien-fonds est ainsi devenu propriétaire des locaux loués. Sa légitimation passive suppose que le bail soit de ce fait passé au propriétaire du fonds. L’art. 261 CO prévoit le passage du bail à l’acquéreur en cas d’aliénation de la chose louée par le bailleur. Le but de cette disposition est de protéger le locataire qui, au moment de la conclusion de son contrat, ne pouvait pas prévoir que la chose louée serait aliénée. Il sied d’examiner si cette disposition trouve à s’appliquer par analogie au retour des constructions érigées en vertu d’un droit de superficie au propriétaire du fonds.
L’ATF 113 II 121 admet une application analogique de l’art. 261 CO en cas d’extinction de l’usufruit ensuite du décès de l’usufruitier. Dans cette jurisprudence, le Tribunal fédéral se fonde en particulier sur le fait, que dans un tel cas de figure, le locataire se trouvait confronté de manière imprévisible et sans sa faute à un tiers acquéreur, de façon analogue au locataire confronté à l’acquéreur de la chose loué.
La question de l’application analogique de l’art. 261 CO au retour des constructions au propriétaire du bien-fonds lors de l’extinction d’un droit de superficie est contestée en doctrine. Certains auteurs font dépendre l’application par analogie de l’art. 261 CO du caractère imprévisible de l’extinction du droit de superficie, par référence à l’ATF 113 II 121. Dans la mesure où l’extinction d’un droit de superficie par l’écoulement du temps serait prévisible pour le locataire, il ne pourrait pas se prévaloir du passage du bail au propriétaire du fonds en application de l’art. 261 CO.
En l’espèce, le droit de superficie a été immatriculé au registre foncier comme immeuble indépendant et a pris fin par l’écoulement du temps. Au regard de ce qui précède, l’instance précédente retient qu’en vertu de la fiction de connaissance du registre foncier (art. 970 al. 4 CC), le locataire connaissait la date à laquelle devait prendre fin le droit de superficie. Partant, selon la décision contestée, le retour de la chose louée était prévisible pour le locataire et il n’y a pas lieu d’appliquer l’art. 261 CO par analogie.
Selon le Tribunal fédéral, l’instance précédente méconnaît la portée de la fiction de connaissance du registre foncier. Cette fiction vise à assurer la sécurité juridique dans le commerce immobilier en empêchant un acquéreur d’invoquer son ignorance du contenu du registre foncier pour être maintenu dans ses droits (cf. art. 973 CC). Elle ne signifie en revanche pas que le contenu registre foncier peut de façon générale être considéré comme connu de tous.
Nonobstant ce qui précède, le bail a in casu été annoté au registre foncier sur le feuillet relatif au droit de superficie. Partant, la locataire savait effectivement que la bailleresse lui louait les locaux au titre d’un droit de superficie qui prendrait fin à l’expiration d’une période donnée. Elle aurait donc dû se préoccuper de l’échéance du droit de superficie. Le retour de la chose louée était prévisible pour la locataire. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’appliquer par analogie l’art. 261 CO au cas d’espèce. La question de savoir si une application analogique de l’art. 261 CO au retour des constructions au propriétaire du bien-fonds à l’échéance du droit de superficie selon l’art. 779c CC serait par principe justifiée peut être laissée ouverte.
Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours et confirme la décision de l’instance précédente qui déboutait la locataire faute de légitimation passive du propriétaire du fonds.
Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, Le passage du bail au propriétaire du fonds à l’extinction du droit de superficie, in : https://www.lawinside.ch/226/