La fusion de communes par initiative populaire

Télécharger en PDF

ATF 142 I 216TF, 03.06.2016, 1C_844/2013*

Faits

Dans le canton du Tessin, l’initiative populaire constitutionnelle « Avanti con le nuove città di Locarno e Bellinzona » (« Allons de l’avant avec les nouvelles villes de Locarno et Bellinzone ») obtient le nombre de signatures nécessaires et est soumise au Grand Conseil qui doit en déterminer la validité et la recevabilité. L’initiative vise à introduire un nouvel article constitutionnel qui prévoit la fusion de différentes communes (35 en tout) avec la Commune de Locarno et de Bellinzone.

Le parlement tessinois déclare irrecevable l’initiative au motif qu’elle viole le droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), le principe de l’unité de la matière ainsi que la Charte européenne de l’autonomie locale. Les initiants saisissent le Tribunal fédéral d’un recours en matière de droit public pour violation de leurs droits politiques. Il se pose ainsi la question de l’admissibilité d’une fusion par voie d’initiative populaire constitutionnelle cantonale.

Droit

Le recours au Tribunal fédéral est directement ouvert lorsque des citoyens ayant le droit de vote se plaignent du fait qu’une initiative populaire n’a pas été soumise au scrutin populaire (cf. art. 82 let. c, 87 al. 1 et 89 al. 3 LTF).

D’après l’art. 86 Cst./TI, le Grand Conseil examine la recevabilité des initiatives populaires qui ont abouti. Il doit en particulier vérifier qu’elles respectent le droit supérieur et l’unité de la forme et de la matière. Une initiative populaire cantonale doit être conforme au droit supérieur (cantonal, fédéral et international). Ainsi, l’art. 139 al. 3 Cst. qui exige uniquement que les initiatives constitutionnelles fédérales respectent le droit international impératif ne s’applique pas aux initiatives cantonales.

Le principe « in dubio pro populo  » veut que lorsque le texte d’une initiative n’est pas clair, on doit choisir l’interprétation qui permet de clarifier le texte afin de pouvoir soumettre l’initiative au vote du peuple. Il découle de ce principe que les décisions d’irrecevabilité doivent demeurer l’exception afin de réduire le plus possible les atteintes aux droits des citoyens.

Sous l’angle de l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), la commission législative du parlement tessinois a retenu qu’il n’était pas admissible que la population de l’ensemble du canton décide du sort de deux seuls districts en les obligeant à fusionner. Selon la commission législative, avec un tel procédé, les habitants d’autres communes que celles faisant l’objet de l’initiative jouissent davantage de droits que les droits garantis par la loi tessinoise sur les fusions et séparations des communes. Dès lors que le parlement tessinois a laissé indécise la question d’une éventuelle violation des droits de vote, le Tribunal fédéral n’approfondit pas ce point.

S’agissant du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), le Tribunal fédéral constate que le contrôle de validité d’une initiative n’est ni un acte législatif ni un acte tendant à appliquer une norme dans un cas d’espèce ; du moment qu’il s’agit de contrôler la conformité avec le droit supérieur, il faut le considérer plutôt comme un acte relevant de la juridiction constitutionnelle ou une forme de celle-ci. Le Tribunal fédéral ne tranche toutefois pas la question de la nature de l’acte en cause et de l’éventuelle applicabilité du droit d’être entendu qui en découle.

L’art. 5 de la Charte européenne de l’autonomie locale, directement applicable, prévoit que « pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet ». Il ne fait aucun doute que la fusion d’une ou plusieurs communes comporte une modification des limites territoriales de celles-ci. Les citoyens des communes intéressées jouissent donc d’un droit de consultation préalable. Le nouvel article constitutionnel ne prévoit aucune forme de consultation des citoyens intéressés par les fusions, de sorte qu’il viole manifestement l’art. 5 de la Charte. La tentative des initiants d’introduire a posteriori un droit à une votation consultative dans chaque commune avant un vote sur l’initiative n’y change rien ; le but de l’initiative étant clair, une telle consultation irait à l’encontre de la volonté des citoyens signataires.

Enfin, le Tribunal fédéral rappelle que le cas d’espèce diffère de celui d’une fusion forcée « ordinaire », faisant suite à la procédure prévue par la loi cantonale sur les fusions et séparations des communes. En tout état de cause, cette loi cantonale prévoit un droit de consultation préalable des citoyens des communes intéressées.

Dans la mesure où l’initiative populaire cantonale viole de manière manifeste l’art. 5 de la Charte européenne de l’autonomie locale, c’est à bon droit que le Grand Conseil tessinois l’a déclarée irrecevable. Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours.

Proposition de citation : Simone Schürch, La fusion de communes par initiative populaire, in : https://www.lawinside.ch/291/