La garantie bancaire à la place d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs

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ATF 142 III 738 | TF, 05.10.2016, 5A_838/2015*

Faits

Une société (ci-après l’entrepreneur total) mandatée pour la construction d’un bâtiment délègue certains travaux à un tiers (ci-après le sous-entrepreneur). Suite à des impayés, le sous-entrepreneur obtient à titre superprovisionnel l’inscription d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs sur le bien-fonds concerné. Lors de la procédure subséquente en inscription définitive de cette hypothèque légale, l’entrepreneur total fournit une garantie bancaire pour les créances du sous-entrepreneur. Par conséquent, le tribunal de commerce rejette la demande d’inscription définitive de l’hypothèque légale au motif que le sous-entrepreneur bénéficie désormais de sûretés suffisantes.

Le sous-entrepreneur forme recours au Tribunal fédéral. Celui-ci doit préciser la notion de “sûretés suffisantes” de l’art. 839 al. 3 CC, sûretés faisant obstacle à l’inscription définitive de l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs. En particulier, le Tribunal fédéral doit déterminer sous quelles conditions une garantie bancaire peut constituer une sûreté suffisante.

Droit

A teneur de l’art. 839 al. 3 CC, l’inscription d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs ne peut être requise si le propriétaire fournit des sûretés suffisantes au créancier. Pour qu’une sûreté apparaisse comme suffisante au sens de la loi, elle doit équivaloir à l’hypothèque légale en termes qualitatifs et quantitatifs.

Une sûreté limitée dans le temps (à la différence de l’hypothèque légale) peut apparaître comme qualitativement équivalente, pour autant que les intérêts du créancier soient suffisamment préservés en dépit de la limitation de durée. En l’espèce, la garantie bancaire fournie par l’entrepreneur total est valable jusqu’au 31 décembre 2016, mais se prolonge automatiquement d’année en année tant qu’aucun jugement n’est entré en force s’agissant des prétentions du sous-entrepreneur. En cas de décision judiciaire, le sous-entrepreneur peut faire appel à la garantie dans les 120 jours qui suivent l’entrée en force du jugement en faisant parvenir à la banque une attestation de force exécutoire dans ce délai. En tant que tels, tant la validité limitée dans le temps que le délai de 120 jours pour faire appel à garantie sont raisonnables et préservent suffisamment les intérêts du sous-entrepreneur.

Pour que la garantie bancaire litigieuse apparaisse comme suffisante au sens de l’art. 839 al. 3 CC, il faut toutefois encore que le délai de 120 jours s’applique même si le jugement topique entre en force en fin d’année. Il est ainsi nécessaire que la garantie se prolonge dans ce cas au-delà du 31 décembre jusqu’à écoulement des 120 jours. Or, ceci n’est pas expressément prévu par la garantie bancaire fournie par l’entrepreneur total. Partant, il se pourrait que la garantie impose au sous-entrepreneur d’y faire appel dans un délai inférieur à 120 jours lorsque l’année de validité touche à sa fin. Le sous-entrepreneur se trouverait ainsi contraint de produire une attestation de force exécutoire dans un bref délai, alors même qu’il n’a aucune influence sur le temps nécessaire à l’obtention d’une telle attestation. Dans ces circonstances, la garantie bancaire fournie par l’entrepreneur total ne préserve pas suffisamment les intérêts du sous-entrepreneur. Elle n’apparaît ainsi pas qualitativement équivalente à une hypothèque légale et ne constitue pas une sûreté suffisante au sens de l’art. 839 al. 3 CC.

Par surabondance de motifs, le Tribunal fédéral relève que quantitativement, l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs garantit au créancier le capital, les intérêts moratoires et d’éventuels intérêts contractuels (art. 818 CC). Or, aux termes de la garantie bancaire litigieuse, la banque s’engage à verser au sous-entrepreneur la somme qui lui aura été attribuée par jugement jusqu’à concurrence d’un montant maximal. À la différence de l’hypothèque légale, cette garantie bancaire ne couvre ainsi pas les intérêts moratoires de manière illimitée dans le temps, mais uniquement à hauteur de la différence entre le montant maximal garanti et le capital. Partant, la garantie bancaire fournie en l’espèce n’est pas non plus quantitativement équivalente à une hypothèque légale. Le fait qu’il existe des obstacles pratiques à l’obtention d’une garantie bancaire qui couvre sans limites les intérêts moratoires est sans pertinence.

Au regard de ce qui précède, c’est à tort que l’instance précédente a retenu que la garantie bancaire constituait une sûreté suffisante au sens de la loi et justifiait un refus de l’inscription définitive de l’hypothèque légale. Le Tribunal fédéral admet ainsi le recours et renvoie l’affaire au tribunal de commerce pour qu’il se prononce sur les autres conditions de l’inscription définitive de l’hypothèque légale.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, La garantie bancaire à la place d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs, in : https://www.lawinside.ch/341/