Les conditions de la levée du secret de l’avocat

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ATF 142 II 307TF, 09.05.2016, 2C_586/2015*

Faits

Un avocat est l’exécuteur testamentaire d’un avocat décédé. Afin de faire valoir une créance d’honoraires de 2’500 francs que l’avocat décédé avait contre un client, l’exécuteur testamentaire demande à l’autorité de surveillance du canton de Zoug de lever le secret de l’avocat.

L’autorité de surveillance accepte la requête qui est ensuite confirmée par l’Obergericht du canton de Zoug. Le client interjette un recours auprès du Tribunal fédéral qui doit se prononcer sur les conditions de la levée du secret de l’avocat.

Droit

En vertu de l’art. 13 al. 1 LLCA, l’avocat est soumis au secret professionnel pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l’exercice de sa profession.

Le secret de l’avocat poursuit un but d’intérêt public. Il vise à assurer l’accès à la justice dans un état de droit. Le justiciable doit en effet avoir confiance en son avocat avant de pouvoir s’ouvrir sans réserve à lui. Le secret de l’avocat comporte également un aspect individuel, qui comprend non seulement l’obligation de l’avocat de garder confidentielles toutes les informations qu’il reçoit de son client dans le cadre de son activité, mais aussi le droit du client à la confidentialité de ces informations.

Le Tribunal fédéral considère tout d’abord que, lorsqu’elle est exercée par un avocat, l’activité d’exécuteur testamentaire (art. 518 CC) pour la succession d’un avocat est une activité typique d’avocat. Cette activité est donc soumise au secret.

Ni l’art. 321 CP ni l’art. 13 al. 1 LLCA ne précisent les critères nécessaires pour admettre la levée du secret. Le Tribunal fédéral retient que ces critères relèvent exclusivement du droit fédéral, et non pas du droit cantonal. Afin de juger d’une demande de levée du secret, l’autorité de surveillance doit procéder à une pesée de tous les intérêts en jeu, tout en gardant à l’esprit la dimension institutionnelle et individuelle du secret de l’avocat. Seul un intérêt public ou privé clairement prépondérant peut justifier une levée du secret.

Le Tribunal fédéral considère qu’un avocat peut avoir un intérêt à la levée du secret pour le recouvrement des honoraires. Cet intérêt doit toutefois être mis en balance avec l’intérêt public à la confidentialité d’une procédure et l’intérêt privé du client au maintien du secret. Cet intérêt privé est d’autant plus important que, suivant les cas, les autorités qui prennent connaissance des informations soumises au secret peuvent se voir imposer un devoir de dénonciation.

Le Tribunal fédéral précise que, dans la pesée des intérêts, le juge doit tenir compte du fait qu’un avocat peut en principe demander une provision à son client. La provision vise à couvrir les frais probables de l’activité de l’avocat. Ainsi, s’il veut être délié de son secret, l’avocat doit expliquer pourquoi il ne lui était pas possible d’exiger une provision couvrant ces frais.

En l’espèce, le de cujus avait reçu une provision qui avait couvert partiellement ses frais. Il existe donc un intérêt propre à l’exécuteur testamentaire de voir le secret levé afin d’exiger le solde restant. De son côté, le client n’a pas expliqué en quoi une levée du secret porterait atteinte à son intérêt légitime au maintien du secret. Partant, le Tribunal fédéral considère que l’instance cantonale a correctement effectué la pesée des intérêts en jeu et rejette le recours.

Note

Cet arrêt est intéressant pour différentes raisons :

Premièrement, le Tribunal fédéral n’hésite pas à rappeler de manière détaillée l’importance du secret de l’avocat dans un Etat de droit ainsi que la place qu’il occupe au niveau européen (cf. consid. 2.1 et 2.2).

Deuxièmement, le Tribunal fédéral avait déjà eu l’occasion de préciser que le secret de l’avocat perdure avec la mort du client (ATF 135 III 597, c.3.2). Cet arrêt permet toutefois de préciser que le secret de l’avocat perdure également après le décès de l’avocat.

Troisièmement, la doctrine est partagée quant à savoir si l’activité d’exécuteur testamentaire est une activité typique ou atypique de l’avocat. Cet arrêt a le mérite de préciser qu’il s’agit d’une activité typique à tout le moins lorsque le de cujus était lui-même un avocat.

Enfin, le Tribunal fédéral n’avait encore jamais précisé que les critères pour la levée du secret de l’avocat relèvent exclusivement du droit fédéral. Il est utile de souligner que les législations cantonales (cf. art. 12 al. 4 LPav/GE, § 34 al. 3 Anwaltsgesetz/ZH, art. 38 Anwaltsgesetz/BE), en accord avec la doctrine majoritaire (cf. B. Chappuis, La profession d’avocat, t.1, 2e éd., Genève/Zurich 2016, p. 237) prévoyaient déjà la pesée des intérêts comme critère à la levée du secret de l’avocat. Cependant, puisque les critères de levée du secret découlent exclusivement du droit fédéral, les normes cantonales n’ont désormais plus aucune portée propre.

Proposition de citation : Célian Hirsch, Les conditions de la levée du secret de l’avocat, in : https://www.lawinside.ch/262/