La surveillance du trafic email en procédure pénale (CPP 269)

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ATF 140 IV 181

Faits

Un homme est accusé du meurtre de sa femme et se trouve de ce fait en détention provisoire. Par ordonnance de production de preuves, le Ministère public du canton d’Argovie (MP) ordonne à une société d’hébergement internet la remise de toutes les données enregistrées concernant le prévenu, et en particulier ses emails. La société refuse en faisant valoir que l’accord du Tribunal des mesures de contrainte (TMC) est nécessaire. Le MP demande alors à celui-ci l’autorisation de surveiller le trafic email du prévenu.

Le TMC refuse d’entrer en matière sur la requête du MP en estimant qu’il ne s’agit ni d’une surveillance en temps réel ni d’une surveillance rétroactive. Il oblige néanmoins la société d’hébergement de remettre les données au MP conformément à l’ordonnance de production.

Le MP forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral en concluant à l’annulation de cette décision et à ce que la surveillance active du trafic email soit autorisée (cf. art. 269 CPP).

La question topique a donc trait aux conditions nécessaires à la surveillance du trafic email.

Droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que la surveillance sur internet est réglée par l’ordonnance sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (OSCPT). De manière générale, on distingue la surveillance en temps réel (art. 24a OSCPT ; cpr. art. 269 CPP) de la surveillance rétroactive (art. 24b OSCPT ; cpr. art. 273 CPP). Les deux formes de surveillance sont définies dans l’annexe de l’ordonnance.

Il distingue ensuite la surveillance (art. 269 ss CPP) du séquestre (art. 263 ss CPP) dans le domaine du trafic postal. Dans le cas de la surveillance, l’autorité accède à des informations alors que l’expéditeur a abandonné son pouvoir de disposition et le destinataire n’a pas encore fondé le sien. Il s’agit d’une mesure d’interception de communication. Cela représente une atteinte grave à la sphère privée, puisque l’intéressé n’a pas connaissance de la mesure (et ne peut dès lors pas la contester à ce stade, cpr. art. 279 al. 3 CPP). Pour ces motifs, l’approbation du juge est nécessaire (cf. art. 274 CPP). En revanche, un séquestre vise un courrier qui est déjà parvenu au destinataire et qui se trouve dans sa sphère de puissance. Par conséquent, le destinataire en est nécessairement au courant.

Il se pose la question de savoir quand un email doit être considéré comme étant parvenu au destinataire. Ce critère est déterminant pour distinguer la surveillance du séquestre. Le Tribunal fédéral applique la théorie développée pour le courrier postal au trafic des emails. Il rappelle que l’email est reçu lorsqu’il arrive sur le serveur du prestataire de service de communication (provider) et donc dans le compte email du destinataire. Celui-ci n’a connaissance de ce nouvel email que lorsqu’il se connecte (depuis son ordinateur) avec le serveur du provider pour télécharger ses messages. C’est à ce moment-là que l’email entre dans sa sphère de puissance et qu’il peut librement en disposer. Partant, dès l’instant où le destinataire se connecte sur sa boite email, l’email reçu devra faire l’objet d’un séquestre, et ce, indépendamment de la question de savoir si le destinataire en a pris connaissance ou non. À l’inverse, tant que le destinataire ne se connecte pas sur sa boite email pour télécharger ses messages (depuis le serveur du provider), seule une mesure de surveillance en temps réel permet à l’autorité de l’intercepter et d’en prendre connaissance.

En l’espèce, en ce qui concerne les emails du prévenu qui se trouvaient déjà sur le serveur de la société d’hébergement et qui avaient déjà été téléchargés par le prévenu, seule la voie du séquestre est ouverte pour pouvoir les consulter. Inversement, pour avoir accès aux emails qui n’ont pas encore été téléchargés depuis le serveur d’hébergement par le prévenu, il faut procéder à une surveillance en temps réel (art. 269 CPP). Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral considère que les conditions du prononcé d’une telle mesure sont remplies, de sorte qu’il autorise la surveillance.

Le recours est ainsi partiellement admis.

Proposition de citation : Simone Schürch, La surveillance du trafic email en procédure pénale (CPP 269), in : https://www.lawinside.ch/26/