L’imitation d’une invention brevetée

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ATF 142 II 772 | TF, 03.10.016, 4A_131/2016*

Faits

Une société détient un brevet pour une valve permettant le passage de liquide dans un sens tout en évitant le passage de gaz dans la direction opposée. Ce dispositif est utilisé notamment pour les urinoirs, de façon à permettre à l’urine de passer au travers de la valve tout en empêchant les odeurs incommodantes de circuler en sens inverse. Une entreprise concurrente fabrique des valves similaires, à l’exception de certaines composantes qui sont reliées entre elles plutôt que séparées conformément à la description de l’invention brevetée. La détentrice du brevet l’attaque en justice pour violation de son brevet.

Déboutée par le Tribunal fédéral des brevets, la société forme recours auprès du Tribunal fédéral, lequel est appelé à préciser la notion d’imitation d’une invention au sens de la loi fédérale sur les brevets d’invention (LBI).

Droit

L’art. 66 let. a 2ème phr. LBI prohibe l’imitation des inventions protégées par un brevet. A teneur de jurisprudence (cf. notamment ATF 125 III 29), il y a imitation lorsqu’une technique permettant un résultat similaire à celui de l’invention protégée (Gleichwirkung) est établie par des moyens différents de ceux utilisés par l’invention protégée, mais que l’expert peut aisément trouver sur la base du brevet (Auffindbarkeit).

Il convient cependant de relever que l’étendue de la protection du brevet est définie par la revendication (art. 51 LBI). Les tiers devraient ainsi être en mesure de déterminer à la lecture de la revendication quelles techniques sont protégées par le brevet. Or ceci s’avère souvent délicat dans le cas d’une imitation, dès lors que l’imitation n’est pas identique à l’invention décrite par la revendication. Les critères du résultat similaire (Gleichwirkung) et du caractère aisé à découvrir (Auffindbarkeit) ne se réfèrent pas en tant que tels au texte de la revendication, pourtant déterminant en vertu de l’art. 51 LBI. Pour ces motifs, le Tribunal fédéral des brevets exige depuis 2013 (ATFB, 21.03.2013, S2013_001) en plus des deux conditions retenues par la jurisprudence du Tribunal fédéral que la technique alternative apparaisse à l’expert comme une solution équivalente à la technique brevetée, au regard du texte de la revendication (Gleichwertigkeit). Le critère de l’équivalence permet de ce fait une limitation de la protection du brevet aux inventions à la protection desquelles on peut raisonnablement s’attendre à la lecture du texte de la revendication.

Au demeurant, le critère de l’équivalence est appliqué par les tribunaux supérieurs allemands et anglais. Or, il convient de tenir compte de la pratique établie par les tribunaux d’autres juridictions, afin de maintenir une certaine unité de la pratique juridique dans le cadre de la Convention sur le brevet européen.

Pour ces motifs, le Tribunal fédéral définit l’imitation au sens de l’art. 66 let. a 2ème phr. LBI par référence aux trois critères cumulatifs du résultat similaire (Gleichwirkung), du caractère aisé à découvrir (Auffindbarkeit) et de l’équivalence à la technique brevetée (Gleichwertigkeit). Le Tribunal fédéral valide ainsi la pratique du tribunal fédéral des brevets.

Le Tribunal fédéral retient néanmoins que l’instance précédente n’a pas correctement appliqué le critère de l’équivalence dans le cas d’espèce. Les croquis et la description de l’invention brevetée montrent certes des composantes séparées, alors que les composantes correspondantes de la valve fabriquée par l’entreprise concurrente sont reliées. Toutefois, le texte de la revendication n’exige pas une séparation complète. Or, ce ne sont pas les croquis ni la description qui définissent l’étendue de la protection du brevet, mais bien la revendication. Il convient de ce fait de retenir que la valve de l’entreprise concurrente imite l’invention brevetée. Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, L’imitation d’une invention brevetée, in : https://www.lawinside.ch/352/