La nature de l’action en exécution par substitution (art. 98 al. 1 CO)

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ATF 142 III 321 | TF, 31.03.2016, 4A_524/2015*

Faits

Un propriétaire reproche à un entrepreneur d’avoir provoqué des fissures sur son fonds lors de travaux de construction sur un fonds voisin. L’entrepreneur s’engage à remettre le fonds du propriétaire en état. Il n’exécute toutefois pas son engagement.

Le propriétaire dépose une requête de conciliation dans laquelle il demande l’autorisation d’effectuer une exécution par substitution des travaux de réparation aux frais de l’entrepreneur.

Après l’échec des conciliations, le propriétaire ouvre action en justice devant le tribunal de première instance et demande à nouveau au juge d’autoriser l’exécution par substitution des travaux de construction aux frais de l’entrepreneur. Le tribunal de première instance n’entre pas en matière sur la demande. Sur appel, le tribunal de deuxième instance confirme la décision de non-entrée en matière. En substance, les juges considèrent que l’action en exécution par substitution (art. 98 al. 1 CO) relève de la procédure sommaire et non pas de la procédure ordinaire (cf. art. 250 let. a ch. 4 CPC).

Le propriétaire recourt auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit se prononcer pour la première fois sur la nature de l’action en exécution par substitution au sens de l’art. 98 al. 1 CO.

Droit

En vertu de l’art. 98 al. 1 CO, le créancier d’une obligation positive peut se faire autoriser par le juge à l’exécution aux frais du débiteur.

Le Tribunal fédéral relève que la nature de l’action en exécution par substitution au sens de l’art. 98 al. 1 CO est controversée. Certains auteurs considèrent qu’il s’agit d’une mesure d’exécution forcée. L’exécution par substitution n’est ainsi possible qu’après que le débiteur ait été condamné à l’exécution d’une obligation par un jugement de droit matériel. D’autres auteurs estiment que l’action en exécution par substitution constitue une prétention de droit matériel, de sorte qu’elle ne nécessite pas l’existence d’un jugement qui condamne le débiteur à l’exécution de l’obligation. Selon ces auteurs, le créancier peut ainsi directement demander du juge l’exécution par substitution sur la base de l’art. 98 al. 1 CO, sans avoir à obtenir d’abord la condamnation du débiteur à l’exécution.

Le Tribunal fédéral retient que l’art. 250 let. a ch. 4 CPC soumet impérativement l’action en exécution par substitution au sens de l’art. 98 al. 1 CO à la procédure sommaire. En raison des restrictions quant aux moyens de preuve (art. 254 CPC), la procédure sommaire n’est pas adaptée pour qu’on puisse trancher des questions de droit matériel. Par conséquent, l’action en exécution par substitution au sens de l’art. 98 al. 1 CO est une mesure d’exécution forcée et non pas une prétention de droit matériel.

En conséquence, le créancier ne peut pas ouvrir une action selon l’art. 98 al. 1 CO (et donc en procédure sommaire) pour demander du juge qu’il autorise l’exécution par substitution après avoir établi au préalable, mais toujours dans la procédure sommaire, l’existence de la prétention. Le créancier a donc deux possibilités : soit il ouvre d’abord une action de droit matériel selon la procédure applicable (ordinaire, simplifiée ou sommaire en présence d’un cas clair) afin d’établir sa prétention en exécution, puis, dans un second temps – et si le débiteur ne s’est pas exécuté –, ouvrir une action en exécution par substitution selon l’art. 98 al. 1 CO en procédure sommaire devant le tribunal d’exécution ; soit il ouvre une seule action de droit matériel selon la procédure applicable afin d’établir sa prétention tout en concluant dans la même procédure à l’exécution forcée directe de sa prétention pour le cas où le débiteur ne s’exécute pas (art. 236 al. 3 CPC) et ainsi demander l’exécution par substitution (art. 343 al. 1 let. e CPC).

En l’espèce, le propriétaire a ouvert action en exécution par substitution en procédure ordinaire sans avoir demandé la condamnation de l’entrepreneur à la réparation ou obtenu une telle condamnation par un jugement antérieur au fond. Dans la mesure où l’exécution par substitution relève de la procédure sommaire, son action est irrecevable. En tout état de cause, son action aurait aussi été irrecevable s’il avait directement demandé l’exécution par substitution en procédure sommaire, dès lors que l’art. 98 al. 1 CO suppose l’existence d’un jugement de droit matériel qui condamne le créancier à l’exécution de la prestation.

Le Tribunal fédéral rejette donc le recours.

Note

L’arrêt du Tribunal fédéral permet de clarifier la nature de l’action en exécution par substitution au sens de l’art. 98 al. 1 CO. Certains auteurs avaient déduit de l’ATF 130 III 302 le fait que l’art. 98 al. 1 CO est une mesure d’exécution forcée (cf. Gauch P./Schluep W. R./Emmenegger S., Schweizerisches Obligationenrecht Allgemeiner Teil, vol. 2, 10e éd., Zurich/Bâle/Genève 2014, N 2515), alors que d’autres auteurs avaient déduit précisément l’inverse de ce même arrêt (Koller Alfred, Schweizerisches Obligationenrecht Allgemeiner Teil, 3e éd., Berne 2009, § 44 N 20). La clarification du Tribunal fédéral est donc bienvenue.

Le Tribunal fédéral retient ainsi que l’art. 98 al. 1 CO est une mesure d’exécution forcée, de sorte qu’elle suppose l’existence d’un jugement de droit matériel qui condamne le créancier à l’exécution de la prestation. Cette décision enlève toutefois toute portée à l’art. 98 al. 1 CO, dès lors que le CPC prévoit déjà l’exécution par substitution comme mesure d’exécution forcée (art. 343 al. 1 let. e CPC). Comme le relève le Tribunal fédéral, l’art. 236 al. 3 CPC permet en plus au demandeur de demander déjà dans la procédure au fond des mesures d’exécution directe. Pour cela, le mémoire de demande doit dans un premier temps conclure à la condamnation du débiteur à l’exécution de sa prestation, puis, dans un second temps, conclure à l’exécution par substitution pour le cas où le débiteur ne s’exécute pas. L’art. 236 al. 3 CPC évite au créancier de devoir ouvrir une nouvelle procédure en exécution forcée devant le tribunal d’exécution pour le cas où le créancier n’exécute pas le jugement au fond qui le condamne à l’exécution.

C’est l’occasion aussi de relever que, contrairement à l’art. 98 al. 1 CO, l’art. 366 al. 2 CO est une prétention de droit matériel. Cette disposition permet au maître d’ouvrage de procéder par anticipation à une exécution par substitution lorsqu’on peut prévoir avec certitude durant les travaux que l’ouvrage réalisé par l’entrepreneur sera défectueux. Contrairement à l’art. 98 al. 1 CO, l’art. 366 al. 2 CO ne nécessite pas une autorisation du juge. Toutefois, il présuppose l’expiration d’un délai de grâce. Ce délai laisse une dernière chance à l’entrepreneur de prendre des mesures afin d’éviter la survenance d’un défaut. Dans l’arrêt ici commenté, le Tribunal fédéral s’appuie sur le fait que l’art. 366 al. 2 CO suppose la fixation d’un délai de grâce pour justifier la différence de nature entre l’action de l’art. 366 al. 2 CO et celle de l’art. 98 al. 1 CO. Comme à l’art. 107 al. 2 CO, le maître d’ouvrage qui veut procéder à l’exécution par substitution selon l’art. 366 al. 2 CO doit renoncer, après l’expiration du délai de grâce, à la réparation par l’entrepreneur. En faisant cela, il remplace une prétention (de droit matériel) en exécution (la réparation) par une autre prétention (de droit matériel) en exécution (la réparation par un tiers) (consid. 4.4.2).

Proposition de citation : Alborz Tolou, La nature de l’action en exécution par substitution (art. 98 al. 1 CO), in : https://www.lawinside.ch/227/